"Allez, on y va ! On va réveiller le corps tranquillement, propose Maïva Hamadouche. On monte les genoux devant, droite, gauche, droite, gauche, on fait des rotations en demi-cercle, maintenant on déverrouille les hanches, avec un maximum d'amplitude... C'est bien, puis on déverrouille les coudes en alternance et on commence à sautiller sur place, on respire bien, on ne se bloque pas, chacune à son rythme".

La leçon d'une heure et demie démarre sur un rythme soutenu. "Balèze l'échauffement, ça fait longtemps que je n'ai pas fait de sport", souffle en souriant Marie. "Pas de souci, rien n'est obligatoire, s'il y a trop de fatigue, tu laisses passer le mouvement", la rassure aussitôt la boxeuse professionnelle, qui est également policière. À ses côtés, elle motive Virginie, la seconde élève, qui se concentre sur les mouvements : "C'est très, très bien, ce que tu fais".

Une fois par semaine, la sextuple championne du monde des super-plumes anime un atelier de boxe au centre Flora-Tristan*. Cet établissement, situé dans une ville de la région parisienne, accueille des femmes victimes de violences conjugales et leurs enfants. Il est composé d'appartements de réinsertion et d'un foyer d'hébergement d'urgence pour les mettre à l'abri d'un conjoint violent. Un suivi psychologique et social les aide aussi à reconstruire une vie autonome. La participation au cours de boxe repose sur le volontariat.

"Qu'une femme de la notoriété de Maïva les entraîne est très gratifiant pour elles, explique Nathalie Cornu, la directrice du centre. Quand elles arrivent ici, elles sont détruites, annihilées. Maïva les aide à recontacter les forces vitales qu'elles ont en elles. Je vois la transformation physique à la fin du cours, c'est très émouvant".

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"J'avais envie et besoin de taper fort"

Emma Burlet pour Marie Claire

Ce jour-là, l'échauffement vient juste de se terminer que les sourires et l'énergie illuminent déjà les visages de Marie et Virginie. Il est temps de mettre les gants pour passer à l'entraînement. Direct, crochet, uppercut... les deux apprenties s'initient aux techniques.

"Quand on fait un direct, on monte l'épaule, comme ça, on protège une partie de son visage avec, allez vas-y !", explique Maïva. Virginie fait un direct, deux, trois, quatre, cinq, six, sept, huit, neuf, dix. "Très bien". Elles passent à l'uppercut. "On descend sur les jambes, en arrière, comme si on allait s'asseoir et on remonte vers le haut. On essaie ?". Marie envoie des coups de plus en plus fort sur le gant de la boxeuse. "Yes, parfait !".

Malgré la sueur et l'essoufflement, les deux mères de famille n'ont pas envie de faire de pause. Quand vient l'exercice du chassé latéral, leurs coups de pied partent vigoureusement. "De l'amplitude dans la jambe, je ne dois pas pouvoir vous approcher, les filles !". Message reçu. Marie, 39 ans, s'est "bien défoulée, ça fait vraiment du bien". Au début, Virginie explique qu'elle était "un peu dans la retenue. Mais Maïva félicite beaucoup, ça motive, je me dis : 'Tiens, je ne suis pas si nulle.' Et en fait, j'avais envie de taper et besoin de taper fort".

Pour que ses élèves se sentent en sécurité dans son cours, Maïva Hamadouche fait "attention à tout". Aujourd'hui, elle porte une veste rose pâle. Elle ne met jamais de rouge car la couleur "est un peu agressive". Concernant la musique, elle en choisit une légère, "Madonna, par exemple", et tonique "mais jamais de techno ni de rap", à cause de la violence de certains textes.

"Pour savoir si elles ont mal quelque part, je demande si elles ressentent une gêne dans leur corps, je n'emploie pas le mot 'blessée' : cela peut leur rappeler des violences physiques subies", détaille-t-elle.

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Boxer pour reprendre confiance en soi

Emma Burlet pour Marie Claire

L'objectif n'est pas d'en faire des boxeuses aguerries, ni de leur apprendre à faire face à une agression : "Une femme de 50 kilos ne peut pas battre un homme de 80", dit celle qui, du haut de son 1,62 m et de ses 59 kg, fait pourtant passer un très mauvais quart d'heure aux hommes avec qui elle s'entraîne dans son club.

Il s'agit de les aider à regagner de la confiance. Avec les exercices précis, techniques, dynamiques, Maïva Hamadouche met "quand même un peu de difficultés car je sais qu'elles peuvent y arriver. Et le but est qu'elles prennent conscience de leurs capacités à remonter la pente. En les voyant progresser, je me prends aussi au jeu, je suis leur première supportrice !". Virginie le perçoit : "On sent qu'elle nous voit comme ça".

Autant la sportive de haut niveau est intarissable sur son engagement et les bienfaits de la boxe pour ces femmes à l'existence abîmée, autant elle esquive les questions sur son parcours cabossé à elle.

Son accent a gardé la trace d'Albi, où elle a grandi, mais elle passe vite sur son "enfance difficile". Pour le reste, elle dit être "née à 17 ans", après avoir quitté le domicile parental. En classe de terminale, elle a été hébergée dans un foyer de jeunes travailleur·ses : "Je sais ce que c'est d'être très isolée. Je comprends ces femmes qui n'ont plus rien et arrivent en urgence avec leurs enfants sous le bras".

Durant cette période, elle cumule préparation du bac, petits boulots pour survivre – elle fabrique des maillots de foot, fait des ménages dans des entreprises, livre des pizzas... Le concours réussi de l'École de police et sa passion de la boxe la sauvent. "La boxe m'a beaucoup aidée à me dépasser, à franchir les étapes et à serrer les dents quand il fallait, raconte-t-elle. Elle a été une bouée de sauvetage en quelque sorte. Ses aspects bénéfiques ont fonctionné sur moi".

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Une championne aux multiples combats

Emma Burlet pour Marie Claire

La jeune femme a mis la même pugnacité à mener à bien son projet au centre Flora-Tristan que celle qu'elle déploie dans les combats et dans sa vie personnelle. Elle vient d'ailleurs de réussir l'écrit du concours d'officier de la police nationale et se verrait bien intégrer le Raid (Recherche, Assistance, Intervention, Dissuasion).

Dans son travail de policière – elle fait partie d'une compagnie d'intervention à Paris – elle "gère surtout les auteurs de violences". Elle souhaitait avoir davantage de contacts avec les victimes. En 2020, en plein Covid, elle trouve donc sur Internet ce foyer pour femmes pas très loin de son domicile et débarque sans s'annoncer.

Elle explique sa démarche via l'interphone sous la surveillance de la caméra. Elle a beau décliner son CV, le grand portail reste verrouillé. "Une vraie forteresse ! Je me suis dit : ouah, les situations doivent être très compliquées pour qu'il y ait une telle protection". Plusieurs échanges de mails seront nécessaires pour décrocher un premier rendez-vous.

Sans surprise, il faut plus d'obstacles que ça pour arrêter celle qui est surnommée "El Veneno" (le poison) sur les rings, et elle a su convaincre. Elle pose désormais un jour de congé pour dispenser bénévolement son cours. "Ma hiérarchie me soutient et me libérerait du temps mais je tiens à mon travail de policière".

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"Je suis fière de vous"

Emma Burlet pour Marie Claire

La générosité de la championnede boxe tombe à pic. Le foyer est financé par des fonds publics mais il s'agit d'une petite structure : l'expansion des grandes associations qui, bien que non spécialisées sur cette problématique, se taillent de plus en plus la part du lion dans les subventions, fragilise son budget.

"Nous avons l'expertise de la violence conjugale, explique Nathalie Cornu. Pour la mener à bien, il est nécessaire de bien connaître le fonctionnement de l'emprise, l'ambivalence dans laquelle sont placées les victimes, les allers-retours avec le domicile avant de pouvoir le quitter pour de bon... Évidemment, nous coûtons plus cher. Nous sommes ouverts 24 heures sur 24, avec un accueil de nuit, etc. Pour l'instant, nous résistons grâce à nos compétences, mais jusqu'à quand ?".

Historiquement, la structure a d'abord été un refuge pour "femmes battues" comme on disait alors. Première du genre en France, elle a été fondée en 1978 par deux militantes du Mouvement de libération des femmes (MLF) : Simone Veil, ministre de la Santé, l'a subventionnée, puis Yvette Roudy, ministre des Droits de la femme, a débloqué les fonds pour l'achat de cette grande maison blanche qui l'héberge jusqu'à aujourd'hui.

Dans la salle de réunion reconvertie en salle de boxe, Marie et Virginie envoient des uppercuts sous le regard bienveillant et combatif de Gisèle Halimi : un portrait de l'avocate qui a consacré sa vie à la cause des femmes est accroché au mur.

Ce vendredi midi, la leçon touche à sa fin... presque. Il faut encore s'étirer, croiser la jambe pour les fessiers, détendre les épaules en respirant. Avant d'enchaîner sur son entraînement personnel quotidien, Maïva Hamadouche distille ses derniers conseils : "Surtout, buvez bien de l'eau, les filles, les courbatures arrivent en général deux jours après". Et elle tient aussi à prodiguer ses compliments : "Vous avez bien travaillé. Je ne vous ai pas ménagées parce que je sais que vous pouvez le faire et vous l'avez fait. Je suis fière de vous, bravo !". 

Reportage publié dans le magazine Marie Claire n°850, juillet 2023

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