Philosophe, écrivain, enseignant, Charles Pépin s’est essayé avec succès à la bande dessinée avec Jul, - La Planète des sages et Cinquante Nuances de Grecs (Ed. Dargaud) -, anime depuis 2010 un séminaire philosophique à Paris, - "Les lundis philos" avec l'Institut Mk2 -, nous a appris, en essayiste, les vertus de l’échec et de la confiance en soi, tout en écrivant des romans. 

En janvier dernier, il s’est lancé dans une nouvelle aventure : un podcast sur Spotify, Charles Pépin : une philosophie pratique*, qui propose une réflexion philosophique accessible à tous, connectée à la société actuelle et aux problématiques de notre quotidien. Pourquoi un podcast ? "Parce que, dit-il, j’avais très envie d'avoir une autre relation à la philosophie. Je fais beaucoup de conférences, j’ai été prof de lycée pendant 20 ans, je voulais parler philosophie de façon plus intime, comme si je chuchotais à l'oreille des gens".

Vidéo du jour

Chaque semaine, il nous propose de réfléchir à ce qui embellit ou fragilise notre quotidien, à la joie dans l’adversité, à la beauté du monde, à la vraie liberté ou à notre capacité d’émerveillement. La philosophie comme boite à outils pour mieux vivre l’incertitude, affronter ses peurs mais aussi pour apprendre à se faire des amis, réussir ses échecs, remettre en question ses habitudes ou s’interroger sur la place du sexe dans notre esprit… A l’heure du confinement, ce podcast est plus que jamais une bouffée d’oxygène. Entretien.

Marie Claire : Le titre de votre podcast, "une philosophie pratique", dit tout...

Charles Pépin : J'ai toujours fait de la philosophie existentialiste, on va dire pratique. Cela ne signifie pas qu’il n'y a pas de réflexion métaphysique ni spirituelle, on s'intéresse aux répercussions existentielles concrètes. C’est la philosophie que pratiquaient les Grecs, les épicuriens, les stoïciens, les cyniques : c’était à la fois des spéculations théoriques et de la sagesse pratique.

La philosophie n’a-t-elle pas un peu remplacé la psychologie ?

Je ne parlerais pas de remplacement. Quand on lit Nietzsche ou Hegel, certains de leurs enseignements sont de type psychologique. Il n'y a pas de frontière nette et il ne devrait pas y en avoir. J'ai une grande pratique de la psychanalyse à la fois en tant que lecteur et patient, et ma compagne est psychothérapeute. Ça me passionne depuis toujours. Quand j’étais au lycée, l’année de ma terminale, j’ai traversé des situations familiales compliquées, j’ai alors reçu la philo comme un soutien, un boosteur et une consolation.

On a du mal à associer Nietzsche ou Schopenhauer à la joie de vivre. Peut-on être philosophe et léger ?

Au 20ème siècle, des philosophes comme Clément Rosset, prof de Joann Sfar, ou Gilles Deleuze étaient des bons vivants, très drôles. Mais si on regarde l’histoire de la philosophie, vous avez raison, beaucoup de philosophes ont eu du mal à vivre. Comme Nietzsche qui a été pourtant un très bon guide de vie. Il a écrit dans Zarathoustra, cette phrase géniale que je cite souvent : "Plus d’un qui n’a pu se libérer de ses propres chaines a su néanmoins en libérer son ami".

Parfois on possède une forme de sagesse parce qu'on s'est débattu avec de nombreux problèmes et même si on n’a pas réussi à les régler, on a appris beaucoup pour aider les autres. Comme ces psys très névrosés qui sont excellents ou ces prêtres qui font de sublimes prêches sur l’amour alors qu’ils sont aigris et plein de ressentiment. Je ne leur jette pas la pierre. J'essaye d'être plus fidèle à moi-même dans l’existence mais c’est un idéal, un horizon pas une réalité…

Je pense que la joie est possible même dans l'adversité et dans ce monde complexe

Beaucoup de questions de votre podcast ‘’Comment bien se comporter quand les temps sont durs ?’’, ‘’Comment vivre l’incertitude ?’’, ‘’Que faire de nos peurs ?’’, résonnent avec ce que nous traversons actuellement…

Depuis l'Antiquité, on réfléchit sur nos peurs : Comment les apprivoiser ? Comment en faire des moteurs ? Aujourd'hui, avec ce reconfinement, les attaques terroristes, la dérive écologique, on est mal loti. Il me semble que la responsabilité des philosophes est d’aider à penser l'incertitude pour mieux la vivre.

Je vais un peu plus loin, je pense que la joie est possible même dans l'adversité et dans ce monde complexe. J’essaie de réaliser un podcast assez joyeux sans pour autant être le ravi de la crèche. J'essaye d’être lucide et de ne pas positiver à outrance, mais la lucidité n'empêche pas la joie.

Confinés, confrontés à l’incertitude, comment pouvons-nous nous évader?

La grande erreur serait d'être trop angoissé par le présent au point de ne plus faire de projets. Se dire "Je ne sais même pas si je pourrais partir à Noël, retrouver ma famille en province, aller en vacances en février, garder mon boulot dans 3 mois… " Ce serait une terrible erreur parce que l'humain est fait pour se projeter dans le futur, Sartre parlait du "projet de l'existence".

Même si le présent est entravé, il faut continuer à se représenter l'avenir. Dire à l’autre : "Je ne sais pas quand on pourra repartir en vacances ensemble, mais ce qui est sûr, c’est qu’on ira là-bas, cet endroit que nous aimons tous les deux."

Et puis évidemment, il faut s'évader. C'est le moment de se souvenir de notre vie intérieure très riche grâce à la culture, la littérature, le cinéma…

Il est difficile de ne pas être atteint par ce climat anxiogène…

Oui mais nous, les humains, sommes capables de nous représenter autre chose que ce que nous vivons. C’est ce qu’on appelle l'imagination, ou la représentation ou la projection. En fait, le drame aujourd’hui est d’être trop sur les réseaux sociaux, dans le diktat du présent ou du commentaire d'actualité. Je préconise d'écouter les informations à très petites doses. C'est trop anxiogène avec un effet d'emballement de la mauvaise nouvelle. Voyez la manière dont, chaque jour, les chiffres du Covid sont annoncés au JT, comme si pour être responsable, il fallait être pessimiste.

Je suis contre cette façon de voir les choses d’où ma responsabilité d’apporter de la joie de penser, je n’ai pas envie d’ajouter quoi que ce soit à la complainte généralisée. Je propose de couper un peu les réseaux sociaux et les médias et d’ouvrir un livre de Camus.

Il semblerait que les femmes s’adaptent mieux à cette crise, qu’en pensez-vous ?

Avec le télétravail et le confinement, des choses sont à réinventer dans la sphère de l’intime. Je me méfie des généralités genrées, toutefois je veux bien imaginer que certaines femmes ont un plus grand talent dans l'agilité et la réinvention du quotidien. 

Les raisons en sont historiques : les hommes qui ont été habitués à être créatifs et inventifs en dehors du foyer ont peut être gardé cette mauvaise habitude, dans ce cas, il faudrait qu’ils changent.

Et pour vous qu’a changé cette crise ?

Ça me donne envie de ralentir et de moins prendre l'avion, si on l’avait fait plus tôt, cette épidémie locale ne serait pas devenue mondiale. Et d’écrire des livres avec un impact social plus fort.

Philosophiquement, j’avais tendance à traiter de sujets plutôt esthétiques ou métaphysiques. Après l’échec, et la confiance, mon prochain livre sera sur la rencontre. J’ai envie de parler de ce qui aujourd’hui nous touche dans notre quotidien.

* Podcast Charles Pépin : une philosophie pratique