En 1972, l'essayiste Susan Sontag publie dans l'influent Saturday review un long article intitulé "The double standard of aging", soit le système "deux poids, deux mesures" des hommes et des femmes face au vieillissement. A partir d'une question simple : pourquoi les femmes mentent-elles sur leur âge ? Elle analyse avec force "la honte", "l'humiliation","la phobie sociale » que ressentent les femmes lorsqu'elles atteignent un"certain âge", c'est-à-dire un âge certain.

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Vieillir n'est une partie de plaisir pour personne, admet Sontag, mais l'affaire est particulièrement cruelle pour les femmes. Car dans une société qui associe la féminité à la jeunesse, les femmes sont des denrées périssables. Et alors que l'expérience renforce les qualités prétendument viriles – compétence, autonomie, maîtrise de soi – les femmes sont associées à l'intuition, la sagesse, la bonté, des qualités considérées comme éternelles et innées. Bref, les femmes n'ont rien à gagner en vieillissant, et tout à perdre. "Elevées pour ne jamais vraiment devenir adultes, les femmes sont condamnées à devenir obsolètes plus tôt que les hommes."

Mais il y a une autre voie, écrit-elle dans le dernier paragraphe. Au lieu de s'acharner à rester des filles le plus longtemps possible, il faut accepter de "devenir des femmes bien plus tôt", "adultes et actives". "Les femmes doivent accepter que leur visage témoigne de la vie qu'elles ont vécue. Les femmes doivent dire la vérité", conclut-elle.

Le dégoût social

Quarante ans plus tard, cette démonstration fait encore l'effet d'une claque revigorante. La seule chose qui semble avoir changé, c'est la définition du "certain âge". "40 ans est le nouveau 30", ont proclamé les magazines, puis "50 est le nouveau 40". Mais si la frontière recule, l'idéologie reste la même : le vieillissement des femmes est un vilain sujet, un tabou à contourner. Pour les complimenter, il faut leur dire qu'elles ne font pas leur âge. Quand Yann Moix a avoué dans les pages de Marie Claire que les femmes de 50 ans ne le faisaient pas bander, il a été bombardé en retour par des images de superbes actrices à la belle allure.

Dans un miroir, la femme mûre n'élimine pas la jeune fille : elles se regardent, se parlent à distance.

En 1972, Susan Sontag parlait déjà de ces exceptions qui alimentent le "dégoût social" envers les femmes vieillissantes. A l'époque, c'était Marlene Dietrich ou Mae West ; aujourd'hui Sophie Marceau ou Salma Hayek, mais avec ou sans chirurgie esthétique – et le plus souvent avec –, ces beautés professionnelles encouragent le même idéal impossible de jeunesse éternelle. Au XXIe siècle, nous ne mentons plus sur notre âge. Nous l'avouons même avec fierté – tant que nous ne le faisons pas. Le mensonge est simplement devenu plus subtil.

Dans son ouvrage Les Quincados(1), le sociologue Serge Guérin livre une analyse plus optimiste des nouveaux quinquagénaires. "Le regard social est toujours plus violent envers les femmes, mais ces dernières années a eu lieu un vrai changement. Plus autonomes financièrement et professionnellement, les femmes sont aussi moins dépendantes du regard des autres. Et puis la beauté s'est pluralisée, on n'a plus affaire à un modèle unique." Il tacle aussi le stéréotype du vieux beau qui se recase avec une jeunette : "C'est une image très médiatisée, mais du point de vue statistique, cela reste minoritaire. Il y a bien un écart d'âge en faveur des hommes, mais il n'est que de quelques années." 

Reste l'impression que ces quinquagénaires sur-actifs, femmes et hommes, sont les victimes volontaires du jeunisme ambiant, des consommateurs effrénés de jeunesse artificielle ? "Ce ne sont pas des personnes qui “font” jeune, mais qui le sont, répond le sociologue. Il y a certes une caresse narcissique à faire plus jeune que son âge, mais les quincados ne vont pas forcément vers la chirurgie, par exemple. Ils cherchent plutôt à se préserver en adoptant un mode de vie plus sain. Je vois ça comme une prise en charge de son destin." L'espérance de vie leur offre encore de nombreuses années, et sur le plan professionnel comme sentimental, "ils refusent de subir, ils agissent".

Amoureuse d'un homme plus jeune

Mais l'âge n'est pas seulement dans la tête. Comme l'écrit la philosophe Fabienne Brugère(2) , "à 50 ans, le corps hormonal refait surface : bouffées de chaleur, troubles du sommeil ou migraines. Il existe bien autre chose qu'un corps culturel pris dans le langage ou la symbolique d'une existence." Avec la fin de la période reproductive, le muscle fond, la peau flotte. Les cheveux perdent leur volume, leur couleur. Une mauvaise nuit ou un verre en trop se paient plus cher et plus longtemps. L'âge n'est plus une question d'apparence, comme à 40 ans. Il vous alerte petit à petit ou vous frappe de plein fouet, à travers la remarque d'un proche, la case d'un formulaire de santé qu'il faut cocher, des lunettes devenues indispensables, ou le vertige de saisir soudain qu'on n'aura plus jamais d'enfant.

La littérature a encore faiblement investi ce territoire, encore entaché de l'étiquette infamante de "sujet féminin" – alors que bon sang, les problèmes d'érection des personnages de Philip Roth ou Michel Houellebecq étendent leur ombre symbolique sur l'Occident tout entier. La France détient tout de même une belle spécialité, avec Colette et son Chéri, Simone de Beauvoir, Marguerite Duras, ou Annie Ernaux et le magnifique Se perdre, récit d'une passion dévastatrice pour un homme plus jeune. Récemment, Mona Chollet(3) a montré comment la figure repoussoir de la sorcière était utile pour maintenir les femmes dans un idéal de jeunesse, de couple, de maternité. Et on ne saurait trop remercier l'Anglaise Viv Albertine qui, en vraie punk qu'elle est restée trente ans après sa fulgurante carrière au sein du groupe The Slits, raconte ses rendez-vous galants, la mort de sa mère, la lutte contre la colère, tout ce qu'elle fait de ses 50 ans à part compter ses rides(4) .

Tout cela fait que parler de son âge, à 50 ans ou à peu près, est le contraire d'un exercice superficiel. Depuis le texte de Sontag, ce qui a le plus changé, c'est sans aucun doute que les femmes travaillent. Elles connaissent donc, elles aussi, la possibilité de l'échec, et la cinquantaine se charge de la même dimension de bilan professionnel que chez les hommes. En revanche, contrairement à ce que conseillait Sontag, elles ne semblent pas avoir renoncé à être des jeunes filles. Peut-être préfèrent-elles superposer. Dans le miroir, la femme mûre n'élimine pas la jeune fille : elles se regardent, s'interrogent, se parlent à distance. Mais les femmes ont-elles appris à dire la vérité ? Elles y viennent, il faut les écouter. Et si la vieillesse est perdue d'avance, autant la perdre en beauté.

1. Ed. J-C Lattès. 2. On ne naît pas femme, on le devient, éd. Stock. 3. Sorcières, la puissance invaincue des femmes, éd. Zones. 4. A jeter sans ouvrir, éd. Buchet-Chastel.

En image d'illustration, Sandrine Kiberlain dans mon bébé (2019) / Sorcières de Mona Chollet (Ed. Zones) / Mae West dans The Heat's On (1943) / Salma Hayek en 2018 / Simone de Beauvoir en 957 / Delphine Seyrig dans India song (1975) / Susan Sontag, The Complete Rolling Stone Interview by Jonathan Cott (Yale University Press). 

Article et témoignages publiés dans le magazine Marie Claire n°803, juillet 2019 

1/6

Pascale, 45 ans, chef décoratrice de cinéma : "“Il y a eu la première fois que l'on m'a vouvoyée.”

Jules Faure

"Nous avons tous assez envie de parler du fait que nous vieillissons parce que bizarrement cela nous surprend tous les jours, alors que c'est bien là la seule non-surprise de la vie. Je suis la petite dernière d'une famille de cinq enfants et j'ai toujours été considérée comme la plus jeune dans un groupe de vieux. Ce n'est que récemment que j'ai senti que ça basculait. Il y a eu la première fois que l'on m'a vouvoyée et maintenant il y a les moments où je ne sais plus comment me coiffer, les moments où j'ai envie de faire marche arrière, les moments où j'ai l'impression d'avoir l'air un peu terne si je ne m'éclaire pas avec une écharpe rouge ou un foulard en soie coloré. Il y a aussi le choc de se rendre compte, tout à coup, que mes petits bébés – qui ont 16 et 18 ans – ont des idées de ouf et n'ont plus besoin de moi pour soulever des montagnes.

Et puis – sans avoir l'impression d'être invisible… – il y a le fait de ne plus avoir à me défendre d'être draguée dans la rue. De ne plus avoir le sentiment d'être un rôti qui se promène. Mais ça, c'est une joie et vraiment très reposant. enfin, ma grand-mère était comme un petit rêve de vieille dame… extrêmement séduisante et hyper-dynamique, elle est morte à 99 ans dans l'appartement dans lequel elle vivait et cuisinait toute seule. Et elle a travaillé et conduit jusqu'à l'âge de 90 ans. Ça donne plutôt envie. non, le plus flippant c'est la vieillesse solitaire et abandonnée. Ça, c'est atroce."

*Propos recueillis par Marina Rozenman 

2/6

Isabelle, 48 ans, maquilleuse : “Je ne suis pas effrayée. Vieillir, c'est entre autres s'affranchir.”

Jules Faure

"J'ai maquillé un grand nombre de célébrités mais mon plus beau souvenir professionnel reste celui-ci : je faisais des animations dans un grand magasin du boulevard Haussmann, à Paris. Une dame avait pris rendez-vous pour un maquillage. Mais elle est arrivée tellement tendue que j'ai posé mes pinceaux en lui expliquant que quoi que je fasse, ça ne marcherait pas. Elle m'a alors expliqué qu'elle recevait à dîner pour la première fois les parents de sa future belle-fille et qu'elle se sentait “moche et vieille”. Et du haut de mes 22 ans et demi, j'ai réussi à la détendre en lui disant qu'il fallait justement que son fils soit fier de sa maman, et que j'allais mettre en valeur son regard.

Quel âge avait-elle ? Je ne sais pas, 50, 60 ans ? donc presque mon âge, oui ! Ça fait bizarre, mais je ne suis pas du tout effrayée. Enfin, disons qu'il y a des moments de ma vie où je me suis sentie certainement plus vieille. Comme il y a deux ans, lorsque j'étais sur le point de refuser pour la énième fois une mission à l'étranger à cause de ma phobie de l'avion, mais que j'avais cette fois conscience qu'une telle opportunité de progresser dans mon métier ne se représenterait peut-être plus jamais. Je me suis demandé alors quel exemple j'étais en train de donner à ma fille de 12 ans, et j'ai compris qu'il fallait que je lui montre que vieillir – ma mère est morte quand elle avait 46 ans, je n'ai pas de repères sur ce fameux mot –, c'est entre autres s'affranchir. Et j'ai accepté le contrat. et pris l'avion."

*Propos recueillis par Marina Rozenman 

3/6

Bethsabée, 50 ans, consultante en marketing : "Je veux juste un peu retoucher les choses pour me reconnaître devant mon miroir"

Jules Faure

"Chaque âge est intéressant. Il n'y a pas de cap des 50 ans. Qui dirait qu'on est une femme dans sa plénitude puis qu'il y a fatalement une dégringolade. De même que j'ai aimé que mon petit garçon ait 1 heure, 15 jours et aujourd'hui 6 ans, je ne mettrai pas en exergue dans la vie d'une femme un âge en particulier. Maintenant, j'ai les pieds sur terre et si quelqu'un me dit que je ne fais pas mon âge, je sais que je ne fais pas non plus 40 ans. Et donc j'accepte le temps qui passe – je trouve Gena Rowlands, dans Gloria de John Cassavetes, marquée et très belle – mais je n'ai pas de complexe à dire que de là à là (Elle pointe le haut du visage jusqu'au bas du cou.), je fais beaucoup de laser. Car ce ne sont pas les rides qui font vieux mais si on a une jolie peau, ou pas.

Et pour les endroits où le visage se creuse et où les ombres se forment – là, sous les yeux, au niveau des joues, des pommettes, etc. ? J'ai recours aux injections, oui. D'acide hyaluronique. Mais je suis une control freak. Alors, le mec, je lui dis : “Tu piques là, mais pas là. Je veux garder cette ride.” car l'enjeu n'est pas de ressembler à celle que j'étais à 20 ans. Ou d'être lisse ou tirée. Je m'aime telle que je suis, avec mes défauts. Mais, je veux juste un tout petit peu retoucher les choses qui s'abîment. Pour me reconnaître devant mon miroir, longtemps."

*Propos recueillis par Marina Rozenman 

4/6

Isabelle, 56 ans, styliste : “Vieillir, c'est devoir faire du sport comme un bon petit soldat.”

Jules Faure

"Vieillir, c'est la poitrine, le ventre, les cuisses, les mains qui vieillissent. Mais pas le dos ! vieillir, c'est la ménopause. Quand on transpire la nuit comme je ne sais quoi, ou que l'on change trois fois de tailles de soutien-gorge, parce qu'on gonfle, dégonfle, gonfle, dégonfle. Vieillir, c'est le sport qu'il faut faire comme un bon petit soldat, parce qu'on perd en muscle. Moi, je teste le bodytech, le yoga bikram ou le yoga infrarouge. Vieillir, c'est l'effort supplémentaire qu'il faut faire quand on est gourmande, pour enlever plus d'une tartine au petit-déjeuner, si l'on veut que tout rentre dans l'ordre. Enfin, vieillir, c'est un verbe. Donc il y a une idée de mouvement.

Dans la vie, on évolue seule, puis à deux, trois, quatre, cinq, jusqu'à six – j'ai eu quatre enfants – puis ça repart dans l'autre sens… on est cinq, quatre, trois, deux… Je suis fraîchement séparée. Le petit dernier est toujours à la maison. Il prend son temps. Mais je suis tout de même en train de m'organiser pour aller au Portugal ou en asie. Pas pour des vacances, non. Pour y vivre. Et pour y travailler. Parce que les familles aujourd'hui ne sont plus tout à fait ce qu'elles étaient. Le parent doit désormais se débrouiller seul. Et je pense à cette image que j'ai des africains qui, à partir d'un certain âge, s'arrêtent à un arbre parce qu'ils sentent qu'ils risquent de ralentir le groupe. Ils disent : “Je me pose, continuez votre chemin, je m'arrête là.” et je m'en vais donc, ailleurs. M'assumer."

*Propos recueillis par Marina Rozenman 

5/6

Raphaële, 52 ans, médiatrice : "Tout ce qui vient maintenant: c’est cadeau."

Jules Faure
"J’étais tranquille. Je ne voulais pas de mec. Et j’ai rencontré Julien, un mois avant la grosse fiesta de mes 50 ans. Il était charmant. On a bien rigolé. Et pour notre première sortie seuls, sans notre ami commun, je lui ai proposé de m’accompagner au cinéma pour voir un opéra filmé. Cosi fan tutte, mise en scène par Anne Teresa de Keersmaeker. A Garnier. On est allé chez moi après, et au moment de partir il m’a juste pris dans ses bras. Il y a 15 ans, j’aurai trouvé ça étrange – un homme qui prend dans les bras, pour dire au revoir – je n’aurai pas compris. Mais, l’avantage d’avoir vieilli c’est que je suis un peu moins midinette, et que là, j’ai juste trouvé ça trop bon. Enfin, oui, 3-4 jours plus tard, il a fini par m’embrasser pour de vrai. Chez lui. Et il y a un truc qui m’a fait complètement craquer, ce sont ses mains. Douces et très chaudes...
 
Maintenant, la particularité à nos âges c’est aussi qu’on ne part pas du principe que l’on va habiter ensemble, qu’il n’y a pas la question d’avoir ou non des enfants, et que tout ce qui vient : c’est cadeau. Quant à mon corps de femme de 50 ans… Des traces visibles de vieillerie qui se pointent peu à peu, voire parfois brutalement, sans prévenir ? J’en ai. Mais Julien n’arrête pas de me faire des compliments et de me dire que je suis parfaite, et les jeunettes de 25 ans ne semblent pas spécialement l'attirer. La nana qu’il a quittée pour moi avait mon âge. Soit quelques années de plus que lui : il a 48 ans." 
   
*Propos recueillis par Marina Rozenman 
6/6

Hélène, 47 ans, historienne de l’art : "J’ai du mal avec le fait que l’on m’appelle Madame dans les cafés."

Jules Faure

"Il y a la vieillesse et il y a vieillir, ce sont deux choses différentes. La vieillesse me fait peur. Vieillir, je ne crois pas. J’observe mes parents, ma belle-mère, j’écoute la manière dont ils en parlent. Et la vieillesse me semble quand même lointaine. Enfin, je dis ça mais en même temps je guette, ou plutôt je suis attentive aux indicateurs : je ne récupère pas de la fatigue de la même manière – ça, c’est très impressionnant ; j’ai du mal avec le fait que l’on m’appelle Madame dans les cafés – ce qui est absurde, c’est parfaitement naturel ; je ne peux plus lire mes SMS sans mes loupes – ça, c’est spectaculaire, ma vue a toujours été impeccable ; et j’ai les fesses qui pendent – mais ça, franchement, je m’en tape le cul par terre.

Non, le plus difficile c’est de ressentir l’épreuve de la limite : d’avoir soudainement la perception, l’intuition, l’instinct que chaque journée compte. Je n’avais pas cette préoccupation-là, avant. J’essayais tout. Alors qu’aujourd’hui, je choisis. Je dirai même qu’il faut que je trouve dans chacune de mes journées matière à m’émerveiller. Un exemple ? Hier, en traversant le jardin du Palais-Royal, pour me rendre à la bibliothèque de l’INHA*. J’ai découvert dans les magnolias en fleurs une couleur que je ne connaissais pas : un rose pourpre, un peu plus foncé qu’un fuchsia. Donc vieillir ne m’inquiète pas parce que des progrès à faire et des apprentissages à vivre, il m’en reste plein."


*L’institut national d’histoire de l’art.

Propos recueillis par Marina Rozenman 

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