Paternité tardive : pères à l'âge d'être grands-pères 

Par Géraldine Levasseur
père et fils père tardif
La paternité tardive est-elle un caprice jeuniste ? Une course désespérée contre la montre ? Au quotidien, est-ce aussi idyllique que les Johnny, Julien (Clerc), Nicolas (Sarkozy) ou autres Mel Gibson et Mick Jagger le laissent entendre ? Trois nouveaux papas vermeil racontent.

«  Ton papa, il est vieux  !  »  : c’est le cri du cœur poussé par une petite Sacha à la sortie de l’école, la semaine dernière. Elle s’adressait à sa copine, Anna, 5 ans. Le père d’Anna est âgé de 60 ans. Combien de fois a-t-il entendu  : «  Vous êtes le grand-père de la petite  ?  » Il dit s’en ficher. Mais dans le fond  ? A-t-il parfois des remords  ? Des peurs  ? Comment se projette-t-il dans l’adolescence de son enfant  ? Et dans la vie future de sa (très) jeune femme  ?

Jamais la paternité tardive n’a été aussi triomphante. A 64 ans, ­Julien Clerc, père d’un Léonard de 3 ans, consacre le titre phare de son nouvel album au sujet  : «  Fou peut-être et fier de l’être  »... Quoi de plus injuste, pourtant, que ce privilège des hommes de pouvoir enfanter si tard  ? Sans pour autant s’atti­rer les foudres de l’opinion, alors que les mères tardives déclenchent tant de haine. Quoi de plus difficile à vivre pour les enfants aînés, quand il y en a, et dont c’est plutôt le tour de devenir parents  ? Quoi de plus angoissant, si on se projette dans le temps, aussi bien pour l’enfant que pour la mère, en général (beaucoup) plus jeune  ? Et pour le père, en fin de compte, qui doit bien se sentir parfois vaguement irresponsable  ?

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Pour y voir plus clair dans le cœur de ces hommes, nous leur avons donné la parole. Après quoi courent-ils  ? Comment vivent-ils la « renaissance », parfois vingt-cinq ans après leur premier enfant  ? Comment leurs aînés s’accommodent-ils du nouveau venu, si beau, si miraculeux, pour lequel ils sont soudain si disponibles  ? Comment se débrouil­lent-ils avec toutes leurs contradictions  ? Ils s’expliquent.

Paternité tardive : "J'ai peur de ne pas être là quand elle aura besoin de moi"

Pierre*, 60 ans, père d’Anna, 6 ans

A 30 ans, je suis devenu père pour la première fois avec la naissance de Clara. A l’époque, je me ­disais déjà que c’était un peu tard et qu’elle serait mon unique enfant. Mais à 54 ans, j’ai rencontré «  la femme de ma vie  ». Elle voulait un enfant, moi je ne savais pas. L’amour a été le plus fort. ­Notre fille, Anna, a aujourd’hui 6 ans, et moi j’en ai 60. Je pourrais être son grand-père.

Ces six dernières années ont été intenses, exténuantes mais irrempla­çables. La mère d’Anna est sortie de sa grossesse très fatiguée. La première année, c’est moi qui me suis levé trois fois par nuit pour les biberons. Quelques mois plus tard, j’ai eu un grave problème cardiaque. Depuis, ma santé est fragile. Je continue pourtant à assumer les trois quarts des tâches qu’implique l’éducation de notre fille. Je comprends maintenant ce que veulent dire les femmes lorsqu’elles revendiquent qu’élever un enfant est un véri­table travail…

 J’ai du temps pour elle, plus que j’en avais pour ma fille aînée, et une patience quasi illimitée

A l’approche de la soixantaine, on est moins en forme qu’à 20 ou 30 ans, mais plus disponible et plus sage, car on n’a plus besoin de privilégier ses désirs et ses ambitions. Je suis donc un bon (grand) père. Et rétrospectivement, je considère ces dernières années comme les plus belles de ma vie, parce que je vois ma fille grandir et devenir merveilleuse, c’est un immense privilège. J’ai du temps pour elle, plus que j’en avais pour ma fille aînée, et une patience quasi illimitée. Elle n’en abuse pas car elle est étonnamment équilibrée. Peut-être mon grand âge et ma sagesse la rendent-elle «  secure  »  ?

Le grand incon­vénient est, qu’à mon âge, il y a de bonnes raisons de croire que je ne serai pas là assez longtemps pour l’accompagner aussi loin que je le voudrais, au moins jusqu’au sortir de l’adolescence, en lui ayant transmis le plus d’atouts possible, donné tout l’amour et l’attention que je pouvais sur une période assez longue. Je vis donc dans la crainte de disparaître, pas pour moi, mais par peur de ne pas être là quand elle aura besoin de moi. Donc la question est légitime  : a-t-on le droit de faire des enfants quand on a l’âge d’être grand-père  ? Si je devais manquer trop tôt à ma fille, je pourrais répondre non, mais pour l’instant je suis là, je l’aime et, oui, c’est un bonheur de la voir grandir.

Paternité tardive : "J’avais envie d’un enfant, mais pour de mauvaises raisons"

François*, 57 ans, père de Léo, 1 an 

Jusqu’à la naissance de Léo, j’ai vécu en éternel adolescent. Je vivais pour moi, j’étais assez vaniteux, frimeur, les femmes me servaient de miroir, mes aventures étaient destinées à me prouver mon pouvoir de séduction. En vérité, je n’aimais que moi. Et surtout je me sentais trop immature pour faire un enfant. Mon métier, designer, passait avant tout et, à mes yeux, ne présentait pas une stabilité et une régularité suffisantes pour fonder une famille.

C’est ainsi que, peu à peu, je me suis retrouvé dans la peau d’un quinqua célibataire alors que tous mes potes s’étaient mariés et avaient des enfants. A ce stade de la vie, le futur fonce vers vous à une vitesse grandissante, et la grande crainte est de se retrouver seul comme un vieux con. Est-ce un hasard  ? En plein dans cette phase, à 55 ans, j’ai rencontré une femme, Caroline, avec qui je me sentais bien. Elle venait d’avoir 40 ans, avait déjà un fils, et lorsque notre histoire est devenue sérieuse, elle a voulu un enfant de moi. J’étais perdu car j’avais envie d’un enfant, moi aussi, mais pour de mauvaises raisons  : l’envie de ressembler aux hommes de mon âge, la peur de disparaître sans laisser une empreinte.

J’espère et je sens que je ne serai jamais un vieux con avec lui

J’aimais beaucoup Caroline, je trouvais qu’elle éduquait très bien son premier fils. Fina­lement, j’ai accepté. Nous avons eu un mal de chien à faire ce bébé et, pour elle, ça a viré au cauchemar, elle a dû suivre des traitements. Plus je la voyais s’épuiser, plus je l’aimais. Enfin, après toutes ces galères, Léo est né. J’ai même assisté à l’accouchement, alors que j’avais répété toute ma vie que ça n’arriverait jamais. Tandis que Caroline accouchait, jusqu’à la dernière seconde j’ignorais quelle serait ma réaction en voyant le bébé, et quand il est apparu ça m’est tombé dessus d’un coup  : je ne savais pas que tant d’amour était possible. Depuis ça ne m’a jamais quitté, rien d’autre n’a d’importance. 

Je veux protéger ma femme et notre fils de tout mon cœur, leur donner tout l’amour du monde. C’est un peu tard, bien sûr – oui, j’ai l’âge d’être grand-père –, mais je vais tout donner pour rattraper le temps perdu. Je me fous de mon âge, j’espère et je sens que je ne serai jamais un vieux con avec lui. Pour lui, je resterai en ­phase avec son époque. Cet enfant a boule­versé mes repères  : ce n’est pas moi qui ai fait un petit homme, c’est lui qui a fait de moi un homme. Enfin. 

Paternité tardive :  "Lou n’a pas de place dans la famille : les autres ne veulent pas la voir"

Marc*, 63 ans, père de Lou, 6 ans  

J’aime faire des enfants. Au grand désespoir de mes enfants ! J’en ai eu quatre d’un premier mariage : deux garçons et deux filles qui ont aujourd’hui entre 30 et 40 ans. Et je suis déjà grand-père six fois. Ensuite, j’ai eu une fille d’un deuxième mariage. Elle a 25 ans. Jusqu’à une date récente, elle n’avait pas de bons rapports avec les premiers, mais ils ont fini par s’entendre en se liguant contre moi à l’occasion de mon troisième mariage.

Je suis tombé amoureux, il y a trois ans, d’une femme dans la trentaine (elle a l’âge de mon aînée). Je n’avais pas particulièrement envie d’un enfant, mais Mélanie est tombée enceinte par accident, et nous nous sommes posé la question de garder le bébé ou non. J’ai dit à Mélanie que seul son bonheur m’importait et que nous ferions ce qu’elle déciderait. Sans me demander si mon âge était un problème.

 Ni cadeau de naissance, ni visite à la maternité, ni bouquet de fleurs

Lou est née. C’est ma passion. Une passion que je n’ai pas éprouvée auparavant, même si j’ai aimé et pris soin de tous mes enfants. Ses ­frères et sœurs doivent le sentir, alors Lou n’a pas de place au sein de notre ­famille… enfin « leur » famille : les autres ne veulent pas la voir. Ni cadeau de naissance, ni visite à la maternité, ni bouquet de fleurs. Je suis assez fortuné, et peut-être qu’ils ont peur de voir s’envoler leur héritage.

Évidemment, ma mère, âgée de 95 ans, est bien trop vieille et fatiguée pour jouer son rôle de grand-mère… C’est le problème des hommes qui font un enfant à 60 ans  : il faut être en même temps père et grand-père, car les vrais grands-parents sont trop âgés. Résultat  : nous devons garder notre fille non-stop. Mélanie mène sa carrière tambour battant, et même si nous engageons des nounous, je veux jouer complètement mon rôle de père, et c’est fatiguant. 

Depuis cette naissance, ma grande maison de famille semble vide, les enfants ne viennent plus en week-end. C’est un paradoxe cruel : Lou est un petit être isolé alors que j’ai une très grande famille. Pour vaincre cette fatalité, la semaine dernière, ma femme m’a demandé de faire à Lou un petit frère…

Paternité tardive :  l'avis du psy 

  • Marie Claire  : Les pères «  tardifs  » sont-ils plus nombreux qu’avant  ?

Bernard This*  : Non, de nos jours, ce sont les femmes qui sont enceintes plus tard. Il y a toujours eu des hommes qui épousent (souvent après un divorce) des femmes plus jeunes et (re)font des enfants sur le tard. Certains même qui disent – ou pensent –  : «  Je te laisse un enfant en héritage.  ». Comme si un enfant pouvait être un héritage  !

  • Un père «  vieux  » peut-il être un handicap pour son enfant  ?

Il ne jouera peut-être pas au foot avec son fils… Et l’identification au père sera plus difficile. Mais il y a aussi des avantages  : parfois moins de problèmes d’argent, plus de disponibilité… En fait, ce n’est ni bien ni mal. Tout dépend de ce qu’on fait de sa paternité. J’ai envie de dire  : «  Profitez  ! S’il n’y en a pas pour longtemps (ce qui n’est pas sûr), utilisez au moins ce temps pour construire une belle relation.  » 

  • Certains jouent les pères grands-pères, d’autres prennent le rôle de la mère… Peut-on cumuler les fonctions  ?

Père et grand-père du même enfant, c’est impossible  ! Cela relève de l’inceste. Dans une famille, chacun est situé sur une ligne de l’arbre généalogique et doit y rester. Quant à ceux à qui on reproche de «  materner  », ils sont juste paternels. Ils assument leur rôle.

  • C’est quoi le rôle d’un «  bon père  »  ?

Déjà, cesser de se poser la question… Et être capable d’entrer en relation affective avec la mère et l’enfant. Être présent, au sens fort  : ici et avec. Aimer l’autre en l’aidant à développer tout son potentiel. Créer une relation «  trinifiante  »… Dès qu’on est trois, on peut multiplier les énergies de chacun. Pas juste les additionner. C’est ça une famille  : chacun aide l’autre à se réaliser au mieux, dans sa fierté d’être. Il n’y a pas d’âge pour ça.

(*) Coauteur, avec Raymond Belaiche, de « Déjà père avant la naissance » (éd. Belin). 

Propos recueillis par Marie-Claude Treglia

[Dossier] Qu'est-ce qu'un bon père ? - 9 articles à consulter

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Les avis des internautes

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De anonyme
Souvnet ils laissent driière eux des victimes anonymes, qu'ils ont fait souffrir et veulent inconsciemment réparer laurs erreurs, mais leurs victimes, elles, sont bel et bien là!!!!!!
De anonyme
Heureusement qu'Il existe des hommes qui ne sont pas pères tardifs. Il ne faut pas oublier toutes les douleurs que ces derniers infligent autour d'eux, pour leurs enfants d'une première union, pour leur ex compagne ou femme qui parfois continuent de souffrir. Hommes immatures et égoïstes, laissant derrière eux tant de choses inaccomplies et pensant tout réparer avec le petit dernier et la jeune mère...