Peut-on rester amoureuse plus de trois ans ?

Par Sophie Nguyen
l'amour durer trois ans
Pourquoi serait-ce si compliqué, voire perdu d'avance de faire durer l'amour plus de trois ans ? La magie et le cœur qui palpite peuvent-ils survivre à la passion ?

Étirer à l'infini la magie de la rencontre amoureuse, prolonger le temps du mystère, du désir sauvage, des émotions contradictoires où peur et passion s'entremêlent et s'entrechoquent. Rester éternellement amoureuse, dopée à la faim de l'autre, de ses mots, de son corps... Un souhait en forme de fantasme, à en croire les études des neuroscientifiques qui nous ont appris que cette alchimie était non seulement fragile et instable mais aussi limitée dans le temps. Sa durée ? Deux ans ? Trois ans ?

Guère plus, en tout cas. Le temps que la ronde des hormones du plaisir et du désir s'apaise. "L'état amoureux crée une tension, une attente qui active la production d'enképhalines, neurotransmetteurs chargés d'inhiber la douleur et qui préparent le cerveau à la libération de dopamine, hormone du désir, explique la chercheuse en neurosciences Maïté Sauvet1. Cette dopamine va conduire à rechercher le plaisir, qui produit à son tour des endorphines, molécules qui induisent un état de plénitude et de satisfaction tel qu'on n'aura qu'une envie : réactiver le processus qui y mène."

Une chaîne du désir et du plaisir qui caractérise aussi bien l'amoureux que le drogué. D'ailleurs, on dit bien qu'on est « accro » à quelqu'un... Mais cette intensité, aussi excitante et fascinante soit-elle, a un prix, "celle de l'épuisement de l'organisme, ajoute Maïté Sauvet, car nul ne peut prolonger naturellement ce niveau de tension et d'excitation." C'est ainsi qu'après la tempête passionnelle vient le temps de l'apaisement, de l'attachement ou de la rupture. Jean-Michel Hirt, psychanalyste, ajoute que "dans l'amour, il ne s'agit pas de se comprendre mais de maintenir l'altérité". Sensation bien connue : "Après deux ans de passion, Vincent et moi sommes peu à peu tombés dans tout ce qui n'était a priori pas nous, confie Jeanne, 34 ans. Très vite, j'ai eu l'impression de vivre avec son clone, sa version pépère, un peu paresseuse, plus du tout avec l'homme qui me faisait "décoller". Je l'ai quitté après un an de vie commune, sans regrets, et depuis je vis seule."

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L'érosion naturelle de l'amour

Un désenchantement classique qui, selon la psychanalyste et psychothérapeute Martine Teillac2, "naît d'un sentiment d'amertume, voire de trahison, dû au fait de ne plus être considérée comme une femme à séduire mais une femme acquise. Au fil du temps, le regard qui singularisait et valorisait devient plus distrait. Reste alors un quotidien fait de rituels, de contraintes et d'un certain bien-être aussi, mais la magie, l'intensité ne sont plus là. La communication s'érode, elle devient factuelle, on cesse de parler de soi, de ses émotions, d'être curieuse, gourmande de l'autre."

Il y a un deuil du couple d'amants que nous formions que je n'arrive pas encore à faire et que je n'ai pas envie de faire

Autres écueils : la fraternisation, la fusion et la "parentisation". "Dans les trois cas, chacun endosse un rôle mais cesse d'exister dans la singularité de son être, poursuit la psychanalyste. Ces ententes peuvent être durables, solides, apporter confort et sécurité, mais elles signent la disparition du couple amoureux."C'est ce qu'a vécu Hélène, 37 ans, après la naissance de son fils. « Pour André, je n'étais plus qu'une mère. Sa façon de me regarder, de me toucher, ont changé presque du jour au lendemain. Et moi, prise dans ce regard, dans mon rôle de mère, je n'ai pas eu l'énergie nécessaire pour lutter. C'est comme si j'avais déclaré forfait, que dorénavant nous serions parents et conjoints avant tout. J'aime André, mais je ne vibre plus pour lui, je lui en veux même d'être tombé si vite dans le rôle du père-mari. Il y a un deuil du couple d'amants que nous formions que je n'arrive pas encore à faire et que je n'ai pas envie de faire."

Une situation très fréquente, à en croire le psychanalyste Jean-Michel Hirt3. "Si le sentiment amoureux s'éteint chez les femmes, c'est très souvent à cause de cette immense déception : elles étaient amoureuses d'un homme avec qui elles avaient, inconsciemment, l'impression de pouvoir devenir pleinement femme, et elles se retrouvent soudain avec une sorte de fils permanent, en demande de tendresse, de maternage, voire de prise en charge... Plus du tout l'homme censé les arracher à leur statut de fille ou de mère." Pour le psychologue et psychothérapeute Patrick Estrade4, "le sentiment amoureux meurt aussi de mille impolitesses imperceptibles qui, insidieusement, altèrent l'image qu'on a de soi et de l'autre."

Familiarité, paresse, égoïsme... "C'est, par exemple, ne pas fermer la porte des toilettes, se servir la dernière part de tarte sans t'en proposer ou ne pas décoller le regard de la télé quand tu rentres...", égrène, amère, Chloë, 33 ans. 

L'érotisme est d'or pour faire durer le sentiment amoureux

L'amour qui donne des ailes serait-il condamné à ronronner paisiblement ou à s'éteindre doucement ? "Certainement pas, s'insurge Jean-Michel Hirt. On peut faire plus que conserver le sentiment amoureux, on peut lui donner de l'ampleur : tisser une relation érotique qui est un jaillissement de mots, gestes, situations, et qui se nourrit de différence, d'étonnement et aussi, paradoxalement, d'ennui. Mais pour cela, encore faut-il accepter, encourager une forme de distance, de refus du tout-communication. Dans l'amour, il ne s'agit pas de se comprendre, de se connaître, mais de maintenir l'altérité et la créativité." 

Au début, on est amoureux du mystère de l'autre, de ce qu'on projette sur lui, puis avec le temps on prend conscience de la singularité de la rencontre amoureuse et on va aimer, être amoureux de cette rencontre.

Y compris, et surtout, dans la relation sexuelle. "Par définition, le désir est ce qui manque, ce à quoi on aspire, rappelle la sexologue Mireille Dubois-Chevallier. En théorie, il est difficilement compatible avec l'assurance de la présence de l'être aimé. Pour qu'il dure, il doit donc passer à un niveau supérieur. La question des amants : "Quand mon manque va-t-il être comblé ?" se transforme en : "Comment exprimer ce désir ?" Ce qui suppose une attention à la façon dont on va se traiter, se regarder, se parler, s'écouter. Au début, on est amoureux du mystère de l'autre, de ce qu'on projette sur lui, puis avec le temps on prend conscience de la singularité de la rencontre amoureuse et on va aimer, être amoureux de cette rencontre. A partir de là, le sentiment amoureux s'inscrit dans la relation et dure, avec ses inévitables hauts et bas."

Pour la sexologue, si les hommes pèchent souvent par une difficulté à faire preuve de curiosité et d'écoute attentive, les femmes, elles, ont encore trop souvent une attitude d'attente excessive. "L'autre ne peut pas être le grand tout. De nombreux couples vivent dans ce déséquilibre qui génère rancœur et conflits". 

La prise de conscience passe souvent par un premier échec. Comme pour Clara, 42 ans, qui a changé sa façon d'être dans son deuxième couple. "J'attendais trop, mes exigences étaient immenses. Lorsque mon mari m'a quittée, j'ai entamé une psychothérapie qui m'a fait prendre conscience de ma dépendance affective et de ma passivité. Je ne refais plus les mêmes erreurs, je ne pèse plus sur l'autre et, du coup, je reçois mille fois plus." Ne pas faire porter le poids de ses blessures et de ses attentes sur l'autre est non seulement le signe d'une autonomie affective mais également la garantie de ne pas accélérer l'usure du sentiment amoureux.

L'imprévu, un antidote contre la routine

D'autres composantes, comme l'admiration, jouent également un rôle essentiel dans l'état amoureux. Naomie, 39 ans, est retombée amoureuse de son mari alors qu'ils se débattaient dans une situation matérielle difficile. "Je l'ai vu retrousser ses manches, faire preuve de courage, de combativité, d'audace, il a tout fait pour nous sortir de l'ornière. Lui qui était plutôt discret, en retrait, je l'ai vu se transformer en lion, je l'appelle encore "mon super-héros" et nous n'avons jamais autant et aussi bien fait l'amour que depuis."

L'admiration, composante essentielle du désir amoureux féminin, selon Martine Teillac : "Mais ce qu'on ignore, c'est qu'il faut le nourrir. Ce qui a fait tomber amoureuse, c'est une façon de l'autre d'être au monde, pas la couleur de son pull ! Quand on a perdu cette admiration, commençons par nous questionner sur notre responsabilité. Avons-nous trop d'exigences ?" L'idée n'est pas de se culpabiliser et d'exonérer l'autre, mais de s'impliquer dans la relation amoureuse comme un sujet à part entière.

"Au départ, l'autre prend toute la place, il est idéalisé, détaille le psychanalyste Gérard Bonnet5, c'est le temps de la cristallisation. Pour que dure le sentiment amoureux, il faut aussi que cet objet de désir diffus devienne quelque chose qu'on cultive ensemble. Un couple ne peut rester amoureux que s'il entretient des idéaux communs. Des projets, une foi, quelque chose qui le transcendance et qui permette à chacun de se révéler dans ce qu'il a de beau, d'admirable aux yeux de l'autre. Il ne s'agit pas de fusionner mais, au contraire, de cultiver son jardin personnel et de se retrouver pour cultiver un jardin commun."

Il faut parfois aussi compter sur l'imprévu pour que les braises redeviennent flammes. Une mutation professionnelle qui sépare et qui ravive le manque et le désir, un changement de vie radical, la menace d'une infidélité. "Et même une infidélité, affirme Martine Teillac. A condition qu'elle ait été travaillée, digérée et vraiment pardonnée. L'irruption d'un tiers dans le couple oblige à une relecture de la relation, mais elle remet aussi l'autre en objet de désir d'une autre que soi. Et c'est ce qui est à la fois excitant et motivant." Martine Teillac reçoit également nombre de patientes qui lui disent éprouver des coups de cœur en dehors de leur couple, sans qu'il y ait passage à l'acte, qui relancent et intensifient leur désir pour leur compagnon. 

Chaque couple possède dans son histoire l'antidote à la routine, à l'ennui, à l'avachissement de la relation. Dans ce domaine, la chance n'existe pas. Faire preuve de volonté ou fournir des efforts ne garantit rien, au contraire. Il serait plutôt question d'attention, de bienveillance, d'inventivité, et aussi d'être amoureuse de son couple. Sans narcissisme ni exhibitionnisme, mais avec curiosité et gourmandise.

1. Auteure de « Les clés du plaisir » (éd. Chiron). / 2. Auteure de « Pour un couple durable » (éd. Solar)./ 3. Auteur de « La dignité humaine, Sous le regard d'Etty Hillesum et de Sigmund Freud » (éd. DDB)./ 4. Auteur de « Revivre après une séparation » (éd. Alpen)./5. Auteur de « La tyrannie du paraître » (éd. Eyrolles).

Article publié dans le magazine Marie Claire, en mars 2014 - réédité en juillet 2019 

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