L’avènement des thérapies ciblées, qui ont commencé à apparaître à la fin des années 1990, a ouvert la voie aux traitements personnalisés du cancer. Ces médicaments peuvent être utilisés seuls ou en association avec d’autres approches thérapeutiques, en complément d’une chimiothérapie, d’une immunothérapie ou d’une radiothérapie par exemple.

Leur intérêt est immense : ils offrent une perspective de guérison à des patient.es en impasse thérapeutique et génèrent beaucoup moins d’effets secondaires indésirables que la chimiothérapie par exemple.

"Ces thérapies permettent en effet de bloquer efficacement la croissance ou la propagation d’une tumeur précise tout en préservant au maximum les cellules saines alentours", explique le Pr David Khayat, ancien chef du service d’oncologie de l'hôpital La Pitié-Salpêtrière à Paris et auteur de Prévenir et soigner le cancer pour les nuls (éd. First). Une rupture avec la stratégie du bazouka.

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Une médecine de grande précision

Une cellule devient cancéreuse lorsqu’elle acquiert une ou plusieurs anomalies au niveau moléculaire qui la conduisent à devenir incontrôlable et à se diviser de manière anarchique. Si ses altérations ne sont pas réparées ou éliminées par l'organisme, la cellule "délinquante" prolifère jusqu'à donner naissance à une tumeur.

Les thérapies ciblées visent précisément ces anomalies (un gène muté ou une protéine défectueuse) afin de bloquer leur multiplication et d’épargner un maximum de cellules non cancéreuses. Rien à voir avec les chimiothérapies qui visent des caractéristiques que l’on retrouve autant chez les cellules cancéreuses que dans beaucoup de cellules saines, "toutes les cellules en division rapide notamment, comme celles des cheveux, du sang ou des muqueuses digestives", souligne le Pr Khayat.

Les thérapies ciblées provoquent ainsi moins de dommages collatéraux, mais elles ne sont pas totalement inoffensives pour autant. Elles peuvent engendrer des nausées, des éruptions cutanées ou encore des troubles du transit, selon la toxicité de chaque médicament. Leur facilité d’administration est en outre remarquable : elles se prennent souvent par voie orale (sous forme de gélules ou de comprimés), alors que nombre de chimiothérapies sont réalisées par voie intra-veineuse.

Les immunothérapies relèvent encore d’une autre approche : elles ne partent pas directement à l’assaut des cellules "anormales" mais boostent le système immunitaire pour que le corps puisse lutter par lui-même contre le cancer.

Des traitements sur mesure

Le choix d’une thérapie ciblée n’est pas lié à la localisation de la tumeur mais à la spécificité moléculaire des cellules cancéreuses qui la composent. Un même médicament peut donc être employé contre des cancers nichés dans des organes très différents s’ils présentent des mutations identiques. A contrario, deux cancers du sein ou deux cancers des poumons ne peuvent pas forcément être combattus avec la même thérapie si les altérations de leurs cellules diffèrent.

Les caractéristiques génétiques de chaque tumeur doivent ainsi être décryptées en laboratoire pour savoir si elle est éligible ou non à une thérapie ciblée. À cet effet, des plateformes de génétique moléculaire des cancers ont vu le jour. Il en existe aujourd’hui 28 en France. Réparties sur l’ensemble du territoire, ces dernières sont devenues incontournables pour cartographier les cancers et déterminer la stratégie de traitement la plus adaptée.

Deux types de thérapies ciblées coexistent : les unes attaquent directement les cellules cancéreuses en visant des récepteurs présents à leur surface, les autres bloquent leur capacité à induire la formation de nouveaux vaisseaux sanguins, indispensables à leur ravitaillement en oxygène et en nutriments.

Un tournant décisif pour les leucémies myéloïdes aiguës

Ce cancer du sang, qui touche 3 000 personnes environ par an en France, est parfois réfractaire aux traitements classiques. Les malades présentant une mutation de l’enzyme IDH1 (10% d’entre eux) disposent désormais d’une nouvelle option hyper efficace : une thérapie ciblée qui bloque les mutations responsables de l’apparition de la leucémie myéloïde.

Une étude publiée en avril 2022, pilotée par l’Institut Gustave Roussy, a démontré l'efficacité du traitement couplé à une chimiothérapie. Le risque de rechute est diminué de 67 % et la survie des patient.es est triplée comparée à ceux qui n’ont été soigné.es que par chimiothérapie (24 mois au lieu de 8 mois). Autre bénéfice considérable : 38 % des patient.es sont en rémission complète après 24 semaines de traitements, contre 11 % auparavant. Du jamais vu.

Une révolution contre les tumeurs pulmonaires

"Le cancer du poumon est la première cause de décès par cancer en Europe", précise David Khayat. L’essor des thérapies ciblée change totalement la donne pour ceux qui affichent certaines mutations, notamment celle du gène EGFR (Epidermal Growth Factor).

L'administration d’un médicament dirigé contre cette anomalie – un inhibiteur de l’enzyme tyrosine kinase – permet désormais de réduire fortement le taux de rechute. Quand ce traitement est dispensé à un stade avancé, son efficacité reste limitée dans le temps. "Mais si les patients sont traités juste après la chirurgie de la tumeur, leur risque de rechute est diminué de plus de 80%", indique le Pr Nicolas Girard, oncologue pneumologue responsable de l’Institut du Thorax Curie-Monsouris.

Des progrès en vue contre le cancer du sein triple négatif

Une nouvelle combinaison de traitement associant thérapie ciblée – l'Olaparib - et radiothérapie semble porter ses fruits contre le cancer du sein triple négatif. Les essais cliniques, orchestrés par l’Institut Curie, sont en effet prometteurs. Leurs premiers résultats, publiés en octobre 2022 dans la revue scientifique Jama Oncology, montrent une réduction significative des tumeurs chez les femmes atteintes par ce cancer, dont le pronostic est défavorable.

"Cela n’avait jamais été fait chez l’humain", assure le Pr Youlia Kirova, oncologue radiothérapeute à l’Institut Curie. L'Olaparib avait prouvé son efficacité sur un modèle expérimental, mais c’est la première fois qu’il a été utilisé pour booster les effets de la radiothérapie chez des malades.

La Haute Autorité de santé (HAS) vient par ailleurs d’autoriser l’usage d’une nouvelle association médicamenteuse – thérapie ciblé + chimiothérapie – dans le traitement des cancers du sein métastasiques qui expriment faiblement le gène HER2. Ce traitement fait des merveilles sur ces tumeurs très agressives: il améliore la survie sans progression de la maladie chez 75,8 % des patientes, contre 34,1 % auparavant. Son utilisation est à l’étude pour d’autres types de cancers (poumon, estomac ou côlon).