La respiration holotropique, une technique tendance qui peut entraîner de graves complications pour la santé

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respiration holostropique
En vogue sur TikTok, l’expérience du souffle hyperventilatoire promet une stimulation rapide, directe, puissante… mais dangereuse.

En finir avec les troubles dépressifs ou psychosomatiques, dépasser les blocages inconscients et même faire revivre notre naissance… des milliers de tiktokeurs vantent les effets chocs de la respiration holotropique. Cette technique consiste à inspirer et expirer sans interruption en accentuant l’inspiration, sur un fond musical rythmé.

Les données scientifiques manquent encore pour confirmer ses bienfaits. Les rares recherches qui affleurent sur internet sont réalisées sur un nombre très limité de personnes. L’étude la plus récente (janvier 2023, Cell Report Medicine) avance que pratiquer au quotidien 5 minutes de ce type de respiration associée à la méditation en pleine conscience améliorerait l’humeur et réduirait l’anxiété. "Cette technique montrerait actuellement de bons résultats dans certaines thérapies psychiatriques encadrées par des professionnels de santé", note la kinésithérapeute et professeur de yoga Sandy Alcouffe.

Mais sans accompagnement professionnel, cette technique de stimulation respiratoire est risquée et peut entrainer de graves complications pour la santé. 

Du Rebirth au Breathwork, 60 ans de polémiques

Formalisée dans les années 70, la respiration holotropique (en anglais Holotropic Breathwork) est une technique qui engendre un état modifié de conscience. Créée par Stanislav Grof (psychiatre tchèque, co-fondateur de la psychologie transpersonnelle), elle est censée clarifier différentes facettes de l’inconscient en faisant émerger le souvenir des traumatismes psychologiques anciens.

Son but : aider à lâcher prise sur le passé pour tourner la page et mieux vivre. L’expérience se pratique le plus souvent en groupe, pendant 3 à 4 heures, selon un protocole strict écrit par le fondateur. Les thérapeutes (ou "accompagnants") doivent justifier d’un cursus spécialisé.

La respiration holotropique est très vite adoptée par les baba cools californiens sous ses différentes formes. La plus célèbre d’entre elles, le "Rebirth", s’affirme comme une méthode de régression thérapeutique : selon le crédo de son fondateur Léonard Orr, la naissance serait un conglomérat de traumatismes qui entretiendraient inconsciemment nos angoisses tout au long de notre vie. Comme la respiration holotropique, le Rebirth aiderait à lever le voile du refoulement post-traumatique pour recouvrer l’énergie de nos émotions primordiales. Elle est vite décriée pour sa brutalité et les problèmes physiques et émotionnels qu’il peut susciter.

Quelques décennies plus tard, le Breathwork, un autre dérivé, arrive en France ; les cours de sa créatrice Susan Oubari font un carton. La personnalité inspirante de l’Américaine fait passer les sensations physiques désagréables au second plan ; même les salles de sport commencent à mettre la technique de développement personnel au planning. En 2023, l’arrivée de la respiration holotropique sur TikTok lui offre une caisse de résonnance inédite. La voilà présentée en activité "cool" à tester dans notre salon, avec la musique à fond… quitte à finir en hurlant face caméra. 

Hallucinations et accélérations sensorielles

"J’ai pleuré pendant toute la séance". "J’ai fait une syncope et suis restée dans un état semi conscient pendant au moins dix minutes". "Mes bras étaient totalement tétanisés, recroquevillés sur ma poitrine, j’ai paniqué".

Nombreux sont les témoignages qui confirment que l’expérience peut être perturbante, voire dangereuse. Les techniques hyperventilatoires génèrent en effet des états de conscience altérés largement documentés. "La diminution de la quantité de dioxyde de carbone dans le sang rend ce dernier plus alcalin. Le rythme cardiaque, le taux de cortisol (hormone du stress dans le sang), et l’activité neuronale augmentent", décrit Sandy Alcouffe. Effets secondaires notoires : étourdissement, bouche sèche, engourdissement des mains, des bras et des jambes, voire tétanie.

@breathwrk did you guys know that all you need is your breath to get trippy? ? #holotropicbreathwork #foryou ? original sound - Breathwrk

D’après l’instructeur de yoga, de méditation et de spirothérapie Samuel Ganes, la variation des proportions de gaz dans le sang réduit les réflexes respiratoires et déclenche une vasoconstriction (contraction des vaisseaux sanguins), qui abaisse le flux sanguin cérébral. Ce mécanisme dérègle le rythme cardiaque et le rythme respiratoire.

Prolongée ou trop répétée, elle peut se révéler dangereuse lorsqu’elle est utilisée par un gourou, un leader ou un maître manipulateur.

Au bout d’environ 15 minutes, le cerveau, moins irrigué, se retrouve légèrement endommagé ; apparaissent alors des accélérations sensorielles et cognitives, voire des hallucinations que l’on attribue à une perte neuronale. "En mourant, les neurones libèrent des neurotransmetteurs, qui sont interprétés comme des messages par les neurones voisins encore vivants" décrit le thérapeute ayurvédique et auteur de Spirothérapie (Ed. Solar). 

C’est pourquoi, selon lui, l’hyperventilation est en réalité une technique ancienne qui a toujours été populaire dans les milieux ésotériques mais aussi dans certaines thérapies alternatives, comme le yoga kundalini, la respiration holotropique ou ses dérivés. "Prolongée ou trop répétée, elle peut se révéler dangereuse lorsqu’elle est utilisée par un gourou, un leader ou un maître manipulateur, qui va l’utiliser aux dépens des participants", prévient le thérapeute.

Des transes respiratoires aux effets psychoactifs

Sur le même principe, en yoga, certains pranayamas (techniques de méditation basées sur le souffle) comme Agni Sara et Bhastrika sont de véritables "transes respiratoires", d’après Samuel Ganes. Dans les textes anciens, elles sont considérées comme difficiles et peuvent même se révéler dangereuses si elles sont pratiquées trop intensément. "Des saignements de nez voire des malaises sont souvent observés, ainsi que des effets délétères sur le cerveau et le comportement", affirme-t-il.

La respiration holotropique agit très vite car la montée de l'oxygène dans le sang excite les neurones, un peu sur le même principe que les drogues. "L'ironie de l'histoire est que Stanislas Grof a élaboré son protocole de respiration holotropique pour sevrer les individus qui prenaient beaucoup de LSD. Il s'est rendu compte que les hyperventilations étaient psychoactives et avaient exactement les mêmes effets que certains psychotropes", relate Samuel Ganes, qui accompagne notamment via la spirothérapie des personnes qui souhaitent se déshabituer du chemsex (prise de drogues lors des rapports sexuels).

Des saignements de nez voire des malaises sont souvent observés, ainsi que des effets délétères sur le cerveau et le comportement.

Bien pratiquées, certaines techniques respiratoires plus douces permettent de contrer progressivement les sensations de manque.

Malheureusement, de nombreuses personnes sont séduites par la respiration holotropique car elles recherchent des stimulations directes, puissantes. Les dérives induites par sa surmédiatisation peuvent desservir les autres protocoles de bien-être basés sur le souffle. "C'est dommage car la respiration guidée est une méditation active qui peut faire des miracles", rappelle Samuel Ganes.

Elle est accessible aux personnes qui ont une mobilité réduite et ne peuvent pas bénéficier de tous les effets du yoga postural. Elle est aussi recommandée quand on a un mental galopant, du mal à faire le vide dans la méditation.

Au-delà de 15 minutes, des dommages potentiels sur le cerveau

À en croire l’instructeur en pranayamas, les hyperventilations sont les seules techniques respiratoires risquées. Aussi, les individus qui encouragent à les expérimenter sur les réseaux sociaux sont dangereux ou inconscients : "la respiration holotropique rend les gens addicts. Les études montrent qu'au-delà de 15 minutes, elle est dommageable pour le cerveau".

Le pro recommande de la pratiquer 2 ou 3 minutes maximum, par exemple pour stimuler la sensation de vigilance et d'éveil le matin. "Dès qu’on sent que la tête tourne, on arrête, ou on négocie une descente douce en accentuant tout simplement l’expiration. Mais si on continue, on passe un seuil physiologique qui fausse l'évaluation des récepteurs nerveux qui gèrent notre respiration et on n'arrive plus à redescendre car on est on est high", analyse Samuel Ganes.

On reviendra tôt ou tard à la normale, mais en traversant des émotions et des sensations extrêmes. Or, la personne peut ne pas être capable de gérer psychiquement les perturbations émotionnelles déclenchées. Pour naviguer de manière stable, sécurisée, il faut d’abord pratiquer en compagnie d’un instructeur qualifié, en toute conscience.

Dans les séances de breathwork accompagnées, le ou la professionnel.le peut nous dire d’arrêter quand c’est pertinent ou orienter le travail afin qu’il soit efficace sans être nocif. 

Attention aux pathologies cardiovasculaires

"Si la sur oxygénation ainsi installée ne fera pas de vrais dégâts physiologiques chez un sujet en bonne santé, le danger est réel pour les personnes qui présentent certaines pathologies", souligne l’expert du souffle Yves Vincent Davroux, auteur de Respithérapie (Ed. Leduc). "Des apprentis sorciers en respiration guidée ne tiennent pas compte de l'hypoxie réelle créée sur le cerveau et des conséquences potentielles sur le système cardiovasculaire. Je suis toujours sidéré d’entendre des amis raconter qu'on leur a fait commencer leur cours de yoga kundalini par vingt minutes de respiration holotropique. Que ferait l’enseignant si l'un des élèves souffrait d’hypertension artérielle ?".

Ce n’est pas un hasard si, aux Etats-Unis, un certificat médical est toujours demandé avant les séances de respiration holotropique encadrées par des professionnels formés : certains problèmes de santé (pathologies cardiovasculaires, glaucome, épilepsie, chirurgie récente) ou situations particulières (grossesse) contre-indiquent sa pratique.

"C'est une approche puissante qui dissocie le corps et l'esprit. Les recherches démarrées dans les années 70 se poursuivent encore aujourd'hui. Il faut la manier avec précaution", note Yves Vincent Davroux. Et d'encourager les gens à aller plutôt vers des techniques respiratoires "réconciliatrices". 

Aucune étude rigoureuse qui valide les bienfaits

"Exactement comme en yoga, on évite absolument de commencer en solo dans son salon, sous peine de se faire mal", abonde Samantha Soreil, professeure de hatha yoga et éditrice la revue professionnelle bimestrielle Infos Yoga. Sensible aux démarches établies sur des preuves étayées, l’auteure de Vivre le yoga au quotidien (Éditions Le Prunier) invite à prendre du recul sur les promesses de la respiration holotropique. "Je n’ai trouvé aucune étude rigoureuse qui en valide les bienfaits. Avoir expérimenté soi-même une technique ne suffit pas à la valider", observe Samantha Soreil.

Elle invite à revenir à la question fondamentale : est-ce que ça marche ? "En quoi les souvenirs qui remonteraient ou les états de conscience induits seraient-ils plus valables que ceux qui se produisent par exemple lors d'une sous ventilation", interroge-t-elle ? "La respiration holotropique ressemble énormément à certaines respirations utilisées en pranayama, sauf que le pranayama requiert une préparation précise ; il se pratique avec des visualisations et un accompagnement. Il est toujours très progressif : il se construit parfois sur plusieurs semaines", détaille l’experte.

Le vrai problème, selon elle : la respiration holotropique est vendue comme spectaculaire sur les réseaux sociaux. "On vous promet qu’en quelques heures, vous allez débloquer un tas de choses ; on vous invite à vivre une expérience extraordinaire pour tromper l'ennui qui guette parfois chez soi, le dimanche après-midi", déplore-t-elle. "La proposition progressive du pranayama est certes moins sexy, mais elle est plus réaliste, accessible, sécuritaire et surtout, plus profonde".

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