D’après une étude américaine de 1996* - passée depuis à la postérité dans l’histoire de la psychologie - chaque individu mentirait deux fois et demi par jour en moyenne. Chaque individu, sauf moi. Etrangement, alors que j’excellais dans l’art de l’affabulation quand j’étais petite, j’ai l’impression de perdre de plus en plus ma capacité à jouer avec la vérité. La semaine dernière encore, j’ai failli me liquéfier sur place en expliquant à ma collègue Katia que je n’étais pas disponible pour le déjeuner. Officieusement, je devais aller chercher son cadeau de départ, officiellement je me suis emmêlée les pinceaux, prétextant tout et n’importe quoi pour expliquer mon absence. Fort heureusement, Katia est très polie et mon mensonge était pieux. Mais le fait est que je ne sais pas mentir, ou alors vraiment très mal.

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Pour Aurore Le Moing**, psychopraticienne en région parisienne, il faut d’abord se pencher sur l’enfance. “Le fait de dire la vérité, être honnête, c’est une valeur que l’on nous inculque dès notre plus jeune âge, ou pas d’ailleurs. En tout cas, c’est une notion à laquelle nous sommes confrontés presque quotidiennement. Et de cette régularité, peut naître un profond ancrage, c’est-à-dire, une sorte d’habitude, de réflexe, qui devient un automatisme”, explique-t-elle. C’est probablement ce qu’il se passe pour Astrid, 32 ans, chargée de webmarketing à Paris, qui se souvient que sa non-capacité à mentir remonte à loin. “Je me souviens d’une rédaction que l’on devait faire au collège où la thématique était Raconter son plus gros mensonge. Je n’en avais pas. Du coup, j’ai brodé une histoire et je me suis sentie mal de mentir sur mon mensonge. Et puis j’ai fini par avoir une très mauvaise note, comme quoi", .

Être victime d’un mensonge peut bloquer l’envie de mentir

Deuxième explication avancée par la psychologue pour expliquer le fait de ne pas savoir mentir? Les résurgences d’une expérience subie. “On peut avoir été victime d’une situation mensongère ou en avoir été témoin et donc pour protéger les autres ou nous-mêmes, décider de dire la vérité tout le temps”, détaille ainsi Aurore Le Moing. Ainsi pour ne pas avoir à revivre une situation embarrassante ni faire du mal à quelqu’un, on préfère miser sur l’honnêteté, même si celle-ci est excessive. “Mes principaux mensonges vont être des tentatives d’excuses pour annuler des soirées. Des mensonges sans grandes conséquences, mais malgré tout j’ai toujours peur que ça se sache, surtout avec les réseaux sociaux”, avoue Astrid qui a l’impression de ne pas être en accord avec ses valeurs quand elle ment. “A l’inverse, lorsque je découvre que quelqu’un me ment (même pour pas grand-chose), il perd ma confiance à vie !”, s’emporte la jeune femme.

Reste que mis à part quelques moments gênants, on ne peut pas dire que l’incapacité à mentir soit très handicapant pour la vie de tous les jours. L’important, c’est de savoir ce qui nous pousse à être si sincère : “qu’est-ce le fait de ne pas mentir nous apporte à nous ? Une fierté ? Une satisfaction personnelle ? Ou bien, le désir en retour que l’on ne nous mente pas ?”, questionne ainsi Aurore le Moing qui avance que pour elle, “le fait d’être sincère revêt une projection sur l’autre, sur les autres, de ce que nous voulons pour nous. Si on le fait, c’est pour l’avoir en retour. C’est une tentative rassurante pour essayer de contrôler la situation et d’en garder la maîtrise”.

De là à en déduire que les menteurs sont plus audacieux que les autres, il n’y a qu’un pas. Et comme la chance sourit aux audacieux, finalement il vaut peut-être mieux apprendre à mentir.

*Bella M. DePaulo, Deborah A. Kashy, Susan E. Kirkendol, Melissa M. Wyer & Jennifer A. Epstein, « Lying in everyday life », Journal of Personality and Social Psychology, vol. LXX, n° 5, 1996

** Aurore Le Moing, psychopraticienne en région parisienne