Alors qu'il y a 30 ans l'Inde conservatrice se considère à l'abri de cette "maladie de l'Ouest débauché" qu'est la découverte du VIH en Occident, une jeune étudiante en microbiologie décide de mener sa propre enquête. Sellappan Nirmala, qui a fait l'objet d'un grand reportage de BBC News, fait partie de ces femmes inspirantes et courageuses dont nous avons voulu retracer le parcours.

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Tout commence en 1985 lorsque Sellappan Nirmala cherche un sujet de recherche pour sa thèse. Sa professeure et mentor, Suniti Solomon lui suggère alors de travailleur sur le dépistage du VIH déjà pratiqué aux USA depuis trois ans.

Mais à l'époque l'idée d'un dépistage est considéré comme un événement "impensable" explique t-elle, dans un pays conservateur qui pointe du doigt l'occident "où le sexe libre et l'homosexualité" sont répandus. La presse de l'époque n'hésitait pas à faire la comparaison entre les occidentaux qu'elle considérait débauchés et ses citoyens indiens qu'elle dépeignait comme hétérosexuels, monogames et pieux.

Sans oublier que de nombreux indiens pensaient que les américains auraient trouvé un remède à cette maladie avant qu'elle ne gagne leurs rivages.
Des tests effectués dans la ville de Chennai et la région de Tamoul -où la société est très traditionnelle- ont d'abord corroboré les écrits de la presse : les centaines de tests effectués à l'institut de virologie dans la ville de Pune étaient négatifs.

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Le destin de Sellappan Nirmala



Après quelques hésitations, Sellappan Nirmala, décide de se tourner vers la population dite "à haut risque" que sont à l'époque les travailleuses du sexe, les hommes homosexuels et des étudiants africains. Pour la jeune et timide épouse il faudra aller à la rencontre de cette population pourtant quasi introuvable à Chennai. Dans cette ville de province, il n'y a pas de quartiers "chauds" identifiés.

Sellappan Nirmala s'est dirigée alors vers l'Hôpital Général Madras où des femmes étaient traitées pour des maladies sexuellement transmissibles.

"En fraternisant avec quelques travailleuses du sexe sur place, j'ai pu, par leur intermédiaire, aller à la rencontre des autres femmes. Quand j'ai regardé leurs formulaires à l'hôpital, j'ai observé un "v" sur pas mal d'entre eux. J'ai découvert que c'était un "v" de vigilance à la maison qui concernaient les prostituées à leur domicile et identifiées par les autorités."

Des prostituées régulièrement arrêtées par la police et trop pauvres pour payer la caution. Nirmala raconte qu'elle a ainsi vite pris l'habitude, chaque matin, de passer à la maison d'arrêt pour leur rendre visite avant d'aller travailler.

Pour la jeune femme élevée dans une famille très traditionnelle, mère de deux enfants et destinée à une vie paisible, c'est une révolution. Son regard change sur ces femmes mises au banc de la société.

Le soutien sans faille de son mari, Veerappan Ramamoorthi, qui l'a souvent conduite à la maison d'arrêt sur son scooter pour économiser (sur leurs revenus modestes) le prix de bus, lui a permis d'aller au bout de sa mission.


Pendant plus de trois mois, elle a rassemblé presque 80 échantillons. Inutile de préciser qu'elle ne suivait aucune consigne de sécurité -comme le port de gants- lors de la prise de sang. Les personnes testées n'avient d'ailleurs aucune idée de la nature du prélèvement sanguin.

Je ne leur ai pas dit que je cherchais le virus du VIH" a-t-elle dit. "elles étaient toutes illettrées et  elles n'auraient même pas compris en quoi cela consistait. Elles ont pensé que je prenais des échantillons pour détecter les maladies vénériennes classiques.


Sellappan Nirmala a pu également compter sur l'aide de sa professeur Solomon, qui a créé un petit laboratoire de fortune avec l'équipement emprunté à son mari (chirurgien). Elles y ont effectué une partie -clé- du processus de test. Et faute de mieux, Nirmala a ensuite gardé les prélèvements dans son propre réfrigérateur, qui est devenu le centre de stockage.

Il lui a fallu ensuite, raconte t-elle, se rendre en train avec tous les échantillons (dans la valise) à l'Université Médicale Chrétienne de Vellone, situé à  200km de Chennai.



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La découverte du VIH en Inde

Je ne m'étais jamais vraiment attendue à cela



Le verdict résonne comme une déflagration. les tests effectués sous le contrôle du directeur de département de virologie Jacob T John sont positifs.

"Dr George Babu a ouvert le couvercle et l'a rapidement fermé. "Attention" a-t-il averti. Mais j'avais déjà vu que six des échantillons était devenus jaune. J'ai été abasourdie. Je ne m'étais jamais vraiment attendue à cela."

Les "mauvaises nouvelles" ont été au Premier ministre Rajiv Gandhi en poste à l'époque, puis révélées au l'assemblée d'Etat en mai.

Dans l'opinion publique c'est l'incrédulité. Certains ont mis en doute les tests, d'autres ont dit que les médecins avaient fait une erreur. La jeune femme se souvient des paroles du  directeur d'ICMR (Conseil indien pour la Recherche Médicale) qui lui a dit :
"Ceci est juste la partie visible de l'iceberg. Nous devons nous mettre au travail rapidement"


Les autorités ont lancé un dépistage massif dans le pays avec des programmes de prévention. Au fil des ans, les cas de VIH se sont transformés en épidémie en Inde. Encore aujourd'hui on estime à 2.1 millions le nombre de personnes séropositives.


Après cette découverte Nirmala est retournée à ses études, même si elle a continué à visiter les prostituées dans les maisons d'arrêts.

En mars 1987, elle passait sa thèse -la Surveillance du VIH dans le Tamoul Nadu- puis a rejoint le programme de production de vaccin de l'Institut de Médecine Préventive du Chennai, dont elle est aujourd'hui retraitée.

Exactement 30 ans après que sa découverte de la présence du virus du sida en Inde, Nirmala a fait l'objet de quelques reportages et reste célèbre dans le milieu scientifique. Néanmoins quand la journaliste de BBC News (Geeta Pandey) lui demande si elle considère avoir été re-connue à sa juste valeur, elle répond en toute humilité :


J'ai été élevée dans un village où les gens sont simples. Je suis heureuse d'avoir pu saisir l'occasion de rendre une service à la société