Quand l’éducation des enfants divise le couple

Par Alix Leduc
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Avec le partage de la charge mentale et des responsabilités, des nouveaux désaccords sont nés au sein du couple à propos de l'éducation des enfants.

Antibiotiques ou homéopathie ? Violon ou judo ? Pardon ou punition ? Purée ou haricots verts ?… Les petites et grandes décisions de l’éducation quotidienne sont devenues de vrais sujets de conflits à répétition pour les couples. A une génération d’ici, c’était forcément plus paisible, les pères n’intervenant pas ou si peu dans cette sphère domestique. Mais partage des tâches oblige, ils ont désormais leur mot à dire, aussi bien pour l’alimentation des petits que pour le choix du collège ou celui de la punition adaptée… Et c’est là que les divergences arrivent. Et le flot de questions. Qui a tort, qui a raison ? A qui de trancher ? Qu’est-ce qu’une mère ? Qu’est-ce qu’un père ? Doivent-ils être interchangeables, notamment en cas de séparation… Et lentement, ce sont les fondements du couple qui se lézardent.

« Il existe une concurrence grandissante entre le père et la mère sur la question de l’éducation, constate la sociologue Sylvie Candolle (« Etre parent, être-beau-parent » éd. Odile Jacob). L’indistinction des rôles, le fait que les deux sexes soient impliqués, c’est bien pour la parité, mais c’est devenu beaucoup plus casse-gueule pour le couple. Les pères, qui rejettent de plus en plus le statut caricatural de l’autorité, cherchent à devenir des “mères bis”, et préfèrent une atmosphère détendue, plus ludique et plus tendre. Du coup, les mères ont de plus en plus souvent le sentiment d’avoir à tenir le mauvais rôle. »

Chacun cherche sa place. Et jamais la pression parentale, en plus, n’a été aussi forte. Avec la précarisation du couple, réussir l’éducation est devenu « le » nouveau défi… Mais en l’absence de schéma clair et de mode d’emploi, on bricole, on s’arrange, on négocie au coup par coup. Et souvent, on s’empoigne. Au risque même d’oublier, parfois, l’intérêt direct de l’enfant… Deux mères et un père racontent.

Couple et enfants : "l’éducation a systématiquement été source de conflit"

Myriam, 42 ans mère de trois enfants (15, 17 ans et 8 ans) de deux pères différents

"J’ai toujours été attirée par des hommes qui adorent les enfants. Mais avec le recul, je réalise que j’ai quand même choisi – inconsciemment – des “pères extrêmes” avec qui le sujet de l’éducation a systématiquement été source de conflit… Le premier était un ex-soixante-huitard, hyper laxiste, partisan de tout négocier avec les enfants. Non seulement un père trop cool, mais qui se mêle de tout, convaincu de détenir la bonne façon d’éduquer. Tant que les enfants étaient petits, ça fonctionnait, on leur inculquait de belles valeurs, ensemble. Mais tout s’est compliqué à l’adolescence. Avec lui, les enfants sont consultés sur tout, jamais frustrés, jamais contrariés. Privés de révolte… Et là, je ne suis plus du tout d’accord. Moi, je suis pour le cadre, nécessaire à leur construction. Et j’ai toujours essayé, comme je peux, d’imposer des règles, de donner des ordres, de rappeler que ce sont les parents qui décident. Malgré moi, j’ai été obligée d’endosser le sale rôle. Et bien sûr, j’en ai voulu à Luis pour ça. Je le lui ai souvent reproché.

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Il a fallu apprendre à faire des compromis à distance

C’était devenu un sujet d’engueulade récurrent. Et violent. Quand nous avons divorcé, les enfants avaient 6 et 8 ans. C’était une période où je travaillais énormément, je ne les avais à la maison que les week-ends. Et, bien sûr, je n’avais qu’une envie quand je les retrouvais : les cajoler, les embrasser… Certainement pas de jouer les gendarmes ! Mais je n’avais pas le choix, face à un père toujours prêt à prendre leur défense. Même séparés, on a donc continué à s’engueuler pour des problèmes d’éducation. Encore plus, même. Car évidemment les petits préféraient rester chez leur père où tout était permis, et quand ils revenaient, tout était à reprendre à zéro. Il a donc fallu apprendre à faire des compromis à distance. Récemment, notre fille a redoublé. Rien de dramatique, mais il fallait réagir, car je la sentais démotivée. On s’est donc retrouvés, son père et moi, dans un café, pour élaborer une « stratégie commune », avant qu’elle ne nous rejoigne. Lui, comme toujours, était dans l’empathie, il la plaignait, s’inquiétait… Il a fallu que je lui demande de prendre sa "grosse voix"; on a même dû répéter la scène ! (Rires.)

Ironie de l’histoire, mon second compagnon, qui a une vingtaine d’années de moins, est la copie inverse du premier. Un père très présent aussi, mais version "despote". Et le problème n’est pas plus simple…"

Couple et enfants : "chez nous, c’est un peu la famille à l’envers"

Jean, 38 ans, père d'une fille de 7 ans 

"Chez nous, c’est un peu la famille à l’envers. J’ai souvent l’impression que c’est moi la "maman" et j’adore ça. En fait, c’est assez déséquilibré. Anne, qui est décoratrice, est toujours débordée. Et comme je travaille à la maison en tant qu’indépendant, c’est moi qui gère les journées avec Léa. Je passe la chercher à l’école, je rencontre sa maîtresse, je papote avec les parents d’élèves… Puis on repart en scooter, sans omettre l’arrêt à la boulangerie pour acheter le pain au chocolat. Après, c’est le rituel : goûter, devoirs, jeux et bain… Un enchaînement bien rôdé. (Rires.) Anne débarque le plus souvent après le brossage des dents, quand je suis en train de lire une histoire à Léa ou qu’elle me confie le dernier scoop sur son amoureux de la semaine. Le duo devient trio, mais ça sonne de plus en plus faux. Je m’éclipse, je les laisse entre filles. Anne, en général, en fait trop, elle veut rattraper le temps perdu, bombarde Léa de questions, exige un résumé détaillé de la journée, quémande des câlins. Et le week-end, c’est pire. Elle compense son absence de la semaine en organisant des journées ultrachargées, sans aucun temps mort. Elle se transforme parfois en gendarme ; je trouve ça vraiment insupportable. Et injuste.

Ma femme est totalement à côté de la plaque en matière d’éducation

Je ne sais pas combien de temps on va tenir avec ce schéma-là. Anne culpabilise de plus en plus de ne pas être assez "maternelle". Du coup, elle me reproche de trop couver Léa. Elle se sent exclue, juge notre relation trop fusionnelle. On s’engueule de plus en plus à ce sujet, surtout quand je lui demande de s’impliquer davantage. Elle me reproche de ne pas lui laisser sa place, mais, quand elle l’a, elle fait n’importe quoi ! Elle adore Léa, on s’aime fort tous les trois, mais elle est totalement à côté de la plaque en matière d’éducation. Elle arrive à inculquer de belles valeurs à notre fille. Mais en ce qui concerne le quotidien, elle ne sait pas gérer les mille et un détails qui font la vie des parents. Je lui glisse des pense-bêtes dans son agenda du genre « Léa danse, 17 h 30 », mais je sais qu’elle va oublier si je ne le lui rappelle pas. Avec elle, tout est dans l’excès, tout doit être fort et intense. La routine l’ennuie. C’est ce qui m’a séduit chez elle, en tant que femme, ce côté fantasque et cette capacité à improviser tout le temps. Mais cela ne fonctionne pas du tout avec une enfant qui a besoin de structure, de règles, d’un cadre rassurant. Et c’est ce qui risque finalement de faire exploser notre couple."

Couple et enfants : "il y a vraiment eu un avant/après dans notre couple"

Sabrina, 38 ans, mariée et mère d'un fils de 10 ans et une fille de 8 ans

"Il y a vraiment eu un avant et un après dans le comportement de Paul, et entre les deux, le jour où nous sommes devenus parents. Moi qui l’avais jugé tendre, doux et attentionné ; avec la naissance de notre fille, je l’ai découvert psychorigide, brutal, cassant. Mon premier choc, je l’ai ressenti quand Mathieu avait 3 mois. Je l’allaitais et une nuit, alors qu’il pleurait parce qu’il avait faim, il m’a interdit d’aller le voir. Il m’a forcée à rester dans la chambre, en me plaquant brutalement sur le lit. Je n’ai pas su lui résister, j’étais paralysée. Je ne lui ai pas parlé les trois jours qui ont suivi. Puis j’ai pardonné. J’aurais dû réagir à ce moment-là, mais j’avais envie d’y croire, je me suis rassurée en me disant qu’il s’agissait d’une passe difficile, que mon mari était un jeune papa, fatigué par ses nuits trop courtes.

Malheureusement, je n’ai jamais retrouvé le Paul d’avant. Et aujourd’hui, dix ans plus tard, il continue à me terroriser. A nous terroriser. A la maison, il passe son temps à donner des ordres et à crier. Il a décidé de les élever "à la dure", surtout l’aîné, notre fils, qui a 10 ans, à qui il met une pression permanente. La première chose qu’il lui grogne en arrivant, c’est : « T’as fait tes devoirs ? » Il lui aboie après pour un rien, à la maison, mais aussi devant les autres. Ce qui peut être très humiliant. Mais il est tellement persuadé d’être dans son droit, qu’il considère cela normal. Il fait aussi une fixation, limite maladive, sur leur alimentation et leur santé. Adepte du bio, il surveille leur petit-déjeuner, qui doit impérativement être composé de fruits qu’il découpe lui-même, de céréales, de lait de soja… Et quand j’achète du surgelé, je passe pour une mauvaise mère ! Lorsque je cuisine (ce qui, heureusement, est rare), j’ai toujours peur qu’il me reproche de vouloir les empoisonner…

Prendre le pouvoir sur l’éducation des petits, c’est sa manière d’affirmer qu’il détient un savoir que je n’ai pas

Plus sérieusement, j’ai peur pour mon fils, j’angoisse à l’idée qu’il se fasse écraser par son père, qu’il soit cassé. J’essaie de rééquilibrer les choses en le suppliant de le laisser respirer. Du coup, Cyril me traite de laxiste, il me reproche d’infantiliser nos enfants pour les rendre dépendants de moi. Quand je m’occupe de leurs vêtements ou de leur coupe de cheveux, il me balance que pour moi, "il n’y a que l’apparence qui compte". Lui, bien sûr, gère l’essentiel : le régime, les rythmes de sommeil, les devoirs… Et visiblement il a tout un réseau de copains qui militent pour la même cause : « Vous, les mères, vous n’assurez plus, heureusement qu’on est là ! »

Ma seule marge de manœuvre, c’est de les protéger, de dédramatiser, de rendre les devoirs plus ludiques, d’encourager, de féliciter… Mais je ne vois pas vraiment d’issue, car j’ai l’impression que prendre le pouvoir sur l’éducation des petits, c’est sa manière d’affirmer qu’il détient un savoir que je n’ai pas, une manière de s’imposer, de reprendre le pouvoir tout court, peut-être parce que c’est moi qui ai la carrière la plus brillante et qui nourris toute la famille… En fait, c’est notre relation qui est en question, les enfants n’étant devenus qu’une arme de plus à l’intérieur de notre conflit. Un conflit de pouvoir, typique des couples d’aujourd’hui."

Couple et enfants : "la question de l'éducation est une source de conflit dans le couple"

Marie Claire : L’éducation des enfants est-elle vraiment devenue un nouveau terrain d’achoppement du couple ?

Etty Buzyn
* : Oui. Je vois énormément de couples en conflit, qui souffrent du flou qui règne autour de la question de l’éducation et de la grande question : « Qui fait quoi ? ». Parce que les rôles père/mère sont de plus en plus interchangeables. Aujourd’hui, les hommes s’impliquent davantage dans la vie de famille. Ils sont plus sensibles, plus dans l’affectif. Dans les cas de divorce, le père est d’ailleurs souvent conduit à jouer les deux rôles, à prendre en charge l’enfant, les devoirs, la cuisine et tout le reste… Il faut accepter de sortir du schéma traditionnel du papa qui commande et de la maman qui console. Le plus important, c’est de pouvoir offrir à l’enfant des issues différentes et complémentaires : la tolérance et la liberté d’un côté, la loi et les limites de l’autre.

M. C. : Pas besoin pour cela d’être d’accord sur tout…
E. B. : Mais non. Paradoxalement, le soi-disant couple parental idéal, celui qui est en accord sur tout, n’est pas si idéal que ça ! Un couple siamois peut même empêcher un enfant de se construire normalement. Les divergences des parents permettent souvent de créer un équilibre, de compenser les excès et les manques de chacun. Il vaut toujours mieux qu’un enfant ait deux modèles, qu’il puisse profiter de plusieurs sources de référence. Avoir des parents différents permet à l’enfant de se créer ses propres repères, de choisir de se tourner vers l’un ou vers l’autre selon ses besoins. Il sait, instinctivement, qui est qui, qui fait quoi.

M. C. : Mais lorsque la différence tourne au conflit ?
E. B. : La règle de base est de ne pas laisser éclater les conflits devant l’enfant. Les parents doivent se comporter en adultes. Quand ils n’arrivent pas à gérer leurs différences, ils doivent s’interroger sur le sens profond de ces divergences, en se posant les bonnes questions. En parler. Consulter peut être une solution, éventuellement avec l’enfant, entamer une thérapie familiale. Les origines de ces fameuses divergences masquent souvent un manque de confiance du couple. Les problèmes sont ailleurs, et c’est l’enfant qui fait les frais d’un conflit qui le dépasse. Les parents parfois instrumentalisent ainsi l’enfant pour régler leurs comptes. Et, face à cette incompatibilité, l’enfant, tiraillé, peut se mettre en danger pour les rapprocher, fabriquer lui-même une réconciliation…

Dans le mythe de Salomon, deux femmes prétendaient être la mère d’un enfant. Comme il n’y avait aucun moyen de connaître la vérité, Salomon proposa de le couper en deux. La véritable mère, c’est celle qui a préféré donner son enfant plutôt que de le voir mourir.
On ne doit jamais couper un enfant en deux. Les parents doivent s’ajuster l’un à l’autre et nécessairement faire des concessions. Il est indispensable d’arriver à un compromis. Quitte à ce que l’un des deux renonce, momentanément, à camper sur ses positions. Il faut être souple, épargner l’enfant, pouvoir lui dire « Ta mère a raison », « Ton père n’a pas tort »… Le couple parental doit être un socle sur lequel l’enfant peut s’appuyer. Il a besoin de cette sécurité, de cet axe fixe, pour avancer.

(*) Pédopsychiatre, auteure de « Me débrouiller oui, mais pas tout seul » (éd. Albin Michel).

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Les avis des internautes

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De anonyme
Bien d'être attentif au travail de nos enfants. Attention de ne pas en faire trop et c'est bien là la difficulté d'être parent. Tout va bien quand l'enfant renvoie à son père où sa mère l'image qu'ils souhaitent. Moi, je trouve normal d'avoir une très bonne moyenne en primaire et même une moyenne plus basse ne m'effraie pas. Il faut savoir qu'en primaire les enfants travaillent pour faire plaisir aux parents. Je ne parlerais que de la primaire. Je pense que le monde est dingue et que les parents ont de plus en plus le sentiment d'être obligé de prendre la place des maîtres. Si la maison se transforme en salle de classe, alors oui c'est normal et OBLIGATOIRE d'avoir une moyenne de vainqueur. Bonne continuation aux loulous
De anonyme

J'ai 38 ans et mon mari en a 48; nous avons 3 enfantsde 10,5 et 4 ans.
Il est d'une exigence extrème avec notre ainée de 10 ans, il le voit déjà dans les grandes écoles; pour lui l'université serait ce qu'il y a de pire pour "son" fils.
J'essaye de temporiser mais il me dit que je n'ai pas d'embition pour mes enfants...
Tout cela fait que la situation à la maison est toujours éléctrique...
D'un coté c'est pas mal qu'il s'en occupe car moi je n'aurais pas pu assurer sur certaines matières ;mais son problème c'est l'excés et j'ai peur qu'il ne les dégoute de l'école.
En ce moment j'apprend à lire à ma fille de 5 ans et dés qu'il m'entend un peu insister sur un truc il veut prenre le relais et veut utiliser les mêmes manières qu'avec le plus grand.
En fin de compte la conclusion c'est qu'il faut trouver une juste mesure; tout le monde veut que son enfant soit excellent mais il ne faut pas que cela soit à n'importe quel prix.
Nous n'arrivons plus à en parler et j'appréhende déja la rentrée car il a mis à notre fils la barre des 18 de moyenne en CM2...(Il a eu 17,60 en CM1)