Adolescente, je pensais sincèrement que la trentaine marquerait mon intronisation officielle dans le monde des adultes. Jamais je n’aurais pensé qu’à 30 ans, je serais là, feuilletant mollement un ouvrage de développement personnel intitulé “être adulte : les clés*”, dans l’espoir secret de découvrir comment on le devient, adulte.

Le Larousse avance deux axes dans la définition de “l’âge adulte” : le premier physiologique “qui est parvenu au terme de sa croissance, à son plein développement” et le second comportemental “qui fait preuve d'équilibre, de maturité (par opposition à infantile) : un comportement adulte”. Si globalement je ne grandis plus depuis bien dix ans maintenant, les notions d’équilibre et la maturité ne me sont pas tout à fait familières.

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Contrairement à mes projections d’enfant, je ne suis ni propriétaire ni maman. Je n’ai pas de Livret A, j’ai toujours peur des prises de sang, je me régale en cachette avec des crêpes Whaou et j’ai toujours besoin de mon papa pour déclarer mes impôts (oui, même si le formulaire en ligne est prérempli). On est loin de l’image de stabilité ou de sagesse décrite par les livres.

Génération kidult : comme une envie de ne pas (trop) grandir

Mais cet état des lieux est semble-t-il est générationnel. Selon plusieurs études sociologiques, les natifs des années 80 ont formé la génération kidult - néologisme anglophone né de la contraction de kid et d’adult. Malin, n’est-ce pas. Contrairement aux générations précédentes dont la transition se faisait assez clairement, les kidults vivent dans une nostalgie latente, se rappelant régulièrement à coups de hashtag dédiés les petits bonheurs de leur enfance : de la musique des jeux de Game Boy© au goût sucré du chewing-gum Roll Up Tutti frutti.

Laetitia, jeune entrepreneuse de 28 ans, avoue que l’âge adulte est un concept encore un peu flou pour elle. Si elle se juge responsable et mature la plupart du temps, elle admet qu’il y a des jours sans. “Typiquement, chaque fois que j'ai envie de passer une soirée devant des dessins animés ou que je dois appeler mes parents pour leur poser une question, je me sens à nouveau comme une enfant”, sourit-elle.

Un sentiment partagé par Eloïse, 31 ans, qui se sait adulte mais qui se sent parfois enfant. “Je suis responsable et adulte la plupart du temps, mais au quotidien je n’ai pas l’impression d’avoir vraiment changé : mon appart ressemble à ma chambre d’ado, mes amitiés sont presque les mêmes qu’à l’époque, ma complicité avec ma mère est toujours aussi forte et plus globalement, je me prends pas la tête avec les trucs d’adulte type enfanter, fonder, acheter, etc”, souffle-t-elle, avant de conclure que “les personnes qui perdent leur âme d’enfant [lui] donnent le bourdon”.

Être adulte et cocher des cases

Mais malgré cette mélancolie, les kidults et consorts sont tout de même des adultes. (Désolée). D’autant que, hormis leur attrait pour les bonbons chimiques et les figurines “pop”, ils cumulent bien souvent des tas de critères de grandes personnes. Élodie, fraîchement pacsée et propriétaire, considère que “être adulte c’est vivre et s’assumer en totale autonomie et ne plus dépendre de ses parents pour quelques motifs que ce soit, notamment financièrement”.

Laetitia de son côté se souvient qu’elle a commencé à se sentir adulte à son entrée dans la vie professionnelle. “C’est un peu cliché comme réalité mais je cochais presque toutes les cases de l’adulte: avoir mon propre appartement, un boulot, payer mon loyer, mes impôts et mes factures…”, énumère-t-elle.

Un critère d’indépendance financière - et plus particulièrement la déclaration d’impôts - qui revient souvent quand on demande aux jeunes adultes ce qui les a fait basculer dans l’autre monde. C’est à se demander si le prélèvement à la source ne va pas tout brouiller pour les Millenials.

Être adulte : l’âge de la maturité émotionnelle

Reste que pour de nombreux experts, ce fatidique passage n’est pas aussi tangible que ça. Pour la psychothérapeute Aurore Le Moing, le fait d’être ou de sentir adulte n’est pas intrinsèque à une accumulation de critères matériels ou d’étapes passées. “Être adulte n’est-ce pas plutôt être conscient des choses, conserver son âme d’enfant et être à l’écoute de soi et des autres?”, questionne-t-elle, avant d’expliquer que cette maturité émotionnelle peut-être qualifiée de sagesse.

Ouverture d’esprit, capacité d’écoute, empathie et envie de bonheur pour tous : autant de critères qui pourraient être des marqueurs psychologiques du passage à l’âge adulte. “Ce fameux cap se situe dans l’esprit et non dans ce que l’on fait”, poursuit la psychothérapeute. Mais alors que la majorité légale est placée à 18 ans, nombreux sont celles et ceux qui n’opèrent pas leur transition ado-adulte à ce moment-là. Bien qu’il n’y ait pas d’âge fixe ou limite pour devenir psychologique mature, Aurore le Moing avance que si le cap n’est pas franchi à la quarantaine, cela peut être le point de départ d’une crise de milieu de vie. “Les personnes qui se sont retrouvées dans une vie d’adulte sans avoir franchi le cap émotionnel, peuvent se sentir coincées dans un mode de vie qui ne les satisfait pas”, explique-t-elle.

Finalement, être adulte n’est pas vraiment une question d’âge ou de cases cochées sur une liste préétablie par la société : c’est un apaisement émotionnel, un état de pleine conscience émotif, une sérénité quant à qui est on, ce que l’on veut et où l’on va. Et fort heureusement, cela n’a vraiment aucun rapport avec le fait d’aimer les crêpes Whaou ou non.

 *Pour aller plus loin, “Être adulte : les clés” de David Richo, Ed. Payot. 17,50 euros  (2013)