Quand on contacte Marine Turchi pour lui proposer un portrait, elle répond : « Je n'aime pas les mises en avant. Les journalistes doivent s'effacer derrière leur sujet. Ce qui m'importe, c'est de parler de notre travail, des personnes que l'on rencontre dans nos enquêtes, qui, courageusement, témoignent (…) y compris, et surtout, dans les affaires de violences sexuelles. »

Je n'aime pas les mises en avant. Les journalistes doivent s'effacer derrière leur sujet.

Nous sommes chez Mediapart, près de la place d'Aligre à Paris, dans l'une des pièces, isolées et sans apprêt, réservées aux rendez-vous. Elle précise : « Je ne veux pas me soumettre à l'exercice de la photo. » Et ajoute : « Évoquer ma vie privée n'a aucun intérêt. »

Là, normalement, dans le monde ancien du journalisme, on remercie et on part. Un portrait, c'est un contrat implicite, du donnant-donnant : si l'on vous éclaire, donnez-nous de la chair. Mais aujourd'hui, tout n'est-il pas différent ? Le monde ancien, dans son ensemble, vacille depuis l'affaire Weinstein et #MeToo. Un univers de pouvoirs masculins souvent solidement établis, un univers d'entre-soi, d'aplomb et d'abus sexuels, parfois. Tout cela porté à un degré rare d'impunité et/ou d'aveuglement dans les sphères de la culture : cinéma et littérature ne sont-ils pas des lieux où, à l'aune de la création, tout était et est encore (parfois) permis ?

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Marine Turchi, celle à qui Adèle Haenel fait confiance

ABACA

Marine Turchi, 37 ans, journaliste à Mediapart, est de celles et ceux qui démontrent que l'impunité n'est plus possible. En « sortant », comme on dit dans le jargon, « l'affaire Adèle Haenel », elle a signé l'une des plus fracassantes enquêtes de ces dernières années. C'était le dimanche 3 novembre 2019, à 19 heures ; Mediapart met en ligne un article intitulé « #MeToo dans le cinéma : l'actrice Adèle Haenel brise un nouveau tabou » [disponible sur abonnement à Mediapart, ndr].

Il est long, très long – trois fois la taille de celui que vous lisez. Avec une précision « chirurgicale », Marine Turchi déroule sept mois d'enquête, donne la parole à plus de trente personnes, accumule les dates, témoignages, extraits de lettres et de carnets.

De ce millefeuille ultra-détaillé ressort ceci : à partir de 2001, et pendant trois ans, Christophe Ruggia, un cinéaste alors âgé de 36 ans, aurait sexuellement agressé et harcelé Adèle Haenel, une actrice débutante âgée de 12 ans.

Le lendemain de la publication de l'article, Adèle Haenel est invitée par Mediapart : une émission spéciale en direct et en accès gratuit (à l'inverse du site, payant) y est animée par son patron et cofondateur Edwy Plenel et par Marine Turchi. L'actrice doublement césarisée nous dit aujourd'hui(1) : « J'étais un peu nerveuse avant l'émission. Je tenais à avoir une réflexion sur tout cela. Je m'y étais soigneusement préparée. Au pire, si les mots avaient eu du mal à sortir, je me disais qu'il y aurait toujours l'article de Marine, extrêmement solide. » Mais elle arrive à parler. Elle s'adresse à toutes les âmes, touche tous les cœurs (2) .

Vibrante d'une colère contenue, à fleur de peau et sans flancher, Adèle Haenel donne soudain une voix, un visage, un corps, à celles et ceux qui ne veulent plus se taire. Elle dit s'exprimer pour « remettre le monde dans le bon sens », en appelle à une prise de conscience de la société tout entière.

C'est une déflagration. L'affaire est unique par son retentissement, par le statut même de l'accusatrice, une femme « puissante » qui s'assume en tant que telle, mais elle est aussi tristement banale en ce qu'elle révèle des violences faites aux femmes et aux mineur.e.s. Elle précède l'affaire Matzneff et l'affaire Abitbol, survient après les dossiers Denis Baupin ou Roman Polanski, et en parallèle de ceux impliquant Luc Besson, Tariq Ramadan ou Gérald Darmanin (3) .

Cela semble infini. Ça l'est, et c'est aussi pour cette raison que Marine Turchi a accepté le rendez-vous avec Marie Claire. « Parce que les violences sexuelles, c'est un gigantesque problème de santé publique. »

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Une journaliste qui a enquêté de l'extrême-droite aux violences sexuelles

Mais comment en arrive-t-on là ? Comment se retrouve-t-on au cœur d'une telle conjonction d'affaires ? (Elle a écrit et écrit encore, avec des collègues de Mediapart, sur les dossiers impliquant Matzneff, Besson, Ramadan, Polanski et Darmanin).

Sans vouloir « faire des phrases grandiloquentes sur la vocation de journaliste », Marine Turchi avance une « passion » pour la politique depuis qu'elle est « gamine », doublée d'une « recherche de la vérité ». Après le bac, elle suit, au début des années 2000, des études de sciences politiques à Lille puis de journalisme dans l'école (réputée) de cette même ville, l'ESJ. En tout, elle passe sept ans dans le Nord. « C'était passionnant, un super enseignement, et loin du microcosme parisien. »

Son sujet de prédilection, très vite, sera la droite extrême. Elle se défend d'un quelconque « jugement moral » sur la question, avance une approche nourrie de « sociologie politique » : « Ce qui m'a toujours intéressée, c'est de comprendre ce qui motivait les gens à voter pour l'extrême droite. » Elle arrive à Paris en juin 2007, diplômée et multiprimée (elle a raflé trois prix de jeune journaliste à l'ESJ), mais ne connaissant personne, et avec « zéro carnet d'adresses ».

L'un de ses prix lui permet d'effectuer un stage à Télé 2 Semaines, tout en tenant, en parallèle, un blog sur… la politique. « Je commentais la couverture médiatique de la présidence Sarkozy, car je trouvais qu'il imposait son propre agenda à de nombreux médias. » Et tant pis si les lecteurs sont rares ; elle le fait avant tout pour elle.

Quelques mois plus tard, à l'automne 2007, Edwy Plenel annonce le lancement de Mediapart. Parmi les lettres de candidature qui affluent, celle de Marine Turchi, envoyée, sans trop y croire, avec un CV bien maigre. Mais on la rappelle. Elle se souvient parfaitement des deux questions posées lors de l'entretien (avec l'un des cofondateurs du site) : « Alors, vous et le journalisme ? » ; « Vous aimeriez traiter quoi, dans l'idéal ? » La première question entraîne une réponse qui « dure des heures », la seconde aussi, qui peut néanmoins se résumer à : « L'extrême droite. » 

La voilà embauchée. Elle est la plus jeune de l'équipe et se retrouve à écrire sur l'extrême droite et la droite. On lui confie les deux car à l'époque, « Nicolas Sarkozy a tellement siphonné le Front national qu'on pense que ce dernier est fini ».

D'emblée, Marine Turchi évite la familiarité avec ses sources, même les attachés de presse, elle refuse les tutoiements bien que ses contacts affectionnent la connivence. Ça grince mais elle tient bon. « J'ai 25 ans, je porte des Converse, un député m'appelle Poupée. » À ce député, qui lui donne aussi du « Petite », elle fait observer qu'il fait une tête de moins qu'elle. Il répond : « Ce n'est pas la taille qui compte, c'est la position. » Des phrases « collector » de ce style, elle en a de quasiment tout le monde politique.

En parallèle du suivi de la droite, elle continue d'arpenter les chemins de traverse. Là où plus grand monde ne regarde : le Front national. Au fil des années, cette constante, cette vocation, se paieront au prix fort. Des proches de Marine Le Pen lui disent : « J'accepte de vous parler, mais quand vous viendrez nous voir, je vous jetterai des cailloux avec les autres. » Elle devient la bête noire du FN, et notamment des anciens du GUD.

En janvier 2015, une poignée d'entre eux la pourchassent et la menacent de mort en plein Paris. Les faits se déroulent dans le 16e arrondissement, sa « no go zone » à elle, où beaucoup d'ex-gudards ont pignon sur rue. Cette fois-là, le plus virulent de la bande lui en veut particulièrement depuis qu'elle a révélé sa fraude… à Pôle emploi. Malgré tout, les sources haut placées au sein de l'appareil du FN ne manquent pas. Sauf qu'il n'est pas aisé d'être un informateur. Ainsi, l'un d'eux, croyant l'appeler, compose un jour le numéro de l'autre Marine (Le Pen), et dit : « Allô, Marine Turchi ? » Elle sourit encore du quiproquo.

J'ai pris l'habitude de me protéger, de ne rien révéler de personnel. Pour éviter, par exemple, que des militants d'extrême droite n'aillent sonner chez ma famille.

Mais à chaque scoop, à chaque enquête sur ce qui devient le Rassemblement national, c'est la curée ; des centaines de coups de fils malveillants et de textos d'insultes. Son domicile est localisé. « C'est ainsi que j'ai pris l'habitude de me protéger, de ne rien révéler de personnel. Pour éviter, par exemple, que des militants d'extrême droite n'aillent sonner chez ma famille. » Néanmoins, les enquêtes s'enchaînent. « On les a fait sortir de l'ombre », dit-elle.

Malgré « le discours officiel sur la dédiabolisation » entreprise par Marine Le Pen, les électeurs ont « le droit de savoir qu'il y a des éléments radicaux dans son premier cercle, qui n'apparaissent pas dans l'organigramme officiel, ou que le Rassemblement national est financé en partie par de l'argent russe ».

Si elle ressent la « fierté immense » d'avoir gagné tous ses procès au fil des années (4), « bien sûr qu'on en a parfois marre ». Cette pression permanente renforce encore sa méthode de travail journalistique : la rigueur, la rigueur, la rigueur.

Ses détracteurs, et ils sont nombreux, dénoncent malgré tout des partis pris derrière ce qui devient sa « patte », cette extrême méticulosité. « Tant de talent avec tant de partialité ! » avait twitté l'ex-magistrat Philippe Bilger à la suite d'une enquête sur Robert Ménard. Marine Turchi balaie l'allusion : « Je m'en tiens aux faits. Ma question est toujours très simple : c'est vrai ou c'est faux ? » Adèle Haenel ajoute : « J'ai une confiance absolue en elle, je pense qu'elle est incorruptible. »

À ce stade, quand même, la question du pourquoi s'impose. Pourquoi, au fond, fait-elle ce métier ? « Parce que j'aime mener des enquêtes utiles et d'intérêt public. » La dose de courage nécessaire ? « Non, les courageux, ce sont les gens qui osent parler. » Mais y a-t-il autre chose dans sa vie ? Elle éclate de rire. « Si j'ai une vie perso ? Oui, bien sûr ! Et puis ici, à Mediapart, on travaille collectivement. Je discute beaucoup avec mes collègues, dont Lenaïg Bredoux et Michael Hajdenberg, cela permet de réfléchir mais aussi de vider son sac, d'évacuer. On travaille à fond, mais l'été, je coupe tout pendant deux mois. »

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La rencontre entre Adèle Haenel et Marine Turchi

Marie Claire

En 2017, Marine Turchi intègre le service Enquête. En plus de l'extrême droite, elle traitera des affaires d'abus sexuels. Une autre forme de violence. « La violence ne vient pas du même endroit, explique-t-elle. L'extrême droite, y compris les sources, se vit dans l'adversité et la méfiance permanente avec les journalistes. Dans les dossiers de violences sexuelles, les victimes sont parfois en grande difficulté, elles ont besoin d'être entendues et peuvent vous appeler n'importe quand, car elles ne sont pas forcément accompagnées d'un.e avocat.e, ou d'une association. » 

Néanmoins, comme toutes les enquêtes, celles sur les violences sexuelles obéissent à des règles strictes, explique Marine Turchi : « Il y a le temps de l'écoute, puis celui de la vérification. » Les histoires qui lui sont racontées sont très dissemblables, ses interlocuteurs n'étant pas forcément au même stade de prise de conscience – vis-à-vis de la justice, du mis en cause, de la famille, de soi-même. Si l'enquête est lancée, la journaliste détaille ce qui peut arriver une fois l'article publié : la médiatisation, la pression, l'impossibilité du retour en arrière. Surtout, elle indique à ses sources comment elle procède.

Plus l'enquête est béton, moins les victimes seront fragilisées.

« Plus l'enquête est béton, moins les victimes seront fragilisées. J'encadre toujours leur parole par celles de témoins, et/ou par des documents. » Elle leur explique qu'il est également « dans leur intérêt de ne rien mettre sous le tapis, même ce qui peut sembler aller “contre” elles ». Car non, il n'y a pas de « victime “parfaite”, dont la vie, la tenue, le comportement seraient irréprochables ».

Adèle Haenel et Marine Turchi se croisent en avril 2019, lors d'une fête qui rassemble « une centaine de personnes » : en fin de soirée, par hasard, elles sont quelques femmes qui se retrouvent à discuter. Très vite, elles abordent la question #MeToo.

Adèle Haenel se souvient : « C'était la deuxième fois, en quelques mois, que j'entendais dans des groupes de femmes se raconter des histoires d'agressions sexuelles. C'était dingue. Tout le monde en avait une… Quant à moi, je cherchais à agir. Il me semblait nécessaire de parler, eu égard à l'impunité totale de mon agresseur qui s'apprêtait à refaire un film avec des adolescents, en reprenant les mêmes noms de personnages que Les diables (5) . »

Ce soir-là, l'une des femmes du petit groupe précise que Marine Turchi est journaliste, qu'elle suit les affaires de violences sexuelles. Deux jours plus tard, Marine Turchi et Adèle Haenel se revoient. Deux longues interviews, puis l'actrice retrouve des lettres de Ruggia, ses propres carnets, donne des noms de personnes à appeler. L'enquête peut commencer, de longue haleine. Avec le recul, Adèle Haenel pense que « Marine Turchi n'est pas dans l'affect, elle ne se laisse pas emporter par des émotions soudaines ou des réactions à chaud. Bien au contraire, elle est minutieuse, lucide, courageuse. Et même dans les moments où le vent souffle fort, elle reste calme ».

Marine Turchi n'est pas dans l'affect, elle ne se laisse pas emporter par des émotions soudaines ou des réactions à chaud.

Le tournant du dossier a une date : juin 2019. Marine Turchi contacte une ex-compagne de Christophe Ruggia, la réalisatrice Mona Achache, et lui dit : « Je vous appelle à propos d'accusations de violences sexuelles qui visent Christophe Ruggia. » S'ensuit un « grand blanc ». Puis Mona Achache répond en prononçant, « la première », le nom d'Adèle Haenel. Comme une trentaine de personnes, la réalisatrice acceptera de s'exprimer ouvertement. Les souvenirs des uns et les anecdotes des autres accréditent la parole de l'actrice.

Encore faut-il recueillir le témoignage de Christophe Ruggia – soit le « contradictoire » en langage Mediapart, le témoignage du mis en cause. Nous sommes alors en octobre 2019. Marine Turchi cherche, à plusieurs reprises, à joindre le cinéaste. « Je souhaitais vraiment qu'il me réponde. Le contradictoire, ce n'est pas un gadget pour faire joli. C'est crucial de recueillir la version des personnes mises en cause, et d'ailleurs, cela renforce l'article. »

Mais Ruggia reste muet. Elle finit par lui envoyer des questions détaillées sur l'affaire, tout en lui tendant « une perche », sur le thème : « Est-ce que vous avez pu avoir une attitude, des gestes, dont vous n'auriez pas mesuré les conséquences ? » Et s'il avait reconnu un comportement tendancieux, voire des agressions sexuelles ? « Bien sûr que je l'aurais intégré à l'article ! Nous aurions eu son cheminement à elle, comment passer du silence à la parole ; et de l'autre côté, ce qui se déroule dans la tête de la personne mise en cause. » Sauf que le silence persiste. Enfin, Christophe Ruggia fait brièvement savoir par ses avocats qu'il nie tout « harcèlement » ou « attouchement » – ce qui sera intégré à l'article.

Puis, le 6 novembre, trois jours après la publication de l'enquête, le cinéaste adresse un droit de réponse à Mediapart, « qu'on a tout de suite publié » : il y reconnaît une « emprise » sur l'actrice mais continue de réfuter les agressions sexuelles.

Le jour même, cependant, le parquet de Paris ouvre une enquête préliminaire (6) . Peu de temps après, Adèle Haenel, qui en avait écarté l'idée au départ, porte plainte. « J'ai conscience d'avoir bénéficié d'une enquête journalistique que n'auront pas la plupart des femmes victimes de violences, dit-elle à Marie Claire. Par conséquent, suite à l'ouverture de l'enquête par le parquet et dans le but de faire avancer les choses, je devais porter plainte. Car que reste-t-il aux femmes qui ne sont pas dans l'espace médiatique, sinon la justice ? » 

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Plus de 400 signalements après avoir diffusé la parole d'Adèle Haenel

Depuis le mois de novembre, Marine Turchi reçoit un grand nombre de signalements de violences sexuelles – plus de 400 mails, lettres, ou alertes via les réseaux sociaux (7) . Tous se réfèrent au déclic provoqué par la parole d'Adèle Haenel, tous évoquent une immense douleur, la difficulté à parler contre des « puissants », à parler tout court. Certains de ces récits ont déclenché des enquêtes en cours.

Certains seulement, car un choix est fait au sein de la rédaction de Mediapart, de manière collégiale, suivant des critères multiples, forcément subjectifs, parmi lesquels : l'ancienneté des affaires, le nombre de victimes, le nombre de témoins prêts à parler, le degré de notoriété des mis en cause… « Le pire, dit Marine Turchi, ce n'est pas les dossiers qu'on traite ; c'est ceux qu'on ne traitera pas. C'est de voir l'injustice et l'impunité qui peuvent perdurer. C'est de constater que la justice, parfois, n'arrive pas à traiter ces affaires. C'est d'annoncer à des gens qui sont en souffrance qu'on ne pourra pas se pencher sur leur cas. » 

Le pire, ce n'est pas les dossiers qu'on traite ; c'est ceux qu'on ne traitera pas.

Des gens en souffrance… Mais elle, comment va-t-elle ? Est-on suivi par des psychologues, quand on est à ce point plongé dans ces dossiers ? « Non, ça va. À force, on apprend. »

Restent certains souvenirs que l'on sent encore vifs. Ainsi, l'enquête qu'elle considère comme ayant été « la plus difficile à mener » n'a jamais été publiée. Elle concernait Claude Lanzmann. La phase de recueil de témoignages et documents était « bouclée » sur ce dossier où de nombreuses femmes ont dénoncé au fil du temps des violences sexuelles commises par le cinéaste, et Marine Turchi s'apprêtait à le contacter pour obtenir sa version, quand il est mort. Or, pas de contradictoire, pas d'article ; la règle est implacable.

Dans les jours qui ont suivi, sur les réseaux sociaux, une femme l'a accusée d'avoir censuré l'enquête, d'autres personnes lui ont reproché, au contraire, d'avoir enquêté(8) . Mais elle continue, évidemment. « Avec les seuls dossiers de violences sexuelles qui nous ont été adressés depuis novembre, on a cinq ans de travail devant nous. »

Sa méthode ne varie pas, quel que soit le sujet. « Je retranscris par écrit tous mes entretiens, ça me prend des heures. Ensuite, je les classe par thèmes. Mais il y a une chose que j'aime moins… » La nuit tombe sur Paris, voilà plus de quatre heures que Marine Turchi parle de son métier. Va-t-elle dévoiler, qui sait, un détail plus personnel ? Elle reprend : « C'est la phase d'écriture. Moi, vraiment, je préfère enquêter. »

1. Adèle Haenel nous a accordé un entretien téléphonique le 25 février.

2. L'émission a totalisé 750 000 vues en replay YouTube, et le nombre de spectateurs en direct ce soir-là était deux fois supérieur à la moyenne annuelle des émissions maison (chiffres Mediapart).

3. À la suite de la publication du Consentement de Vanessa Springora, l'écrivain Gabriel Matzneff est sous le coup d'une enquête préliminaire ouverte le 3 janvier 2020 pour « viols sur mineurs » de moins de 15 ans.

L'entraîneur sportif Gilles Beyer, dans l'affaire dénoncée par l'ex-patineuse Sarah Abitbol, est sous le coup d'une enquête pour « viols et agressions sexuelles sur mineurs par personne ayant autorité », ouverte le 4 février 2020.

L'homme politique Denis Baupin, poursuivi pour « harcèlements sexuels, agressions sexuelles et appels téléphoniques malveillants », obtient en mars 2017 un classement sans suite pour prescription, même si les accusations étaient « constantes et corroborées par des témoignages » et certains faits « susceptibles d'être qualifiés pénalement ».

4. Sa victoire judiciaire la plus importante, dit-elle, a été remportée en 2018 face à Axel Loustau, « un très proche de Marine Le Pen, pilier de l'organisation financière du Rassemblement national, ancien militant du GUD et conseiller régional RN » : quatre ans de procédure suite à une enquête publiée en novembre 2014 sur le salut fasciste de Loustau, et les accusations d'antisémitisme pesant sur lui et le premier cercle de Marine Le Pen.  

5. C'est sur le tournage des Diables, en 2001, où Adèle Haenel, 12 ans, joue l'un des deux rôles principaux, que « l'emprise » de Christophe Ruggia a commencé, ainsi que le racontait l'actrice dans Mediapart. Ci-dessous : le 4 novembre 2019, Adèle Haenel accuse sur Mediapart le réalisateur Christophe Ruggia d'« attouchements » et de « harcèlement sexuel » lorsqu'elle était âgée de 12 à 15 ans. Marine Turchi est présente sur le plateau.

Le cinéaste Roman Polanski, considéré comme un fugitif par Interpol et toujours recherché par les États-Unis, a été accusé de « viol » par une photographe française en novembre 2019, portant à six le nombre de femmes l'accusant d'agressions sexuelles.

Accusé (dans Mediapart) par neuf femmes de comportements sexuels inappropriés, Luc Besson fait l'objet d'une enquête pour « viols » (rouverte en octobre 2019 après un classement sans suite) et d'une enquête pour « agression sexuelle ». Visé par cinq plaintes en France, l'islamologue Tariq Ramadan est aujourd'hui mis en examen pour « viols » sur quatre femmes.

Dans le cas du ministre Gérald Darmanin – visé en 2018 par deux plaintes, pour « viol » et pour « abus de faiblesse », classées sans suite –, la Cour de cassation a ordonné en novembre 2019 le réexamen du non-lieu obtenu dans l'affaire de viol. Hormis Gilles Beyer, qui a reconnu des relations « intimes et inappropriées » avec Sarah Abitbol, tous nient les viols ou agressions sexuelles.

6. Christophe Ruggia a été mis en examen le 16 janvier 2020 pour « agressions sexuelles sur mineurs de 15 ans par personne ayant autorité », dans le cadre de l'information judiciaire ouverte par le parquet de Paris.

7. Environ 80 % de femmes et 20 % d'hommes. C'est assez nouveau, explique Marine Turchi, de recevoir autant de témoignages d'hommes - qu'ils soient victimes, témoins ou proches de victimes.

8. C'est uniquement parce que la rédaction de Mediapart a été « interpellée publiquement » qu'un article a été publié sur le site, le 11 juillet 2018, intitulé « À propos de Claude Lanzmann » : Marine Turchi y expliquait où en était l'enquête.

Ce papier a été initialement publié dans le n°813 de Marie Claire, daté d'avril 2020

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