Certaines femmes, oubliées de la maternité, vont très loin pour avoir des enfants. Quels que soient parfois les risques, et le prix à payer, pour avoir des enfants.

Désir d'enfant : "Il faut assouplir les lois de bioéthique"

L'avis d'Elisabeth Belghiti, psychologue*

  • Marie Claire : Sommes-nous toutes égales face au désir d’enfant ?

Elisabeth Belghiti : Non. Tout dépend de notre histoire, d’une mère qui nous a donné confiance ou pas, d’un passé qu’il faut réparer… Certaines femmes ne peuvent s’imaginer sans enfant. C’est un désir qui souvent les habite depuis toujours. Parfois elles pensaient y avoir renoncé et puis, soudain, l’enfant « reparle ». Au nom de cet enfant potentiel, elles se doivent de tout tenter. Et la toute-puissance de la science actuelle légitime leur désir sans limite : « Puisque c’est possible, j’y ai droit… »

  •  Pour certaines, on dirait que c’est une question de vie ou de mort…

Oui. C’est un désir existentiel qui peut parfois être de l’ordre de la survie. Le désir d’enfant est un élan de vie. Pour certaines, renoncer à donner la vie, c’est laisser une part d’elles-mêmes mourir… D’où cette volonté de sortir du cercle mortifère: il faut vaincre la fatalité, réussir à conjurer la malédiction qui empêche de fabriquer la descendance et de donner du sens.

  •  Mais l’enfant dans tout ça ?

L’intérêt de l’enfant est un concept fourre-tout. On s’en sert souvent quand on n’a plus d’arguments. Qui peut dire qu’un enfant sera plus heureux de telle ou telle façon ? On ne peut jamais savoir, on manque de recul, on est toujours dans l’irrationnel. La vraie question à se poser est: peut-on encore raisonner comme il y a quarante ans, alors qu’on ne fait plus les enfants comme avant ?

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Ces femmes, ces couples, ne sont ni dans le caprice, ni dans la folie. A force d’entendre ces paroles habitées par ce désir, on les comprend. Même si comprendre ne signifie pas cautionner… Il faut continuer à encadrer, à fixer des limites, certes, mais il faut aussi assouplir les lois de bioéthique, notamment en ce qui concerne la limite d’âge de la femme pour devenir mère.

Désir d'enfant : "On peut avoir une belle vie autrement que par le biais de la maternité"

L'avis de Sophie Marinopoulos**, psychanalyste au CHU de Nantes

  • Maire Claire : Y a-t-il des débordements aujourd’hui avec le désir d’enfant ?

Sophie Marinopoulos : Oui, le désir veut des enfants, il est dans cette idée de toute-puissance, c’est son rôle. Mais si on peut faire, doit-on tout faire ? Même s’il n’y a quasiment plus de limite du point de vue biologique, il reste des lois symboliques dans la filiation ! On arrive au monde avec un père et une mère. Les liens affectifs précoces sont fondamentaux pour se construire.

Je suis indignée par la lâcheté de certains professionnels. Aujourd’hui, fermer la porte à un désir d’enfant est apparenté à de la discrimination. Certes, il est bien plus facile de dire oui que non : « On va vous faire des enfants pour que vous soyez comme les autres ! » On est dans une société qui propose immédiatement des solutions, et on ne supporte plus la différence. Je trouve très inquiétant un désir d’adulte sans limite. La société de la pulsion prend le pas sur celle de la raison, c’est terrible !

  • C’est un peu la faute au progrès…

Oui, grâce à la science, on peut faire un bébé hors du corps, du sexe. Même la mort peut donner la vie (cas d’insémination post mortem, ndlr). Je vois beaucoup de femmes qui veulent un enfant après avoir raté leur vie affective. Elles veulent réparer et faire un enfant sans rencontre. Je trouve cela dangereux. On est en train de vider notre conception de l’humanité.

  • Quels sont les risques pour l’enfant ?

Attention à « l’enfant réparation » ! Celui-ci n’est pas encore né qu’il doit déjà répondre aux attentes de la mère. Il est pris en otage d’un désir fou. Surtout qu’une fois qu’on a fabriqué le bébé, on ne s’intéresse plus à ces mères. Des femmes qui se sont épuisées dans leur désir d’enfant et qui, quand il est là, peuvent vivre une maternité très angoissante. Notamment dans le décalage, parfois énorme, entre l’attente qu’elles avaient de cet enfant fantasmé, porteur de toutes les réparations, et l’enfant réel, qui fait du bruit, dérange… Un enfant qui ne va pas tout réparer et qui ne sera qu’un enfant. 

  • Mais comment apprivoiser ce désir ? Le cadrer ? Peut-on lui fixer des limites ?

Il faut accompagner ces femmes dans leur désir, ne pas les juger, mais les aider à trouver des ressources intérieures, avec ou sans enfant. En leur montrant comment elles peuvent avoir une belle vie, autrement que par le biais de la maternité. Il faut cesser de s’enorgueillir du fait que la France est la meilleure « pondeuse » européenne. Mais quel diktat !

La stérilité, c’est terrible, mais à regarder ces femmes comme des victimes, on les prive de leur humanité. Et puis, la stérilité physique peut être extrêmement fertile sur le plan psychique. Plutôt que de tout accepter, je propose d’instaurer une forme d’agrément, comme dans un processus d’adoption, et de définir avec courage un cadre dans lequel on accompagne ces demandes hors norme. Il faut arrêter de vouloir, comme les enfants, que tous nos désirs se réalisent. 

 (*) Membre du Centre d’éthique clinique (CEC) de l’hôpital Cochin, à Paris.

(**) Auteure de «Elles accouchent et ne sont pas enceintes» (éd. Les liens qui libèrent).