Convictions féministes chevillées au cœur, elle a lutté, toute sa vie, pour une société américaine plus égalitaire. Dans l'Amérique de Trump, Ruth Bader Ginsburg, alias "RBG", était devenue la coqueluche d'une jeunesse aussi connectée qu'engagée.

Figure du droit à l'avortement outre-Atlantique

Disparue à l'âge de 87 ans en septembre 2020, la juge progressiste manque aux Américain·es. Plus que jamais, en juin 2022. Ce mois-là, la Cour suprême, dont elle fut la doyenne jusqu'à sa mort, a décidé d'annuler l'arrêt historique Roe v. Wade, et de rendre à chaque État le dangereux pouvoir d'interdire l'IVG. Et les manifestantes stupéfaites, inquiètes pour leurs droits et leur santé, brandissent des pancartes : "Sorry RBG".

Vidéo du jour

D'autres partagent sur leurs réseaux sociaux leurs pensées pour elle et ses puissantes citations, comme : "La décision de porter ou non un enfant est centrale dans la vie d’une femme. Quand le gouvernement prend cette décision à sa place, elle n’est plus un être humain adulte à part entière, responsable de ses propres choix". 

Ardente défenseuse du droit à l'avortement, la juge a toujours pensé que la plus haute juridiction des États-Unis, où elle était nommée à vie, n'avait pas à intervenir sur cette liberté fondamentale.

À la mort de RBG, juste avant l'élection de Joe Biden et la fin de son mandat, Donald Trump s'empresse d'attribuer le siège de la progressiste à la conservatrice Amy Coney Barrett. C'est un choc : les Démocrates ne sont plus majoritaires à la Cour suprême.

Certains regrettent que Ruth Bader Ginsburg ait refusé de démissionner durant le mandat de Barack Obama. Son retrait, à cette période, aurait garanti que son successeur soit nommé par un président démocrate.

"Si un président républicain choisit le remplaçant de Ginsburg, ce juge pourrait facilement être le cinquième vote nécessaire pour permettre au gouvernement d'interdire tous les avortements", alertait le juriste américain Erwin Chemerinsky dans le Los Angeles Times, en mars 2014.

Aujourd'hui, les conservateurs qui s'opposent à l'IVG narguent sur la Toile, remercient la femme de loi progressiste qui n'a pas pris sa retraite "à temps" pour leur victoire. #ThankYouRBG, tweetent certains.

Discriminée parce que femme 

Mais qui est cette figure progressiste, érigée en icône outre-Atlantique ?

"Sois une femme, sois indépendante." Sa mère le lui rabâche toute son adolescence. Née le 15 mars 1933 à Brooklyn, Ruth Bader Ginsburg intègre la première promotion mixte d'Harvard, et dans ce lieu de savoir et de prestige, elle comprend le sens des conseils prodigués par sa mère, quand le doyen demande à chacune des neuf femmes de sa promotion de justifier pourquoi elles occupent "une place qui devrait revenir à un homme".

Lorsque cette fille d'immigrants juifs sort major de Columbia dans les années 60, aucun cabinet ne veut l'embaucher. Une deuxième fois dans sa jeune carrière, Ruth Bader Ginsburg est victime de discriminations sexistes.

R.B.G à la Cour suprême

Après avoir touché au plus près cette injustice, l'avocate - comme sa vocation lui incombe - décide de la combattre. Six plaidoiries à la Cour suprême contre la discrimination sexuelle pour cinq victoires.

Nul ne peut encore ignorer que l'Amérique des années 70 prive les femmes de pouvoir, parce que Ruth Bader Ginsburg, du haut de son mètre cinquante-cinq, a porté ce message au plus haut niveau de la juridiction américaine, jusqu'à secouer la société.

Maître Bader Ginsburg devient Madame la juge. Bill Clinton, alors Président des États-Unis, la nomme membre de la Cour suprême en 1993 et fait d'RBG, la deuxième femme de l'histoire du pays à siéger à ce poste. Elle est peut-être la plus âgée alors, mais c'est elle la moins conservatrice des juges. La "dissidente" représente l'espoir des démocrates depuis l'élection de Donald Trump, son frêle rempart. 

 

Phénomène de la culture populaire

Sur des pancartes, des mugs, des totes-bags... Son visage fermé, strict, se déclinait sur tous ces goodies avant sa disparition. La femme de loi - et son jabot à dentelle, ses gros colliers, ses boucles d'oreilles, ses lunettes rectangulaires - est entrée dans la pop-culture américaine et dans la culture geek.

L'émission culte Saturday Night Live a mêmerecréé son personnage caricaturé en rigide garante des droits, quand les jeunes internautes partagent des mèmes de Notorious R.B.G. Ce surnom, en référence au rappeur Notorious B.I.G, a rendu la femme de loi définitivement populaire, "iconique".

via GIPHY

L'idée d'une grand-mère, âgée, minuscule, et pourtant coriace, amuse autant qu'elle inspire. Ne pas s'y méprendre : derrière la starification, les caricatures, et même, les déguisements, on ressent un profond respect de cette fonction occupée jusqu'à la fin, et surtout, de la personne. 

Le puissant slogan You can't spell Truth without Ruth littéralement, "Tu ne peux pas prononcer la vérité sans Ruth", ndlr) se retrouve sur des dizaines de modèles de T-shirts floqués. Femwashing ? Que pensait la rockstar malgré elle de cette appropriation ? "Elle n’a jamais cherché cette notoriété mais cela l’amuse, nous confiait en octobre 2018 Besty West, la co-réalisatrice du documentaire RBG, [sorti en France en 2019 sous le titre "Une femme d'exception" ndlr]. Elle y voit l’opportunité de faire passer le message essentiel que la justice et la constitution sont les garanties de notre démocratie."