A quoi reconnaissent-ils que c’est de l’amour ?

Par Marie-Claude Treglia
couple reconnaitre l'amour
On dit que ça nous coupe l’appétit, le sommeil, et ça nous sépare du reste du monde. Mais qu’est-ce que ça leur fait, à eux, quand ils sont touchés au cœur ? Onze amoureux de l’amour tombent le masque.

Parler d’amour avec les hommes, c’est toujours décapant. Contrairement à nos a priori, d’abord, ils adorent et sont intarissables sur le sujet. Ensuite, ils ne se défendent pas. Pas langue de bois, pas cliché, ils affichent même une transparence désarmante, comme pour expulser un drôle de sentiment qui n’en finit pas de les surprendre. Partager avec nous, comparer...

Comment tombent-ils amoureux ? Et d’abord, est-ce qu’ils « tombent » ? Qu’est-ce que ça remue en eux, qu’est-ce que ça leur fait faire ? Nous avons passé à la question des hommes de tous bords : des jeunes et des moins jeunes, des beaux mais pas seulement, des séducteurs et aussi des fidèles, des mariés, des divorcés, des pacsés, et des « sur le marché », des hyperactifs hyperintégrés, des bohèmes créatifs, des rêveurs et des hyperréalistes... Grande surprise, par-delà les différences (d’expériences, d’histoires, de tons...) : c’est en fait le même trouble qu’ils évoquent, le même tourment, plus ou moins délicieux mais toujours vertigineux. Peinture, en onze tableaux, du choc amoureux au masculin.

Quels sont les signes d'un homme amoureux ?

  • "L'amour me rend drôle"

Hugues, 43 ans, agent immobilier

« J’ai toujours été cœur d’artichaut. Longtemps même, l’état amoureux a été la vibration qui me faisait vivre. Bien avant les études, le boulot... Quand je suis amoureux, ça se voit tout de suite. Je deviens cotonneux, planant. Je rêve, je construis des plans sur la comète. Je fais table rase de toutes les historiettes autour, je m’embarque avec elle, je fais des projets : aussi bien du romantisme le plus basique (elle et moi sur une île déserte, à l’autre bout du monde) que du plus grand pragmatisme (l’appartement commun, les enfants, la famille)...

Ça bluffe les nanas, j’en fais plus qu’elles. (Rires.) 

Vidéo du jour

Ce que j’adore aussi, dans l’état amoureux, c’est que ça révèle des facettes de moi que j’ignore. Ça me rend drôle, inventif, audacieux. Ça me donne confiance en moi. Malheureusement, j’ai usé et abusé de cette sensation. Je tombe de moins en moins souvent amoureux, comme si j’avais épuisé mon "capital amour". Ça m’attriste. »

  • "J’arrête de faire le paon quand je suis amoureux"

Stéphane, 32 ans, infirmier

« Moi, c’est quand je cesse d’en faire des tonnes. Tant que je fais le paon, tant que je reste dans le numéro de charme, c’est que je suis dans un trip de séduction, sexuel. J’assure, je contrôle. Mais dès qu’il y a un autre enjeu, je ne sais plus jouer. Je suis juste ce que je suis, à l’endroit où je suis. C’est le signe qui ne trompe pas. » 

  • "Je deviens héroïque"

Gauthier, 39 ans, éditeur

« L’amour, ça me donne du panache ! C’est proportionnel à l’état d’intimidation dans lequel ça me plonge. Récemment, avec une femme qui m’inspirait particulièrement et avec qui je ne pouvais être qu’héroïque, je me suis même glissé sur scène, à la fin d’une représentation de "Cyrano", pour piquer la fameuse lettre d’amour, restée par terre. Et je l’ai offerte à ma Roxane. Franchement, ça l’a épatée ! Et moi aussi. (Rires.) »

  • "Quand j'aime, je suis fébrile"

Paul, 37 ans, vendeur

« C’est d’abord un symptôme physique : je suis fébrile. C’est dans le corps, et dès que je reconnais cette sensation, j’ai la certitude d’être "pris". Ma seule défense, alors, c’est d’éviter que la fille, en face, ne le sente. Lors des premiers rendez-vous, j’ai des tas de trucs pour faire baisser la pression : descendre deux stations de métro avant le lieu du rendez-vous, marcher, regarder les vitrines... Très efficace, aussi : arriver en avance et acheter le journal. Lire le malheur des autres en attendant le bonheur qui m’attend... (Rires.) Peut-être. »

  • Je suis prêt à tout.

Laurent, 36 ans, prof 

« Ça m’arrive très rarement, mais quand ça me prend, je suis prêt à tout. Depuis quatre ans, je suis fou amoureux d’une femme "impossible", qui s’est mariée quelques jours après notre rencontre... Mais on est faits l’un pour l’autre, on le sait, elle et moi. Et je l’attendrai le temps qu’il faudra. D’ici là, je grignote tous les instants qu’elle peut m’offrir, je suis tout à elle. Et pourtant, je ne suis pas du genre soumis. (Rires.) La semaine dernière, pour une nuit avec elle – qui était seule en province –, j’ai quitté Paris en fin d’après-midi, après le boulot, et j’ai repris l’avion le lendemain matin. Si c’est pas de l’amour, ça... (Rires.) »

  •  "Quand je tombe amoureux, c’est cataclysmique"

Marc, 38 ans, booker

« Pour moi, l’amour, c’est la rencontre des âmes sœurs. Alors quand ça me tombe dessus, c’est cataclysmique. Avec de vraies manifestations physiques : tachycardie, transpiration, les yeux qui chauffent... Si, si, comme quand les larmes montent. En fait, tu es saisi d’un truc que tu ne maîtrises pas.

Tu as besoin d’assurer, et tu te mets à parler comme un crétin, tu rêves d’une gestuelle à la Gene Kelly et tu te mets à bouger comme le bossu de Notre-Dame...

Rien à voir avec la situation de drague banale. Quand il est face à sa victime, le prédateur ne se pose pas de questions, il fait le cobra. Là, c’est beaucoup plus tordu. Même mon comportement sexuel change quand je suis amoureux. J’ai super envie, bien sûr, mais j’ai besoin de prendre mon temps, de me tranquilliser. Je peux passer des mois en embrassades, "caressades"... Certaines s’en sont inquiétées. (Rires.) Il m’est même arrivé, parce que j’étais obligé de coucher trop vite, d’avaler du Viagra, de peur de ne pas pouvoir. Prendre le temps, c’est aussi ma façon de créer un sas entre elle et celles qui précèdent. De partir sur un autre scénario. »

  • "L'amour, ça me fait un nœud au ventre"

Pedro, 35 ans, serveur

« J’ai aimé des filles, plus souvent des garçons. A chaque fois, la première sensation est la même : un nœud au ventre, quelque chose qui se tord, là (geste vers le plexus)... Les histoires de corps, c’est tellement plus simple. La symbiose est évidente, la jouissance se passe forcément à deux. Il n’y en a pas un qui s’éclate et l’autre qui s’ennuie, ou alors on s’en aperçoit très vite.

L’amour, c’est le royaume de l’interprétation, du malentendu, de l’ambiguïté. L’intrusion du doute. Moi, j’aime tout de lui, je suis prêt à tout donner. Mais est-ce réciproque ? Et si oui, est-ce que je suis à la hauteur ? Pourquoi est-il amoureux de moi ? Il va me lâcher... Bien sûr, il y a le cœur qui palpite à chaque rendez-vous ou à chaque coup de fil, l’impression, quand l’autre est là, de flotter, de quitter terre. Mais aussi tous les vieux démons qui resurgissent. La parano (Qu’est-ce qu’il a voulu dire, là ? Pourquoi il ne rappelle pas ?). L’envie de posséder, l’angoisse, les questions... Bref, c’est pas léger. (Rires.) »

  • "J’achète des fringues, je change les draps... L'amour me donne des envies de changement" 

Hervé, 45 ans, journaliste

 « Pour moi, le signe, c’est quand je pense "petit-déj". On en est à peine au second rendez-vous, je ne sais même pas si on va passer la nuit ensemble, mais je prévois tout : beurre doux et beurre salé (je ne connais pas encore ses goûts), confiture, yaourts, fruits, thé, céréales... et même tartines suédoises, au cas où. (Rires.) 

 Bref, je fais en sorte de maîtriser la situation, alors que je ne contrôle plus rien. J’évite d’envoyer des SMS (si elle met quatre heures à répondre, c’est l’enfer...) ou bien j’en envoie un, le plus neutre possible, avec juste un mot trouble, quand même. Mais cette fille occupe mon périmètre mental. Elle surgit n’importe quand dans ma pensée, pendant que je bosse, quand je marche dans la rue, ou à 2 heures du mat’, alors que je sors d’une fête, même s’il y a une autre nana avec qui j’ai "fait l’affaire"... Elle a ouvert un possible, et ce possible m’intéresse. Je suis prêt à prendre le temps nécessaire et tous les risques qu’il faut. Je descends le pont-levis. Et j’interdis à toutes les journalistes de presse féminine de parler de "lâcheté masculine". Car s’il y a bien un signe, alors, qui ne trompe pas, c’est le courage. » 

L’avis du psy « L'état amoureux est un vrai dérèglement de tout l’être, un vertige. »

  • Marie Claire : Comment expliquer que, malgré leurs différences, les hommes que nous avons interrogés aient des réponses, au fond, si proches les unes des autres ?

Jean-Michel Hirt* : La dominante, c’est que ces hommes perdent pied. Dans un premier temps, un vrai gouffre s’ouvre devant eux. Plutôt attirant, mais suffisamment angoissant pour qu’il y ait un sentiment soudain d’étrangeté délicieuse, provocante, excitante. Un sentiment qui nous laisse désarmés. Et c’est l’une des beautés de la chose : cette innocence qui rend strictement vains, voire encombrants, tous nos calculs et nos stratégies habituels pour posséder l’autre. Alors que l’on doit, en général, paraître actif, là, brusquement, s’impose la bienheureuse révélation de la passivité. Une passivité qui n’est pas du tout dans les habitudes des hommes, et cette découverte les bouleverse. Mais c’est la loi de l’amour, de renverser les représentations que nous avons des rôles. 

  • M. C. : Changer sans rien contrôler... C’est ce phénomène qui donne le vertige ?

J.-M. H. : Oui. C’est pour cela que l’on n’est jamais loin de la pathologie. Celle de la jalousie, de la possession, du sexe... L’amour peut empêcher de manger, de dormir... C’est un dérèglement de tout l’être, dont certains peuvent ne pas arriver à se relever. Il plane toujours à l’horizon la mort possible. Ne serait-ce que la mort d’un moi fermé, limité, notre petit moi de propriétaires de pavillon. (Rires.) L’amour, c’est par définition l’ouverture, des corps, des cœurs. La présence d’un autre en soi qui désormais nous hante. Or on prend des risques dès qu’on ouvre sa porte... Mais quand on l’accepte, c’est un infini qui s’ouvre. D’où ce sentiment de vivre plus fort, plus intensément. 

  • M. C. : Un saut dans l’inconnu particulièrement bouleversant pour les hommes ?

J.-M. H. : Oui, mais c’est aussi ce qui est merveilleux pour eux. Car c’est l’unique occasion qui leur est donnée de sortir de leur réalité phallique. A la différence du simple désir sexuel orienté vers sa seule satisfaction, avec l’amour c’est tout le corps et tout l’être qui sont en érection, qui se trouvent vivifiés. Soudain, l’homme découvre qu’il existe un au-delà du phallus, et c’est un élément extérieur qui le lui révèle. Quoi de plus épanouissant ? Une telle révélation peut même le dispenser de la multiplicité. Une fois libéré de son horizon phallique, il peut se contenter d’une seule femme, il n’a plus besoin de la quantité pour se prouver qu’il est un homme et soutenir son désir amoureux. C’est rare (rire), mais cela arrive. »


(*) Psychanalyste, auteur de « L’Insolence de l’amour, Fictions de la vie sexuelle » (éd. Albin Michel).

[Dossier] Que se passe-t-il lorsqu'on tombe amoureux ? - 10 articles à consulter

La Newsletter Égo

Bien-être, santé, sexualité... votre rendez-vous pour rester en forme.