Elisa Rojas est l'autrice du roman Mister T et moi (La Belle Etoile, 2020) et du blog Aux Marches du palais sur lequel elle écrit des textes à propos des problématiques d’accessibilité dans son métier d'avocate et des lacunes dans la représentation des personnes handicapées dans notre société.

Crainte d'une multiplication de violences à l'égard des personnes handicapées

Marie Claire : Quelle est votre réaction face au score du premier scrutin des élections législatives anticipées ?

Elisa Rojas : Je suis sous le choc, sidérée et écœurée. Même si c’était attendu, même si ça nous pendait au nez depuis des années, le coup à encaisser est très rude. J’ai à peine dormi la nuit qui a suivi les résultats.

Comme beaucoup de personnes immigrées – je suis arrivée en France du Chili en 1981 et j’ai été naturalisée à 23 ans –, ces résultats ravivent des blessures et des traumatismes. Je vois toute ma vie et mon parcours en France défiler dans mon esprit.

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Les risques, selon moi, sont la multiplication des violences et crimes de haine à l’égard des personnes handicapées.

Vous avez dit que l’extrême droite au pouvoir, c’est la mort pour toutes les minorités et donc pour les personnes handicapées, pouvez-vous expliquer pourquoi ? 

C’est assez simple, historiquement, ou à l’étranger, jamais l’extrême droite n’a fait autre chose que de mettre en danger les personnes handicapées et de provoquer leur mort. De provoquer leur mort en les délaissant, en leur enlevant toutes aides, tous droits et tout soutien dont elles ont besoin pour vivre, ou de provoquer leur mort en les tuant délibérément.

L’extrême droite a toujours considéré les personnes handicapées comme des êtres inutiles, sans valeur, impures. La dégradation de nos conditions de vie qui a déjà commencé ne ferait que s’accélérer avec le RN au pouvoir et finirait par provoquer des morts.

Quels sont les dangers principaux selon vous de l'arrivée au pouvoir pour les conditions de vie des personnes handicapées ?

Les risques, selon moi, sont la multiplication des violences et crimes de haine à l’égard des personnes handicapées, la perte de nombreux droits qui seront drastiquement conditionnés, une détérioration plus grave encore du système de soin...

"Menacés, comme toutes les minorités"

Vous avez dit sur les réseaux sociaux que la parole des personnes handicapées est ignorée par la majorité des médias depuis la dissolution de l’Assemblée nationale. Que voudriez-vous dire aux journalistes qui nous liraient à ce propos ?

Je trouve absolument incroyable que depuis la dissolution, quasiment aucun média n’ait donné la parole aux personnes handicapées à ce sujet. Comme si cette élection ne nous concernait pas, comme s’il n’y avait pas d’enjeu pour nous, comme si nous n’étions pas menacé·es par l’extrême droite, alors qu’évidemment nous le sommes, comme toutes les minorités et les groupes sociaux qui dépendent particulièrement des politiques publiques.

J’ai envie de dire aux journalistes qu’il est grand temps de nous donner la parole et de laisser entrer dans leur rédaction des journalistes et des collaborateurs et collaboratrices handicapé·es conscient·es des questions liées à la défense de nos droits et des systèmes qui nous oppressent.

Que voudriez-vous dire aux personnes handicapées qui imaginent aller voter pour le RN au second tour ?

Je ne peux pas leur dire que je les comprends. Je ne peux pas comprendre que l’on se mobilise autour d’un projet politique raciste et haineux, et que l’on soit prêt à aller dans le mur de cette façon.

Peut-être pensent-elles qu’elles enverront dans le mur leur voisin, mais elles finiront par se le prendre aussi. Toutes les personnes handicapées qui imaginent que la préférence nationale les aidera, commettent une grave erreur. Tôt ou tard, elles seront rattrapées par la violence, par la haine et l’eugénisme de l’extrême droite.

 Quels espoirs avez-vous pour la lutte contre les violences validistes ?

Je n’ai pas beaucoup d’espoir dans un contexte pareil. Les personnes handicapées qui portent ce combat ont beaucoup de mal à se faire entendre même à gauche.

L’apparition du Covid a qui plus est grandement contribué à déployer un discours validiste de justification de la hiérarchisation des vies. Il traverse tous les courants politiques et constitue, à mon sens, une manifestation de la fascisation de notre société qui n’a pas été suffisamment prise au sérieux.

En réalité, il n’est pas minuit moins le quart, il est minuit cinq depuis un moment.

À quelques jours du vote du second tour, qu’aimeriez-vous exprimer aux citoyens et citoyennes qui vous lisent ?

Ne merdez pas. Si vous avez encore une occasion de voter et d’empêcher le RN d’accéder au pouvoir, faites-le. Faites-le pour vous-même et pour tous les gens dont la vie et l’intégrité physique sont directement menacées par l’extrême droite. 

Les clichés en Une sont signés Charlotte Abramow et ont été publiés dans le numéro spécial du 8 mars 2021 du magazine Marie Claire.