Lorsque l’on tape les termes “Syndrome de Peter Pan” dans la barre de recherche Google (comme ça, pour voir), l’une des premières suggestions que le moteur californien nous indique est la suivante : “syndrome de peter pan michael jackson”. Et pour cause, reclus dès qu’il le pouvait à “Neverland”, son propre parc d’attractions grandeur nature, le feu Roi de la Pop, aujourd’hui accusé d’agressions sexuelles sur mineurs, n’a cessé de clamer à qui voulait l’entendre qu’il refusait de grandir et de quitter l’insouciant monde des enfants, à l’image du célèbre héros de l’écrivain écossais James Matthew Barrie dont il enviait le monde imaginaire. “Dans mon coeur, je suis Peter Pan”, aurait-il même déclaré. 

Théorisé en 1983 par le psychanalyste américain Dan Kiley, le syndrome de Peter Pan désigne en effet cette angoisse voire ce refus d’endosser le rôle d’adulte et surtout, comme le précise la psycho-clinicienne Veronica Olivieri*, “d’endosser les responsabilités professionnelles, sentimentales, personnelles attenantes.” Car si le Peter Pan continue effectivement de jouer à la Nintendo, de brosser les cheveux de sa Barbie et de collectionner les peluches ses 30 ans révolus, il se révèle également incapable d’exercer un emploi, de vivre une relation de couple ou encore de quitter le nid familial. Les décrivant comme des êtres “narcissiques, émotionnellement immatures, socialement irresponsables et dépendants”, l’ouvrage précurseur de Dan Kiley se concentrent toutefois seulement sur “ces hommes qui ont refusé de grandir.”, occultant les membres de la gent féminine qui seraient aussi touchées. 

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Peter… et “Princesse Pan”

En effet, selon notre spécialiste, il n’y a rien qui prouve que les garçons seraient plus susceptibles d’être atteints du syndrome de Peter Pan que les filles. “Il y a énormément de femmes qui fuient aussi longtemps que possible les responsabilités dites “d’adulte” et qui préfèrent rester autocentrées, puériles et vivre sans contraintes”, confirme Tracy Moore sur le site féministe américain Jezebel, évoquant le concept de “Princesse Pan”.

Après tout ce temps passé à être dépendant [de ma mère], être indépendant est non seulement difficilement mais me semble aussi complètement anormal

Accro aux émissions de télé-réalité et aux histoires sans lendemain, cette alter-ego de l’ado attardé scotché à FIFA se distinguerait par un égocentrisme sévère, une aversion aux compromis, une incapacité totale à s’engager (même pour un dîner) ou encore par un certain sentiment d’immortalité qui les pousse moins à investir dans un loft ou des fringues branchées que dans une assurance décès. C’est du moins le portrait-robot sarcastique que Tracy McMillan, écrivain et scénariste, dresse de ces femmes-enfants modernes dans un article du Huffington Post US. Cette description n’est d’ailleurs pas sans nous rappeler Young Adult, un film dans lequel Charlize Theron joue une “adulescente” de 37 ans, au rythme de vie étudiant et à la garde-robe régressive, persuadée entre deux gueules-de-bois qu’elle va récupérer son amour de lycée. Une comédie qui, au-delà de ses scènes hilarantes, pointe du doigt les faiblesses psychologiques de ces accros à l’enfance.

Adolescence sacrifiée ou enfance choyée ? 

Qu’elles soient des générations actuelles ou antérieures, hommes ou femmes, les personnes atteintes du syndrome de Peter Pan présenteraient “de façon latente et pas toujours manifeste des carences narcissiques, d’amour et de confiance en soi”, nous explique Veronica Olivieri. En effet, aussi paradoxale que cela puisse paraître, ces sujets ont généralement été privés d’une adolescence normale, ayant été forcés de passer brusquement de l’enfance à l’âge adulte, suite à un évènement personnel ou familial.

Dans d’autre cas, ce sont des personnes qui ont vécu un violent traumatisme qui a pu briser trop tôt leur innocence lorsqu’ils étaient plus jeunes. Pour se protéger, ils maintiennent alors inconsciemment le niveau de développement de leurs émotions au stade enfantin, se confortant, en dépit des années qui passent, dans un monde régressif artificiel. Dans le cas de Michael Jackson par exemple, il était de notoriété publique que le chanteur, bête de scène à l’enfance sacrifiée, avait de surcroît subi les maltraitances physiques de son père dès son plus jeune âge. 

À l’inverse, d’autres spécialistes pointent la présence parfois étouffante de certains parents qui, à force de materner et de surprotéger leurs progénitures, les rendraient incapables d’assumer quelconque responsabilité. “Quand j’étais petit et ado, ma mère “micro-manageait” tous les aspects de notre vie, à ma soeur et moi. Je faisais avec, par confort. Mais aujourd’hui, en tant qu’adulte, je me sens désemparé. Après tout ce temps passé à être dépendant, être indépendant est non seulement difficilement mais me semble aussi complètement anormal”, confesse Mike sur un groupe Facebook consacré au syndrome. En effet, dans un article de Science Daily, Humbelina Robles Ortega, professeur de psychologie à l’université de Grenade, explique que ces enfants n’ont pas pu développer les capacités de bases, nécessaires à leur survie dans le monde adulte, et se confortent alors dans l’oisiveté adolescente et le confort du cocon familial.

Génération Kidult 

Une tendance d’autant plus forte dans nos sociétés contemporaines que la jeunesse, cette période de temps qui débute à la fin de la scolarité obligatoire et se termine à l’accès au premier emploi stable, est en perpétuelle croissance. En plus de l’allongement de la durée des études supérieures, les post-ados décrochent généralement leur premier CDI à 27 ans, contre 20 ans en 1950. Une insertion sur le marché du travail fastidieuse, qui doublée d’un contexte de crise socio-économique et d’un bouleversement des valeurs post-matérialistes propre à la génération Y, désincitent les vingtenaires à embrasser l’âge adulte tel qu’on le conçoit traditionnellement. Résultats : ces kidults (ou “adulescents”) oscillent entre deux âges, deux univers et peinent à se construire personnellement, socialement ou encore professionnellement. 

En découle une forte souffrance et un sentiment d’isolement chez les personnes les plus touchées, que l’absence de reconnaissance par la psychologie clinique vient particulièrement renforcer. “Nous avons besoin que ce soit reconnu afin que nous puissions être aidés mentalement et financièrement !”, revendique Clara sur le même groupe Facebook. En effet, plus le sujet se sent en décalage avec le monde des adultes, plus il s’isole dans son propre univers imaginaire, et plus il est difficile de se “reprendre en main”. “En soit, la peur de devenir adulte touche tout le monde et dans toutes les cultures. C’est la forme pathologique de cette crainte qui doit faire l’objet d’un travail psychothérapique”, souligne Veronica Olivieri. Adulte : quel mode d’emploi ? Visiblement, c’est votre psy qui vous le dira.

*Veronica Olivieri, psychologue clinicienne et psychothérapeute, reçoit dans son cabinet à Paris, dans le 16e arrondissement.