Qu'est-ce qu'un bon père pour une fille ?

Par Ingrid Seyman
bon père pour une fille
Le premier homme de notre vie joue un rôle fondateur dans notre rapport au monde, à l'amour et à notre féminité. Justement, quelles sont les qualités d'un père suffisamment bon pour une fille ?

"Je n'aurais pas été moi si je n'avais pas eu ce père-là", nous confiait, il y a quelques mois(1), Marisol Touraine, ministre de la Santé. Des mots qui font écho à ceux de Cécile, 45 ans, convaincue que sa brillante carrière professionnelle est en grande partie liée à l'éducation volontariste reçue par son père, quand Julie, 35 ans, avoue : « Le mien m'a donné une énorme confiance en moi et un caractère de battante. Pour être franche, je crois avoir passé ma vie à chercher chez un homme le même type de complicité et de saine émulation qui existaient entre nous. »

Rien d'étonnant pour le psychiatre Alain Braconnier(2) qui, levant le voile de pudeur qui recouvre bien souvent les relations père-fille, est convaincu « de l'influence déterminante de cet homme sur la construction et l'épanouissement de la femme à venir ». 

Certes, on peut aussi faire sans. Mais il n'en demeure pas moins que derrière une femme « à l'aise dans ses baskets » se cache souvent un homme qui a bien tenu son rôle de père. « Le père joue le tiers séparateur dans la dyade mère-enfant », éclaire la psychothérapeute Valérie Colin-Simard(3), tout en précisant que cette fonction peut être endossée par une autre personne, l'essentiel étant l'existence de ce tiers, qui vient « empêcher » la fusion entre la maman et l'enfant. Le père c'est donc l'autre… et « il l'est d'autant plus pour la petite fille qu'elle est du sexe opposé », rappelle Alain Braconnier. 

Le rôle du père est de sortir les filles (comme les garçons) des jupes de leur maman

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Si cette altérité se matérialise de multiples façons, Julie se souvient d'une maman très protectrice et d'un papa « qui passait son temps à me lancer des défis et faire taire mes peurs », tandis que Cécile résume d'un sourire : « Lorsqu'on jouait, ma mère avait tendance à me laisser gagner… mon père, jamais ! D'ailleurs nos conflits, comme nos débats enflammés, sont légendaires. » Pour Valérie Colin-Simard : « Le rôle du père est de sortir les filles (comme les garçons) des jupes de leur maman, en les ouvrant à la différence, au conflit, auxquels elles seront confrontées dans le monde extérieur. »

David Beckham et sa fille Harper / Instagram @DavidBeckham

David Beckham et sa fille Harper / Crédit photo : Instagram @DavidBeckham

Car, en dépit de la disparition heureuse du patriarcat d'antan, le père, non content d'être l'autre, symbolise encore « les autres » à la maison : « Si les femmes travaillent et occupent de plus en plus des postes de pouvoir, la société reste dominée par le masculin, rappelle la thérapeute Nicole Prieur(4). Le père est donc un ersatz du monde extérieur et doit familiariser ses enfants avec ses codes. » 

Ainsi Cécile a appris de son père « à se battre pour ses convictions », tandis que Murielle, 40 ans, se souvient avec émotion des dîners organisés par son père, célèbre neurobiologiste : « Il recevait des gens très intellos et m'invitait à discuter avec eux, à me nourrir de leur diversité. J'étais fière de sa confiance et, en même temps, je n'avais qu'une peur : ne pas être à la hauteur. »

Être un bon père : entre incitation au challenge et bienveillance rassurante

Nombreuses sont les femmes à avoir eu peur, enfants, de leur père ! La faute sûrement à sa voix et à son rôle traditionnel de poseur d'interdits, « authentique aperçu du pouvoir qu'un autre que nous peut exercer sur notre personne », résume Alain Braconnier. « Il était très autoritaire », confirme Souhila, 38 ans, qui associe spontanément la figure paternelle à la notion de « cadre et de limites à ne pas franchir, très sécurisante sur le long terme… mais flippante quand on est enfant ».

Interrogée sur le pire défaut de son père, Marisol Touraine nous confiait l'avoir trouvé « trop exigeant, avec une attente trop forte ». Une impression partagée par Cécile, devenue cadre sup pas par hasard : « Je ne pouvais pas me permettre de faire des études en dessous de ce qu'il espérait de moi… j'avais la trouille qu'il ne soit pas fier de mon parcours. » Et c'est certainement la différence fondamentale entre une mère et un père : « L'amour maternel est vécu comme inconditionnel par l'enfant qui pressent que sa maman pourrait tout lui pardonner », rappelle Nicole Prieur. Par opposition, le lien au père paraît plus fragile : on a longtemps peur de braver ses interdits ou de ne pas être à la hauteur de ses attentes.

 Tu peux le faire

Mais alors, comment être un bon père pour une fille ? La pousser à donner le meilleur d'elle-même sans pour autant l'enfermer dans la crainte ou la dévotion paralysante ? Quand on demande à Adèle, qui a accédé aux plus hautes fonctions de l'Etat, de résumer son père d'une phrase, elle répond : « Tu peux le faire ! »(1) Nous livrant par ces mots la clé d'un dosage, aussi subtil que nécessaire, entre incitation au challenge et bienveillance rassurante. « Le fait de pouvoir discuter d'égal à égal avec lui, depuis mon plus jeune âge, m'a donné une grande confiance en moi », souligne Cécile, tandis que Julie se rappelle que « les défis, auxquels son papa la soumettait – que ce soit nager jusqu'à l'île ou exposer ma propre vision d'un sujet… qu'il maîtrisait parfaitement – étaient toujours accompagnés d'encouragements ». 

Sur un autre registre, Souhila se souvient : « Mon père était analphabète, ouvrier, algérien. En même temps, il ne doutait pas une seconde que sa fille soit à même de rapporter le meilleur bulletin scolaire à chaque fin d'année ! Si je suis devenue juriste, dans un milieu assez peu ouvert aux enfants d'immigrés, c'est à sa confiance en moi que je le dois. » 

Jay Z et sa fille Blue Ivy

Jay Z et sa fille Blue Ivy / Crédit photo Abaca

Si elle se félicite que les pères modernes soient de plus en plus tendres et câlins, Valérie Colin-Simard les incite par ailleurs à « croire aux fabuleuses capacités de leur fille, en évitant de les surprotéger sur un mode papa poule ». En jeu : rien moins que le narcissisme de la femme à venir, en qui son père a crû depuis sa petite enfance. Car le regard bienveillant d'un père sur sa fille est « un authentique passeport de confiance en soi », estime Alain Braconnier, avant de rappeler qu'il est aussi « le premier homme de la vie d'une femme et qu'il joue un rôle essentiel dans l'acceptation et la valorisation de ce qu'elle est, notamment de sa féminité ». 

Alors oui, chers pères, n'hésitez pas à nous dire que nous sommes fortes, intelligentes… et belles ! Car avoir la certitude d'être aimée par son père, c'est aussi acquérir très tôt la conviction que, le jour venu, un homme saura, certes différemment, aimer tout ce qu'on est. « Une fille sécurisée par le regard de son père pourra ensuite chercher un homme qui ne sera pas son protecteur mais son égal », précise Valérie Colin-Simard. « Les femmes d'aujourd'hui sont les premières à avoir grandi en s'imaginant pouvoir, à l'âge adulte, accéder au même statut social que leur père », se félicite Alain Braconnier. Il est d'ailleurs intéressant de constater à quel point les « femmes de tête » ont souvent été stimulées dès leur prime enfance par les discours de pères qui ne faisaient (heureusement) plus de différence entre les genres : « Lorsqu'on parlait carrière, mon père nous tenait, à mon frère et moi, exactement le même discours », se souvient Julie, qui a osé, grâce à lui, « devenir journaliste, m'installer en Espagne puis en Afrique, parcourir le monde sans avoir froid aux yeux ».

Ma fille, c'est moi en mieux 

Quand il évoque sa fille, le père d'Anne Hidalgo, devenue maire de Paris, avoue : « J'avais de l'ambition pour elle. »(1) Un sentiment partagé par Hervé, professeur de lycée, qui déplore « que de nombreuses filles douées en maths et en français choisissent systématiquement la filière littéraire en classe de première. La mienne fera ce qu'elle veut, mais je souhaite qu'elle s'autorise à être ingénieure si elle en a envie. » « En incitant leur fille à être ambitieuse, les pères, qui continuent à représenter le pouvoir dominant, leur transmettent la conviction qu'elles sauront faire leur place dans la société », résume Valérie Colin-Simard. Une transmission qui passe par le discours, mais aussi par l'exemplarité. « Mon père était un intello chercheur. Il ne s'est jamais mêlé de ma carrière, mais ce n'est pas un hasard si je suis devenue directrice de communication dans l'humanitaire. Pour moi, avoir un poste à responsabilité et un job qui a du sens, ça allait de soi », explique Murielle.

S'autoriser à faire autant, voire plus, que son père : voilà le credo de nombreuses femmes épanouies dans la vie comme dans leur carrière, à commencer par Clémentine Autain, militante féministe et conseillère municipale (Front de gauche) à Sevran, dont le papa avoue carrément : « Ma fille, c'est moi en mieux ! »(1)

Être un bon père : un homme qui laisse sa place à un homme

« Si le père symbolise la société, et donc la place qu'elle peut – ou pas – faire aux femmes, certains ont tendance à en demander trop à leur fille, comme on demande trop en général aux femmes dans le monde actuel, prévient Nicole Prieur. Je reçois en consultation de nombreuses patientes qui s'épuisent à épater leur papa tout au long de leur vie, optant pour des carrières destinées à lui plaire – plus qu'à elles – et souvent frustrées car, quoi qu'elles fassent, ce ne sera jamais assez. » 

L'exigence d'un père peut aussi se transformer en pression démesurée sur les épaules d'une fille qui, comme Julie, constate après coup : « J'ai choisi mon premier mari en fonction des critères paternels, plus que des miens. J'ai épousé un ambitieux, bon père de famille… mais surtout un mec qui bossait quatre-vingts heures par semaine et n'était pas là quand j'avais besoin de lui, même si mon papa l'adorait. » 

Kanye West et sa fille North

Kanye West et sa fille North / Crédit photo Abaca

« De la même façon que je n'aurais pas pu me contenter d'un boulot alimentaire… je n'aurais pas pu me permettre de présenter à mon père un mec pas à la hauteur », rebondit Murielle, qui a pourtant choisi d'épouser « un homme très différent, plus tendre, plus léger… et que je ne suis pas constamment en train de comparer à lui ». 

Car un bon père est aussi un homme qui nous laisse vivre notre vie et ne nous enferme pas dans un schéma de petite fille condamnée à jouer éternellement les princesses. « C'est aussi un homme amoureux de sa femme », rappelle Nicole Prieur, estimant que c'est à travers le couple parental que se forge notre future conception des rapports amoureux. Un homme, en somme, qui laisse de la place à un autre que lui. Notre premier héros peut-être, mais qu'il faut bien quitter un jour, sous peine, sinon, de ne jamais grandir.

Article publié dans le magazine Marie Claire, août 2015

1. Dans « Les politiques ont-elle un père comme les autres ? », Marie Claire n° 737, janvier 2014.

2. Auteur de « Les filles et les pères », éd. Odile Jacob.

3. Auteure de « Pères d'aujourd'hui, filles de demain », éd. Marabout.

4. Auteure de « Petits règlements de comptes en famille », éd. Albin Michel. 

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