Le poids de l’apparence dans le monde professionnel : à quand la fin de la discrimination ?

Par Audrey Lebel
poids de l'apparence travail
La discrimination à la tête de l’employé.e est toujours monnaie courante en 2019, et ce, malgré son interdiction par le Code pénal. Depuis #Metoo, les consciences sont en train d’évoluer, lentement.

"Je suis grosse, et pas qu'un peu, affirme Florence, 38 ans. Je n'ai jamais réellement prêté attention aux discriminations dont j'ai pu faire preuve jusqu'à cette année. Des gens qui me scannent des pieds à la tête, je vois ça tout le temps, poursuit la jeune femme, actuellement en recherche d’emploi dans le secteur de la communication. Je suis dans un job de représentation, j’échange avec des journalistes, des clients, etc. Dans les yeux des patrons, je lis : elle n’est pas blonde, elle n’est pas compétente."

Comme bon nombre de femmes en surpoids, Florence a été discriminée en raison de son apparence physique dans le monde professionnel. Un critère qui arrive en deuxième position des discriminations les plus courantes au travail, après l’âge. Le sexe féminin est la première victime de ces discriminations, et les femmes obèses signalent huit fois plus de faits que celles rentrant dans les normes pondérales imposées par la société.

Tirée à quatre épingles

"Pour les femmes, il faut être tirée à quatre épingles, bien habillée. Les hommes ont systématiquement ce premier regard, plus ou moins discret, raconte Florence. Lors des entretiens d’embauche, je redouble d’efforts pour ne pas y prêter attention, poursuit-elle. Mais ma dernière expérience était tellement grossière, il était tellement évident que mon physique posait problème, que j’ai eu du mal à la digérer. L’homme qui m’a reçu m’a scanné des pieds à la tête à mon arrivée. Sa secrétaire avait fait de même, ajoute-t-elle. Il ne m’a pas regardé une seule fois dans les yeux, il ne m’écoutait pas, - je pense aujourd’hui qu’il faisait mentalement sa liste de courses. La rencontre a duré dix minutes montre en main. Il ne m’a même pas posé de questions sur mon parcours." Selon elle, Florence aurait ainsi loupé quatre entretiens sur dix à cause de son physique.

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Si l’article 225-1 du code pénal l'interdit en France, la discrimination sur l'apparence physique au travail est toujours une réalité pour des millions de femmes. Trop grande, en surpoids, racisée, trop maigre, en situation de handicap physique, trop âgée : les raisons sont nombreuses. Pourtant, selon le rapport Le physique de l'emploi de l'Organisation internationale du travail, cette discrimination n’a représenté, en 2017, que 1,2% des cas de saisine du Défenseur des droits.

"On est trop tolérants face à ces discriminations, s’indigne le sociologue Jean-François Amadieu, auteur de La société du paraître. Cela fait une dizaine d’années que je dénonce ces faits. Il n’est pas normal, en 2019, de juger le physique d’une personne pour un poste », dénonce-t-il. "Mes compétences ne sont pas inversement proportionnelles au chiffre qui pèse sur ma balance, renchérit Florence. J’ai un diplôme d’une grande école de communication, une dizaine d’années d’expérience. Je sais que les clients font davantage confiance à d’autres personnes parce qu’elle sont plus jolies. J’ai du cravacher deux fois plus, redoubler de travail pour me faire entendre, pour qu’on me remarque, et pour obtenir la confiance. C’est une discrimination qui ne dit pas son nom."

Une particularité française 

Pour contrer l’importance du physique dans le cadre du travail, Jean-François Amadieu estime qu’il y a des solutions. "Pour l’embauche et le recrutement, il faut mettre un terme à cette particularité française d’ajouter une photo sur le CV. La photo concerne surtout les cadres, alors qu’on aurait tendance à penser que ce sont ses diplômes qui comptent. Il faut aussi arrêter les entretiens vidéos. Il va même plus loin. En anonymisant complètement les candidatures, il n’y a pas la possibilité d’aller sur Google ou sur les réseaux sociaux chercher des informations sur le physique de la personne."

Daphnée1, 43 ans, ingénieure dans un grand groupe d’électricité, a elle subi les discriminations négatives, puis positives, en raison de la couleur de sa peau. "J’ai d’abord eu un chef mysogine et raciste. Il cumulait les deux. Il disait ouvertement avoir beaucoup d’apriori sur les Noirs. Pour lui, "ils sont fainéants, tout le temps en retard, profiteurs". Quand j’arrivais avant lui, il me disait "Daphnée, tu es déjà là ? Je n’avais pas cette image des Noirs". Face à cette discrimination, l’ingénieure préfère tenter d’éduquer son supérieur. "Je ne mettais pas ses réflexions sur le compte du racisme, mais sur celui de la bêtise et de l’ignorance, dit-elle. Un jour, après un accident de moto, - j’avais du mal à m’asseoir -, il m’a dit "mais les Noirs ont des bleus ?". Un polytechnicien, un mec qui a fait de grandes études, comment peut-il faire une remarque aussi bête ?, rit-elle.

A l’époque ils mettaient en avant la diversité au sein de l’entreprise. Même si je me suis sentie utilisée, je n’en avais que faire, je les utilisais aussi pour poursuivre mon parcours

Le jour où vraiment j’ai élevé la voix, c’est quand j’ai tenu à faire une formation sur deux ans pour changer de poste. Il m’a dit "Daphnée, vous n’êtes plus toute jeune pour faire des études d’ingérieure." Ce n’est pas passé. J’ai convoqué la direction, j’ai dit que j’irais porter plainte pour discrimination. J’ai fait ma formation dans une grande école. Mon diplôme en poche, avec deux autres collègues, - un maghrébin, une asiastique -, j’ai fait la couverture du magazine de l’entreprise. Parce que je suis une femme, noire, que j’avais réalisé des études d’hommes pour être ingénieure, ils m’ont mis en lumière. A l’époque ils mettaient en avant la diversité au sein de l’entreprise. Ils étaient fiers. Tout comme moi. Même si je me suis sentie utilisée, je n’en avais que faire, je les utilisais aussi pour poursuivre mon parcours."

Pour Jean-François Amadieu, "si cela a été très lent, les choses sont en train de bouger. Tout n’est pas acquis, - le sujet n’est pas considéré comme suffisamment noble pour une partie des médias et n’est donc pas à l’agenda politique pour que des mesures punitives soient prises. Mais depuis #Metoo, les choses se sont accélérées, assure-t-il. La prise en compte de l’apparence physique dans l’emploi est passée par le féminisme. Imposer aux femmes d’être traitées comme des objets ne passe plus."

Les recrutement sur des critères physiques des hôtesses du Tour de France, de Roland Garros, du salon de l’Agriculture ou du salon de l’Automobile ont été dénoncées l’été dernier par des associations féministes. Le premier pas d’un début de prise de conscience collective ?

(1) Le prénom a été modifié

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