Psychothérapie à médiation corporelle, somatoanalyse, soins de guérison par le toucher… Au cœur des nombreuses formes que peut prendre la somatothérapie, une star et une seule : le corps, tout en sensibilité.

Stress, anxiété, dépression légère, burn-out, inhibition, douleurs chroniques… toute personne qui souffre d’un trouble ou d’un mal être psychique, émotionnel ou physique peut bénéficier d’un soulagement grâce à l’approche inventée par le Dr Richard Meyer. Il y a une quarantaine d’années, le médecin psychiatre, psychanalyste et sociologue réalise à quel point le corps est négligé dans les psychothérapies ; une lacune qui limite l’efficacité de ces dernières.

Dès lors, il œuvre toute sa vie, jusqu’à aujourd’hui, pour faire une place à ce grand oublié des professions de l’accompagnement.

Au fil des ans, le visionnaire met en place un ensemble de protocoles psychocorporels, consignés dans une quinzaine d’ouvrages. Ces techniques sont synthétisées sous les noms-ombrelles de "somatothérapie" et de "somatoanalyse" (psychanalyse qui intègre le corps, en formule individuelle ou de groupe). Toutes hybrident les principaux courants de la psychothérapie en s’adressant constamment à notre sensibilité corporelle, qui devient, de fait, la médiatrice du soin.

Le corps garde la mémoire de nos émotions refoulées

Fondement de la somatothérapie ? Le corps conserverait rigoureusement les émotions que nous refoulons, comme l’explique avec clarté Francis Lemaire dans son ouvrage Le Corps Mémoire.

Selon le psychosomatothérapeute, à chaque fois que nous sommes soumis à un événement pénible à vivre, une émotion se soulève. Peur, colère, tristesse… le ressenti peut être si fort pour nous-même ou réprimé par notre entourage que nous "choisissons" de le contenir, de le retenir.

"Face aux difficultés que nous rencontrons dans notre vie relationnelle, professionnelle ou familiale, nous adoptons le plus souvent une stratégie de refus des émotions, de mise à distance affective ", décrit-il.

Serrer la gorge, nouer le ventre, étrangler la colère, ravaler ses larmes etc. Face à l’incapacité de l’être à "digérer" l’émotion, le corps l’engrange, comme une mise en suspens. Ces réflexes musculaires et influx nerveux demeurent ancrés dans la chair (au coeur des fascias, à en croire certains experts). Une mémorisation inconsciente s’accumule ainsi depuis notre plus tendre enfance et même avant, plus subtilement.

Un refoulement émotionnel dicté par les conventions sociales

Ce comportement nous est inculqué massivement, à notre insu. "Dans notre société, l'expression de l'affectivité est souvent réprimée. Cette répression va de pair avec le fait d'exclure de la réalité dite normale une forme de mémoire qui s'exprime prioritairement à partir des sensations corporelles, sans intermédiaire verbal dans un premier temps", constate Francis Lemaire. 

On continuerait ainsi à souffrir des blessures que l'on cherche à ignorer. Par exemple, si j'ai incorporé le sentiment ou la sensation que je n'arriverai pas à dire ce que j'ai à dire, ou que je ne serai pas écoutée (parce que c'est comme ça que j'ai appris à connaître le monde) j'ai souvent deux attitudes à ma disposition : soit je me tais, et je continuerai à penser que personne ne m'écoute. Soit, je deviens agressive pour essayer de faire passer ce que je veux dire, mais cela provoque chez l'autre une réaction de défense, il se met sur ses gardes, ce qui l'empêche de m'écouter vraiment.

Dans les deux cas, mon appréhension est confirmée. 

Ce n'est pas le monde qui doit changer, mais notre monde intérieur, celui de nos représentations.

Dans cette situation, plutôt que d'accepter le fait de ne pas avoir été entendue un jour, je passe mon temps et mon énergie à vouloir changer le monde, à vouloir faire en sorte que les autres m'écoutent et, comme ça ne change pas, je recommence. "On ne comprend pas tout de suite que ce n'est pas le monde qui doit changer, mais notre monde intérieur, celui de nos représentations. Ces dernières peuvent venir d'un passé très lointain et on n'a pas toujours ni la conscience, ni les mots pour les exprimer", poursuit le thérapeute.

Mais le corps lui, se souvient de tout cela et sa manière de nous faire accéder à la mémoire, c'est de nous faire revivre les situations qu'il n'a pas pu accepter. 

Les traumas traversent le psychisme, l’émotionnel puis se nichent dans le corps

Cette vision résonne avec les recherches du célèbre psychanalyste Wilhelm Reich dès la première moitié du XXe siècle. Selon le disciple dissident de Sigmung Freud, nos blocages se cristallisent dans différentes parties du corps, sous forme de "cuirasses" qui se formeraient dès la vie intra-utérine et jusqu’à l’âge adulte.

"Les expériences qui ont marqué notre vie et qui ont créé notre histoire personnelle se sont inscrites d’abord dans notre psychisme pour se transformer en courant d’énergie émotionnelle, puis dans le physique pour s’y loger", abonde Marie Lise Labonté dans son ouvrage Au cœur de notre corps (Éditions de l’Homme).

La psychothérapeute et conférencière a créé la Méthode de Libération des Cuirasses©, fruit de ses recherches sur la relation intime entre le corps et l’esprit. Ce travail psychocorporel mené par elle-même sur elle-même lui aurait permis de guérir d’une maladie dite incurable il y a près de 40 ans.

Libérer l’énergie émotionnelle en laissant la parole au corps 

Inutile de nous perdre dans des tentatives d’analyse de nos problèmes (traduisez : par les thérapies uniquement verbales) … "les maux engrangés par le corps continuent à se réactiver à longueur de temps, pour différentes raisons", prévient Barbara Masri, somatothérapeute et auteure de Libérez-vous de vos conflits intérieurs (Le Dauphin). D’après la pro qui exerce depuis 23 ans, comprendre les raisons des douleurs ou du mal-être ne suffit pas à supprimer les sentiments qui se sont enkystés au moment du trauma.

D’autant que ce dernier peut s’étendre sur des années, comme lorsqu’on partage sa vie avec une personne qui nous maltraite. "Sans intégration du corps dans le processus de soin, la thérapie peut virer aux miroirs aux alouettes", regrette-t-elle.

Je garde de cette séance la prise de conscience choc que le temps ne passe pas sur la douleur. On ne fait que la mettre sous le tapis mais elle reste intacte.

À l’inverse, un vrai travail sur le corps évite de se réfugier dans le mental. "Il permet de revenir dans la réalité des faits et des ressentis. Quand je pose mes mains sur le corps d’une personne allongée sur la table de travail, elle éprouve un retour à soi immédiat. L’esprit s’arrête à l’endroit où l’on est touché", décrit Barbara Masri. "Les gens sont d'ailleurs nombreux à apprécier le fait d’être moins dispersé en quittant le cabinet".  

Flore, 29 ans, reste bouleversée par sa première séance : "la somatothérapeute qui m’a reçue est d’une très grande douceur. Je me déshabille et m’allonge sur la table de massage. Quand elle pose ses deux mains sur mon ventre, je fonds en larmes immédiatement. Je n’aurais jamais imaginé qu’il soit possible d’être touchée avec autant de respect. À chaque fois qu’elle déplace ses mains, elle me demande ce que je ressens. J’ai des flashs de moments douloureux de mon adolescence ; ces bouffées de souvenirs sont des mélanges d’images et d’émotions", se remémore la jeune femme. 

"Je garde de cette séance la prise de conscience choc que le temps ne passe pas sur la douleur. On ne fait que la mettre sous le tapis mais elle reste intacte. J’ai décidé ce jour-là d’aller à la rencontre de mes émotions".

Choisir d’embrasser nos ressentis et nos émotions

Éviter… d'éviter. "D'une certaine manière, cela s'apprend, mais on ne peut pas dire que cela soit une technique. C'est plutôt un choix", considère Francis Lemaire dans son livre. Solution ? Faire corps avec cette émotion que l’on refuse. Et comme on ne sait généralement même pas qu’on la refuse, il s’agit faire corps avec ce refus.

"Accepter parfois que je ne sens rien, que j'ai peur des autres, du regard des autres… et dans un premier temps, je peux m'arrêter là, car en exprimant cette peur, j'ai amorcé le mouvement de l'intérieur vers l'extérieur", décrit-il. Exprimer cette peur ne suffira pas pour l'annuler, mais la reconnaître comme une partie de nous rend possible la libération.

Quand mes mains vous touchent, vous aussi, vous touchez mes mains à travers votre peau.

Peu à peu, le travail aide à mettre en place une nouvelle manière de réagir. "Plutôt que de me contenir, de me tendre pour tenir, de me recroqueviller à l'intérieur, à travers le sens du toucher je peux expérimenter une autre manière que j'appelle aller à la rencontre. C'est tout simple, quand mes mains vous touchent, vous aussi, vous touchez mes mains à travers votre peau", évoque Francis Lemaire.

Certaines personnes resteront sur leur "quant-à-soi" ; d’autres auront la curiosité de ressentir la qualité de ce qui les touche. En allant sentir au-delà de la surface de leur peau, elles vont du même coup à la rencontre de ce qui avait fini par être inhabité en elles.

"Ce toucher peut permettre de vous habiter à nouveau, quitte à rencontrer des zones sensibles, qui ont pu être blessées mais qui méritent votre attention et présence plutôt que votre oubli", explique le pro. Le toucher peut aussi aider à contenir ce qui nous semblait trop vaste, trop fort, et nous permettre de nous relâcher face à ces sensations qui nous ont un jour submergé. 

Pas question de forcer les choses

Il s’agit plutôt de laisser apparaître les émotions réprimées qui nous empêchent de vivre pleinement. Celles qui n'ont pas pu se vivre, et donc vous croyez encore qu'elles sont invivables. Petit à petit, quand on laisse s'exprimer ce qui cherche à s'exprimer de soi, l’expérience de la vie est bien plus vivable, respirable.

"Sur cette table et sous ces mains, j’ai pu exprimer des émotions si douloureuses qu’elles m’apparaissaient comme un gouffre terrifiant. En sortant du cabinet, toutes mes perceptions me semblaient étranges, mais je me sentais extraordinairement légère. Comme si j’entrais dans une nouvelle vie", témoigne Flore.

Somatothérapie : plusieurs approches de la discipline

Il existe une multitude d’approches pour redonner la main au corps. En face à face, au détour d'une phrase, d'un souvenir qui affleure à la surface, pendant un massage ou d’autres formes de soins.

Dans l’Aveyron, au centre de ressourcement dont il est le directeur pédagogique, Francis Lemaire propose par exemple des séances de relaxation accompagnée en eau chaude ; un bon support selon lui pour laisser "remonter" les émotions.

Travail sur les émotions ou les cinq sens, massage, musique, danse… les voies de la somatothérapie sont nombreuses ; elles peuvent se suivre en individuel, en couple, en famille, en groupe.

"Nos cursus de formation couvrent une vingtaine de méthodes différentes", confirme le Dr. Richard Meyer, qui a fondé dans les années 90 l’École européenne de psychothérapie socio et somato-analytique (EEPSSA).

L’établissement strasbourgeois fait aujourd’hui autorité en Europe en la matière. Il a formé plus d’un millier de professionnels installés en France ou en Europe, y compris des personnes qui ne sont pas forcément médecins ou psychologues. Certains élèves viennent d’autres disciplines de soin pour approfondir leurs compétences. Par ailleurs, de plus en plus de profils de reconversions professionnelles s’engagent.

"La médecine a répertorié près de 700 méthodes de psychothérapies. En réalité, il y en a beaucoup plus. Les somatothérapies sont nombreuses pour répondre aux différents besoins du corps et de l’être" estime le père de la discipline protéiforme. Selon lui, les formations dispensées dans son institut s’appuient sur des bases scientifiques. En fonction de leur niveau, elles permettent de proposer des thérapies courtes (une dizaine de séances) remboursées par certaines mutuelles privées. Ces cycles peuvent être complétés par un protocole plus poussé, "par exemple si la personne souffre de troubles de la personnalité" précise le fondateur.

Dans le viseur de la Miviludes

Une fois diplômés, les somatothérapeutes et psychosomatothérapeutes sont autonomes. "Je ne peux pas les contrôler. Ces profils de professionnels sont plutôt individualistes. Ils travaillent seuls, oublient rapidement leur école d’origine. Certains gardent le contact avec moi, d’autres non", convient le Dr Meyer.

Des profils particulièrement affranchis proposent même leur propre cursus de formation, notamment à travers des écoles de massage. "Sur le millier de professionnels formés, un seul a été condamné - heureusement- en procès pour des massages sur le ventre qui dérapaient…", déplore-t-il.

Les personnes qui consultent des psychosomatothérapeutes ont face à elles des gens qui n’ont pas de diplôme reconnu en psychopathologie et ne sont pas capables de mesurer la gravité des troubles.

Autre contrariété essuyée par le petit milieu de la somatothérapie : le certificat de "psychosomatothérapeute" délivré par l’école lui a valu à l’automne 2022 une interpellation par la Miviludes. Raison ? Contournement du titre réglementé de psychothérapeute, officiellement réservé aux médecins et aux psychologues diplômés d’un Master 2. Ceux qui ont le droit au sigle Adeli (gage d’enregistrement à l’Agence Régionale de Santé, ARS).

Le titre créé de toute pièce par l’ancien psychiatre a soulevé une vague d’inquiétude au syndicat des psychologues. Nathalie Seigneur, alors permanente du Syndicat national des psychologues (SNP), évoquait ainsi que ce titre peut faire croire à des individus en détresse qu’ils consultent un psychologue : "en réalité, elles ont face à elles des gens qui n’ont pas de diplôme reconnu en psychopathologie et ne sont pas capables de mesurer la gravité des troubles". (Source : rue89strasbourg.com, 06.02.2023).

Selon elle, même si ces pratiques font certainement du bien à des personnes et que de nombreux thérapeutes ont de bonnes intentions, le métier de psychologue ne s’improvise pas, il nécessite cinq années d’études et un diplôme réglementé par la loi.