Elle fait partie des lauréates de la 26e du Prix international L’Oréal-UNESCO pour les Femmes et la Science. Férue de biologie depuis l’enfance, la Pre Geneviève Almouzni a un CV impressionnant. Directrice de recherche au Centre national de la recherche scientifique (CNRS) et à l’Institut Curie, membre de l’Académie des sciences (France), elle est aussi la première femme à avoir succédé à Irène Joliot-Curie à la tête de l’Institut Curie. 

Spécialisée en épigénétique et biologie moléculaire, elle est récompensée pour ses recherches consacrées à la dynamique de l'ADN au sein des cellules, des tissus et des organismes. Ses travaux se concentrent sur la compréhension de l'organisation du génome au sein du noyau cellulaire. Entretien.

Marie Claire : vous faites partie des lauréates du prix international L’Oréal-UNESCO Pour les Femmes et la Science 2024. Quel sens cette récompense a-t-elle pour vous ?

Pr Geneviève Almouzni : C’est un honneur formidable de se retrouver au milieu d’un ensemble de femmes remarquables et que j’admire. C’est aussi une opportunité de mettre en avant les femmes dans le domaine des sciences et d’encourager les autres à se lancer. De pouvoir leur  montrer qu'elles peuvent le faire !  

Quels sont les enjeux de vos recherches et quelles sont leurs applications possibles ?

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Mes recherches portent sur la manière dont l’ADN est organisé dans le noyau des cellules. L’ADN est une partie de 'nous' et l’idée est de comprendre comment il évolue. Chaque cellule utilise l’ADN comme une partition de musique et permet de créer une symphonie différente dans les cellules cutanées, nerveuses…. Mon travail consiste à comprendre comment des éléments importants dans cette organisation sont mis en place. En termes d’application, nous pouvons l’utiliser par rapport aux défauts au cours du développement, c’est-à-dire les cellules qui vont perdre leur capacité à avoir une identité donnée, c’est un problème durant le développement. Mais aussi dans le contexte de maladies comme le cancer, où là aussi l’hyperprolifération et la perte d’identité cellulaire sont des éléments que l’on retrouve. 

Les bases de compréhension derrière ces aspects concernent, en partie, la manière dont le génome est organisé. Ces recherches pourraient permettre d’améliorer les traitements et de détecter plus tôt les symptômes de maladies. On pourra par la suite les exploiter dans le domaine de l’infectiologie par exemple : quand un ADN étranger rentre dans votre cellule, que devient-t-il ? Comment les cellules se comportent-elles en vieillissant ? Beaucoup d’applications sont possibles.

Quelles sont selon vous les dernières découvertes majeures sur le cancer ? 

Il faut avoir une vision plus systémique du cancer, pas uniquement la maladie de la cellule seule, mais dans son environnement avec l'écosystème, l’hétérogénéité, l’aspect immunitaire qui va jouer, les contextes et les possibilités qu’offre aujourd’hui l’intelligence artificielle dans l’analyse des données, qu’il s’agisse de données d’imagerie ou de données génomiques. Nous avons un potentiel formidable pour ajuster les diagnostics mais aussi les choix thérapeutiques et le suivi thérapeutique. 

Une enquête menée par la Fondation L’Oréal en 2023 révélait l’ampleur du sexisme dans le milieu de la recherche scientifique…

Il y a eu beaucoup de progrès, car je pense qu’aujourd’hui on n’oserait plus dire un certain nombre de choses. Pour autant, il y a encore tout ce qui est non-dits avec des biais inconscients. Encore aujourd’hui, j’entends de jeunes doctorantes dire qu’on s’est adressé à elles de façon condescendante. Heureusement, ce sont des choses qui, grâce à la libération de la parole, vont encore évoluer. Mais nous avons encore du chemin à faire. 

Quelles sont selon vous les autres difficultés rencontrées par les femmes scientifiques aujourd’hui ? 

Clairement, le nombre de femmes engagées dans les sciences - seulement 30 % alors que la population féminine est de 50 % - n’est pas encore au niveau attendu. Nous avons un vivier important dans lequel il faudrait puiser.

Pensez-vous que plus il y a de femmes scientifiques, plus les femmes seront mieux soignées ? Une recherche plus genrée est-elle nécessaire selon vous ?

Il faut surtout veiller à ne pas juste cocher une case en incluant des femmes dans les essais cliniques. Il faut que cela soit scientifiquement valable. Même si aujourd’hui il y a des efforts faits pour que ce soit pris en compte, ce n’est pas toujours fait de la bonne façon. Il faut qu’il y ait du sens scientifiquement. 

Quel message aimeriez-vous transmettre à celles qui hésitent encore à se lancer dans le domaine scientifique ?

Si elles hésitent, qu’elles n’hésitent pas ! Il faut qu’elles réalisent qu’on peut trouver des appuis et on en a toutes besoin à un moment ou un autre. Il ne faut pas se sentir responsable toute seule de tous les sujets qui nous préoccupent, mais aller chercher du soutien. À plusieurs on y arrive mieux.