Après Triompher des emmerdes, Foutez-vous la paix et commencez à vivre, le philosophe et fondateur de l’Ecole de méditation Fabrice Midal publie Comment rester serein quand tout s’effondre (Ed. Flammarion). Un titre qui tombe à pic, notamment pour les parents qui se demandent comment parler à leurs enfants du monde qui les attend.  

Marie Claire : Qu’avez-vous envie de dire aux parents qui doivent rassurer leurs enfants,  leur ouvrir des perspectives, alors qu’ils peuvent avoir eux-mêmes le sentiment que tout s’effondre (réchauffement climatique, crise économique liée à la COVID-19, violence gratuite…)

Fabrice Midal : Il faut se souvenir que depuis toujours, l’humanité a traversé des catastrophes. Nos grands parents ont vécu la montée du nazisme, et nombre d'entre eux pouvaient être arrêtés et tués à n'importe quel moment. Dans les années 60, ils ont connu la guerre froide et la menace nucléaire.

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L'humanité n'a donc jamais cessé d’assister à l'effondrement du monde qu'elle a connu, et elle a toujours trouvé des ressources pour surmonter les pires difficultés. Lors de l’accession d’Hitler, beaucoup de gens aussi avaient le sentiment d'être impuissants, mais il y en a quand même qui se sont levés pour résister. Aujourd’hui comme hier, il y a une sérénité à faire son devoir d’être humain quelles que soient les circonstances.

Pas toujours facile de cacher ses angoisses à ses enfants face à un avenir incertain…

Mais il y a des inquiétudes qui sont justes et nécessaires, et la grande erreur, c’est de croire qu'on devrait tous s’efforcer d’être toujours contents, souriants, sereins,  de "gérer son stress" (enfants compris), comme disent les spécialistes du développement personnel. Au contraire, il faut expliquer aux enfants qu’avoir peur, ça fait partie de l’existence. Pour inventer de nouveaux repères, il faut d’abord plonger dans le réel, et regarder sa peur en face, pour la rendre constructive. Alors quand on est parent,  soit on se contente de gérer le quotidien parce qu'on est angoissé par le contexte actuel, soit on fait le choix de faire notre part, et d’essayer de transmettre à nos enfants ce qui fait le sel de l'humanité : cet espoir sans lequel je ne me lèverais pas de mon lit le matin. 

Sinon pourquoi soigner un enfant malade si je suis certain que la fin du monde est pour demain ?  J'ai fait mienne cette belle réplique attribuée à Luther. Interpellé par un homme qui lui demande ce qu'il ferait si la fin du monde était pour demain, il lui répond: "Je planterais quand même un pommier."

Est-ce que les parents protègent trop les enfants à un moment où il faudrait au contraire leur dire "bats-toi" ?

Oui. C'est important d'encourager l'enfant à prendre des risques, à partir à l'aventure.  En bas de chez moi, il y avait un terrain où des enfants  et ados faisaient du skate.  Certes, ils allaient au-delà des limites et des frontières du possible pour réaliser des figures éblouissantes, pour se prouver qu'ils pouvaient. Je regardais leur bonheur, l'élan de vie qui se manifestait en eux, avant, après, et surtout pendant chaque exploit. Ce spectacle me disait la vérité de l'existence humaine.

La mairie a mis des plots pour les empêcher de continuer,  car elle trouvait tout ça dangereux, même s’il n’y avait jamais eu d’accident grave  sur l’esplanade, à part peut-être un muscle froissé, une épaule déboitée. Mais pour les édiles, c'était déjà trop... et il n'y avait pas de garantie qu'un accident plus grave ne se produirait pas dans l'avenir. Mais Il n'y a pas de garantie non plus qu'en traversant la rue, je ne me ferai pas écraser par un chauffard !

C'est emblématique de notre société qui, pour protéger les gens, veut supprimer tous les risques, tout contrôler, et finalement, nous apprend l'impuissance.  Mais est-ce vraiment de la sagesse  de supprimer un espace de skate, quand des jeunes ont besoin de partir à l'aventure, ne serait-ce que sur une esplanade, au cœur d'une ville ?

La plupart des parents souhaitent le maximum de sécurité pour leurs enfants…

Certes, mais il y a une génération d'enfants qui ne sera jamais montée aux arbres, parce que des parents inquiets préfèrent les laisser jouer à des jeux vidéo toute la journée plutôt que les laisser explorer leur monde, quitte à s’écorcher un peu les genoux. Mais c’est ça la vie, prendre des risques.  Et puis faire. Pas à pas. Confectionner une tarte aux pommes, jouer un morceau de musique parce qu’on a appris le solfège et fait des gammes, réaliser un exposé devant la classe lorsqu’on est timide…on n’y arrive pas tout de suite, mais quand on réussit, ça rend heureux.

Chaque petite victoire, quel que soit le domaine, me donne de l'allant, de l'enthousiasme, me prouve que j'ai la possibilité d'y arriver, même si je n'ai pas la garantie de réussir. Je vais découvrir que j'ai en moi la capacité de rebondir. Je vais convoquer des forces au plus profond de moi. Oui, je vais rencontrer des difficultés, mais réussir à surmonter même de toutes petites épreuves, comme toutes les épreuves, donne le goût pour la vie. Le bonheur, c’est faire des efforts productifs, créatifs. 

Prendre des risques…Justement, l’actualité est régulièrement émaillée de faits divers  particulièrement violents, qui  suscitent une vive émotion dans la société. Que dire à des enfants et des ados qui peuvent être témoins de violence  ou d’agression ?  "Montre que tu es courageux.se" ?

Il n’y a pas de réponse toute faite, on ne peut pas savoir à l’avance. Je dirais qu’il faut prôner la "phronésis aristotélicienne" : la sagesse pratique. Parfois, on peut se défendre, s’interposer. Parfois, il faut appeler, crier, fuir. Le travail de la méditation sur la présence à la situation, et la présence d'esprit dans le moment, m'aide à savoir quoi faire. Face à un groupe dans une rue, je ressens l’atmosphère ambiante.  J’écoute mes sensations, mon intuition

En un clin d’œil, on perçoit en effet beaucoup d’informations, on fait instinctivement une analyse complète de la situation, donc il faut se faire confiance. Il arrive souvent qu’on sente qu'il ne faut pas aller ou rester là,  qu’on devrait partir, mais on ne s’écoute pas. Il faut se fier à  ses impression, après on sait si on s'est trompé ou pas.

La méditation peut-elle aider les enfants et les jeunes à faire face à un avenir opaque ?

Oui, mais pas la méditation utilitariste  qui est présentée partout, c’est-à-dire une méthode pour se calmer, rester zen, faire le vide dans sa tête, entrer dans une sorte de bulle et finalement se couper de ses émotions. La méditation pour moi, au contraire, c’est entrer dans le réel, en rapport avec ce qu’on vit, avec l’expérience qu’on traverse, qui peut être inquiétante, troublante. Ce n’est pas le contrôle de soi, la gestion du stress, comme si nous étions des machines qu’on peut réguler.

Pour aider les jeunes, notamment en difficulté,  à dépasser leur angoisse, leur hyper-susceptibilité, et trouver leur voie, je donnerais un conseil de lecture : "Et si la méditation était la solution ? Répondre aux besoins et désirs des ados", un guide de Mathieu Brégégère, formateur d’éducateurs spécialisé et enseignant en méditation dans les grandes écoles et des lycées (Ed. Leduc.S). Les adolescents vont hériter d’un monde dangereux, en crise. La  méditation peut les aider à mobiliser leur force et atouts, à garder la flamme.

Comment rester serein quand tout s’effondre (Ed. Flammarion)