Témoignage : "Je n'arrive pas à arrêter la coke"

Par Caroline Rochet
femme drogue addiction
La consommation de cocaïne galope en France*. Chloé, 36 ans, fait partie des addicts, même si elle en connaît les risques. Elle nous raconte comment elle veut aujourd'hui trouver la force de s'en passer.

"Je me souviens à peine de ma première ligne de coke. C'était pour essayer, pour rigoler avec les copines, dans une soirée. J'avais 23 ans. Ça ne m'a pas marquée outre mesure, et c'est d'ailleurs ce qui est pernicieux avec cette drogue.

Cocaïne… Le mot fait peur, on s'en fait tout un monde, et la première fois qu'on essaie, presque déçu, on se dit : "Quoi, c'est ça la fameuse drogue dure ? Ça fait moins d'effet qu'un pétard !" D'ailleurs, je n'en ai pas vraiment repris après cette soirée, ou alors très sporadiquement. Ça ne me plaisait pas tellement.

Je faisais beaucoup la fête et, excepté l'héroïne, j'étais partante pour essayer la plupart des drogues proposées à l'occasion – LSD, champignons hallucinogènes, MDMA, ayahuasca… C'est comme ça qu'un soir j'ai réessayé la coke. Et, je ne sais pas pourquoi, cette fois ça m'a plu. C'était il y a cinq ans, et là je suis réellement tombée dedans. 

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Synonyme de fête

J'en ai très vite repris dès que j'en ai eu l'occasion, puis j'en ai acheté moi-même, et la coke est devenue synonyme de fête. Je sortais, je "tapais" comme on dit. J'aimais ce coup de speed, cette impression d'être alerte, et puis l'effacement magique de la fatigue. J'adorais ces moments, à l'heure de l'apéro, où on sort la bouteille de rosé, face au coucher de soleil… et hop, on prend un "rail".

On sent ce petit goût métallique descendre dans la bouche, et soudain jaillit cette énergie dingue, cette concentration, ce sentiment de puissance tout à la fois… Une illusion, bien sûr. Dont je ne peux plus me passer aujourd'hui. 

Je me demande parfois si mes excès ne sont pas une stupide réaction de rébellion datant de l'adolescence

Une fois qu'on a les bons contacts, pas besoin de s'aventurer dans une cité glauque ni de risquer un contrôle dans la rue : les dealers, qui ont tous les styles, livrent à domicile, comme pour une pizza ! J'ai plusieurs bons numéros dans mon mobile. On commande à plusieurs, généralement 1G pour deux personnes pour la soirée, et on reçoit notre petit colis dans les trois heures maximum. A domicile ou au boulot, discrètement bien sûr.

Excès et rébellion

Ma sœur jumelle m'accompagnait souvent dans mes virées – elle bosse aussi dans la pub, mais comme directrice artistique. Pour l'empêcher d'y prendre goût, je lui ai caché mon addiction. Evidemment, elle a voulu tenter l'expérience, et elle est devenue accro à son tour. Ça, ça m'a fait mal. Nous sommes très proches. Je suis née quelques secondes avant elle, et peut-être parce qu'elle était plus petite en taille, ou plus timide, j'ai toujours eu envie de la protéger. Je me sens responsable et coupable de sa propre addiction. 

Mais j'ai continué. Pourquoi ? Comment j'en suis arrivée là ? Je viens d'un milieu bourgeois, et nos parents, médecins, n'ont pas été avares de discours de prévention. On nous a bien répété que la drogue et l'alcool étaient dangereux. Je me demande parfois si mes excès ne sont pas une stupide réaction de rébellion datant de l'adolescence. Déjà, à l'époque, je fumais comme un pompier. A 14 ans, je sortais tous les samedis prendre une cuite en boîte, après avoir fait le mur.

Dans de nombreux établissements à la mode, une mineure bien sapée entre facilement… Tout ce qui était interdit m'excitait. Peut-être que ces beuveries précoces et systématiques m'ont donné un profil d'addict ? Est-ce que même sans boire je serais devenue dépendante à la coke de toute façon, question d'époque et de milieu ?

"Ça me fait peur"

Je n'ai pas vraiment touché aux drogues avant l'approche de la trentaine. Peut-être aussi parce qu'à l'époque la coke circulait moins facilement. J'ai fait mes études en école de commerce sans jamais qu'on ne m'en propose. Et même dans ma première agence de publicité, je n'ai rien vu qui colle au cliché des créatifs qui carburent à la coke.

Mais désormais, ma sœur "tape" plus que moi, quasiment tous les jours, même le matin, avec le café, avant d'aller travailler. Ça me fait peur. C'est donc d'abord pour elle qu'aujourd'hui j'ai envie d'arrêter, pour l'inciter à m'imiter. Bien sûr, il y a d'autres raisons : des amis qui s'inquiètent pour moi, qui me mettent sérieusement en garde.

Et puis mon nez qui commence à me faire mal. Il y a aussi tous ces matins brumeux où je me dégoûte : quand je vais me coucher, épuisée, pâteuse, à l'heure où les gens emmènent leurs gamins à l'école, tandis que j'ai picolé et pris de la coke toute la nuit. Sans compter le prix**, qui grève mon budget.

 

Le piège de la coke

Mais tout ça ne pèse pas lourd quand j'ai l'occasion de sniffer, entourée de gens qui en consomment aussi. Si je suis tentée, dans mes périodes de sevrage, je me persuade d'ailleurs que tout le monde en prend et que ce n'est pas grave. C'est ça le piège de la coke : on ne se sent pas en danger. Les personnes qui, à ma connaissance, ont arrêté, l'ont décidé parce qu'elles se sont fait très peur – une crise de tachycardie, par exemple. Ou bien un de leurs proches a fait une crise cardiaque, voire s'est suicidé. Pendant la "descente", quand la coke ne fait plus effet, on peut avoir des idées suicidaires…

Et moi j'ai peur pour ma sœur chérie, sa santé, sa carrière, sa vie de femme. Or je ne peux pas la supplier d'arrêter si je n'y arrive pas moi-même. Question de crédibilité et de soutien. Alors, depuis six mois, je change doucement. J'ai ralenti ma consommation de cigarettes, je me suis mise à courir alors que je n'avais jamais fait de sport de ma vie, je ne m'expose plus n'importe comment au soleil… Bref, j'arrête de tout faire pour avoir un cancer !

Tiens, ai-je précisé que mes parents sont cancérologues ? Une amie me dit que c'est peut-être de là, aussi, que tout vient. J'ai entendu tant d'histoires de cancers que, depuis l'adolescence, je suis persuadée que je mourrai du crabe à 50 ans. Alors pourquoi prendrais-je soin de moi ? Griller au soleil, fumer, picoler, me droguer, rouler très vite sur ma moto… c'est faire des doigts d'honneur à la mort.

Sauf que j'ai désormais 36 ans. Je mûris et je réalise que même si la vie est une loterie, ce n'est pas très malin d'en faire n'importe quoi.

Lentement mais sûrement

Régulièrement, j'efface de mon téléphone les numéros des dealers, je balance mon dernier gramme dans les toilettes. Je me suis même filmée en train de le jeter, afin de visionner la vidéo sur mon téléphone en cas de tentation. Mais voilà… Chaque fois que je suis résolue, solide, il suffit de quelques verres pour tout oublier et recommencer. Ce qu'il faudrait, en fait, c'est arrêter l'alcool – avant la cocaïne, ou en même temps –, car c'est lui le diable.

Je bois pour le plaisir de l'ivresse, et l'alcool appelle la coke. Mais je change, je le sens, lentement mais sûrement. Je ne peux pas passer, du jour au lendemain, d'Amy Winehouse à Mère Teresa, mais j'évolue. C'est dans cet esprit que j'ai accepté de raconter mon histoire, en espérant que la voir imprimée me fera l'effet d'un électrochoc et me poussera à arrêter pour de bon. J'aimerais aussi la faire lire à ma sœur, afin qu'elle arrête avec moi. Je voudrais voir si nous en sommes capables.

* Multipliée par cinq en vingt ans, selon le dernier baromètre santé de l'Observatoire français des drogues et des toxicomanies, en partenariat avec l'Institut national de prévention et d'éducation pour la santé.

** Environ 80euros/g

Témoignage publié initialement dans le magazine Marie Claire en juillet 2015, réédité en octobre 2019

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