Cinq comédiennes dénoncent les propositions sexuelles formulées par le cinéaste Philippe Garrel lors de rendez-vous professionnels, dans une enquête publiée sur le site de Mediapart mercredi 30 août 2023.

Auprès de la journaliste Sophie Boutboul, quatre témoignent des gestes et des tentatives de baisers non consentis, susceptibles d'être qualifiés d'agression sexuelle ou tentative d'agression sexuelle. La majorité d'entre elles avait la vingtaine au moments des faits qu'elles décrivent. Certains de leurs récits comportent des similarités. Aucune plainte n'a été déposée envers le réalisateur de 75 ans, qui s'exprime également dans cet article, et explique avoir, "à la lecture de tous ces témoignages", entrepris une "remise en question".

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Le témoignage d'Anna Mouglalis

Dans cette enquête, Anna Mouglalis fait le récit d'un rendez-vous de travail avec le réalisateur qui l'avait dirigé sur le tournage de La Jalousie, en 2013. Après ce film, Philippe Garrel avait pour ambition d'en réaliser un sur le "désir féminin", et avait contacté la comédienne féministe, qui lui livre ses conseils. Le 18 février 2014, les deux artistes qui avaient collaboré l'année précédente sans problème se retrouvent pour travailler sur ce nouveau projet au domicile de l'actrice. Alors que celle-ci se rend aux toilettes, Philippe Garrel s'allonge sur son lit. "Il a prétexté qu’il en avait besoin pour ses douleurs. C’est tellement énorme alors qu’il y avait deux canapés juste à côté de lui dans le salon !", commente-t-elle auprès de Mediapart.

D'après le récit de la comédienne, il lui aurait demandé de venir à ses côtés pour poursuivre leur lecture de travail. "J’ai dit qu’il n’en était pas question." Toujours d'après son témoignage, il aurait insisté. Un comportement "insultant", pour Anna Mouglalis, qui s'est sentie "réifiée" et estime que ce rendez-vous professionnel n'était pour lui "qu'un prétexte". De son côté, Philippe Garrel assure à Mediapart qu'il ne s'agissait pas d'une rencontre de travail, qu'il avait eu un malaise, avait "besoin de [s']allonger", et qu'il n'a eu "aucun geste ambivalent à son endroit".

L'enquête nous apprend que la figure de la Nouvelle Vague a appelé Anna Mouglalis ce jeudi 24 août, lui demandant, selon la version de cette dernière, de "retirer son témoignage", "au nom de leur amitié". "C’est encore une fois ce grand mélange, cette création de confusion, entre privé et professionnel. Je n’ai jamais vu Philippe Garrel en dehors du travail, mais il appelle cela de l’amitié, s'insurge l'actrice auprès de Sophie Boutboul. Et puis, il ne m’appelait pas pour savoir ce qui motivait mon témoignage, juste pour me demander de l’enlever. Tout cela au moment où Polanski, Allen et Besson sont invités au festival de Venise..."

Me Marie Dosé, avocate de l'homme sacré cette année meilleur réalisateur au festival de Berlin, affirme au site d'investigation qu'il appelait l'actrice pour discuter "des accusations qu’elle avait portées contre lui".

Plusieurs anciennes élèves de Philippe Garrel témoignent

La comédienne Clotilde Hesme, ancienne élève de Philippe Garrel au Conservatoire de Paris, raconte pour sa part à Mediapart que le cinéaste l'avait renommée "l'inceste" sur le tournage des Amants réguliers (2005), "comme l'histoire d'amour entre son fils [Louis Garrel, ndlr] et moi sur le film". Une affirmation que le réalisateur dément auprès de la journaliste Sophie Boubtoul.

L’actrice Marie Vialle, également ancienne élève de Philippe Garrel au Conservatoire de Paris, témoigne à son tour dans cette dense enquête. 

Lors de ces années d'études, son professeur lui aurait proposé d'"écrire un film pour elle", à la suite de quoi, plusieurs rendez-vous professionnels ont eu lieu. Au dernier, il aurait essayé de l'embrasser, selon son récit.

"Je ne peux pas faire le film si je ne couche pas avec toi", d'après son témoignage confié à Mediapart. Philippe Garrel, qui lui assurait être "amoureux" d'elle, lui aurait expliqué qu'il avait besoin de la connaître "pour de vrai" pour son film. Film auquel elle renonce.

"Je me souviens lui avoir expliqué que, comme beaucoup de réalisateurs de la Nouvelle Vague, j’aimais tourner avec la femme dont j’étais amoureux et la filmer. J’ai peut-être essayé de l’embrasser, je ne m’en souviens pas", réagit Philippe Garrel dans les colonnes de cette enquête, avant de s'excuser. "Aujourd’hui, je comprends qu’elle ait pu le vivre comme un chantage mais mes sentiments pour elle étant réels, je ne m’en suis pas rendu compte", complète-t-il.

Une autre de ancienne élève du Conservatoire, Laurence Cordier, témoigne d'un rendez-vous professionnel dans un restaurant, autour d'un rôle dont le réalisateur lui avait parlé. Ce jour-là, il lui aurait dit, selon son récit à Mediapart, "viens, je te paie l'hôtel". L'actrice avait déjà témoigné, anonymement, dans Les Inrocks, en octobre 2017, en pleine vague #MeToo.

Philippe Garrel dit à Mediapart ne se souvenir "de rien précisément" mais s'excuse auprès de Laurence Cordier. Il ajoute : "Par contre, je tiens à souligner que je n’ai jamais donné de faux espoirs professionnels à une comédienne en vue de la séduire."

"Promesse de rôle"

Deux autres femmes témoignent anonymement dans cette enquête. L'une d'elle assure que le réalisateur lui aurait dit qu'il avait réservé une chambre d'hôtel, alors qu'ils avaient rendez-vous pour évoquer un nouveau scénario qu'il était en train d'écrire. Elle décrit aussi des caresses sur ses cuisses. "J’enlève sa main. Et lui dis : 'Ça suffit en fait !' Il me répond : 'J’essaie.'"

Philippe Garrel aurait insisté pour la raccompagner, et dans le métro, aurait tenté de l'embrasser. Il s'excuse dans Mediapart, "d'avoir mal interprété son ressenti".

Enfin, une ancienne actrice, témoigne, également sous couvert d'anonymat, d'une tentative de baiser de la part du réalisateur lors d'un rendez-vous professionnel, en janvier 2014. Elle se souvient : "Il y avait toujours cette promesse du rôle si je me dévoilais à lui. Je disais non et je minaudais en même temps."