Elles ont aimé follement. Elles y ont cru, à la déraison. Puis un jour l'amour les a clouées sur place, abandonnées. Et elles n'ont plus trouvé la force de vivre, ni la raison. La tentative de suicide, issue logique de l'amour fou ? Déviation hyper-romantique réservée à des personnalités borderline ? Pour certaines, la mort de l'amour coupe toute envie de vie. Comment peut-on en arriver à une tentative de suicide ? 

"Le désir de mort n'est pas dû au chagrin d'amour mais au désespoir, souligne Maryse Vaillant 1. La rupture, c'est terrible, mais ça fait grandir. On fait un travail de deuil et on retrouve sa capacité à aimer. C'est le désespoir qui met en arrêt, qui pousse à vouloir mourir. Pour certaines, le/la partenaire qui s'en va emporte la vie avec lui/elle." La psychologue précise : "J'ai moi-même vécu cette passion destructrice. J'ai voulu mourir par amour. C'est une folie, on sort du rationnel. Dans des circonstances analogues, la 'bonne santé' aide à réfléchir, à prendre du recul. Là on est dans la passion, au sens chrétien de 'souffrance', on se laisse surprendre par l'embrasement. On tombe dans la passion comme on tombe en tragédie..."

 La fin tragique n'est pas forcément le signe du grand amour

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Mais la "bonne santé" existe-t-elle en amour ? "Ce qui est en jeu, en amour, c'est une chute, commente le psychanalyste Jean-Pierre Winter 2. Une chute dans l'autre : on tombe en amour. "Je me fondais dans son monde", se remémore Laurence, 43 ans. Or, le jour où l'être aimé s'en va, il part avec, et emporte dans la tombe. Cette part de nous qui est en lui." La plupart finisse par se relever. Alors qu'est-ce qui conduit certaines à ne plus réussir à vivre ? "L'amour sert parfois de prétexte. La mort (l'ennui) était déjà là. Le suicide (chantage ou acte) était souvent programmé avant la rencontre." La fin tragique n'est pas forcément le signe du grand amour. Peut-être juste l'expression d'une fragilité soudain mise à vif.

Trois survivantes nous racontent comment un jour la folie a pris le pas sur l'amour. Et comment elles sont revenues à la vie.

Constance, 34 ans : "Je ne voulais plus vivre"

"Je suis tombée amoureuse de Jacques à 15 ans. Il était ­marié, avait un enfant et vivait dans une maison que j'apercevais depuis ma chambre. Pendant des mois j'ai rêvé du grand amour avec ce voisin inaccessible. Et finalement mon rêve a été exaucé. Pendant sept ans nous avons vécu une relation clandestine, avec ses déchirements, séparations tragiques et retrouvailles brûlantes. Je vibrai, comme j'en avais rêvé, mais j'étais épuisée. Ce qui me tenait debout, c'était l'espoir qu'il quitte sa femme. Même s'il me répétait qu'il ne divorcerait pas, je croyais que notre amour serait le plus fort. Lui me parlait de sa femme avec lassitude, moi je jubilais... Jusqu'au jour où j'ai appris qu'elle était enceinte d'un deuxième enfant. Je crois qu'il n'a pas mesuré le mal qu'il m'avait fait. D'autant que j'avais toujours dit que je ne voulais pas d'enfant.

J'ai sauvé les apparences, mais j'ai eu l’impression que tout mon monde s'écroulait. Je suis allée travailler, à l'hôpital où j'étais aide-soignante, comme un zombie. C'est là que j'ai commencé à me documenter sur les médicaments à prendre pour en finir. Il n'y avait plus d'espoir, plus d'avenir pour cette histoire ni pour moi. Jacques était l'homme de ma vie, et donc, aussi, celui de ma mort.

J'ai continué d'aimer Jacques en silence

Je ne voulais plus vivre. Je voulais arrêter de souffrir. Ce matin-là, je suis allée en forêt avec mon père. Tout me faisait mal : cette nature pleine de vie m'était insoutenable. Mon père a senti mon malaise, il a tenté de me pousser à me confier. Mais j'ai tout gardé pour moi. Arrivée chez moi, j'ai avalé un cocktail a priori fatal. Puis je suis allée travailler - j'avais peur d'échouer en restant seule. Un collègue, effrayé par ma pâleur, m'a interrogée : 'Qu'est-ce que tu as fait comme connerie?' J'ai avoué et j'ai été prise en charge. On m'a dit que le cardiologue avait crié: 'Son cœur a lâché !' Ça me paraît tout résumer.

A mon réveil, mon père a murmuré : 'Je vais le tuer, ce salopard !' Moi j'ai continué d'aimer Jacques en silence. Je suis partie vivre à Paris, j'ai commencé une nouvelle vie, mais je suis persuadée que je n'aimerai jamais que lui."

Laurence, 43 ans : "Ma vie sans lui n'avait plus aucun sens"

"C'est uniquement parce que j'ai des enfants que je ne suis pas vraiment passée à l'acte. Mais pendant trois mois je n'ai pas pu m'alimenter. Par amour ! Je ne pouvais rien avaler, à part des litres de café au lait. Moi qui n'étais déjà pas grosse, j'ai perdu 11 kg en quelques semaines. Je ne dormais plus, je ne faisais que pleurer. J'étais maigre à faire peur.

Après treize mois de passion, Michel avait choisi de retourner avec son ex. En me reprochant 'le fardeau' que j'avais représenté pour lui. Il se plaignait d'avoir été un garde-­malade, après m'avoir accompagnée lors du cancer de ma mère. C'est lui qui avait tenu sa main juste avant sa mort. Elle lui avait dit : 'Prenez soin d'elle, je vous la confie'... En me quittant, il envoyait valdinguer ses dernières paroles. 

Pour lui, j'avais renoncé à ma vie de famille (un mari et quatre enfants). En fait, il m'hypnotisait, j'étais accro, je me fondais dans son monde, captivée par ses passions. Le jour où il m'a annoncé qu'il allait revoir son ex, avec qui il avait vécu vingt ans, j'ai eu un mauvais pressentiment. J'ai angoissé toute la journée, je l'ai appelé une dizaine de fois. Quand j'ai enfin entendu le ton de sa voix, à l'autre bout du fil, j'ai su que je ne m'étais pas trompée. Je me souviens de cette phrase: 'Non, ça ne va pas.' J'ai senti comme un immense coup à l'estomac. Je lui ai demandé de me dire la vérité. Il m'a dit que, oui, ils s'étaient embrassés mais que ça n'avait pas d'importance, qu'il s'agissait d'un baiser platoni­que. J'ai hurlé, pleuré, menacé, et je lui ai raccroché au nez. 

Toutes les nuits, en m'endormant, j'avais l'espoir de ne plus me réveiller 

Le lendemain, quand j'ai vu son numéro s'afficher sur mon portable, un instant j'ai repris vie. Mais il m'a tout de suite annoncé qu'il repartait vivre avec son ex. Moi je l'avais ­entraîné dans une 'spirale mortifère', il ne voulait plus ­jamais me ­revoir ni m'entendre.

J'étais face à un verdict de mort. Insoutenable. J'avais pu faire face à la mort de ma mère, mais je n'avais pas la force de lutter contre celle-là... En quelques jours je me suis transformée en morte vivante. Je ne sortais plus, je n'avais plus de goût à rien. Sans antidépresseurs je ne sais pas comment j'aurais survécu. Je ne supportais plus mes enfants, trop bruyants, trop vivants. Je ressentais un mélange de désespoir, de colère et, bien sûr, de tristesse. Toutes les nuits, en m'endormant, j'avais l'espoir de ne plus me réveiller, j'avais la nausée en permanence. Je les imaginais ensemble: elle heureuse, lui comblé, riant, faisant l'amour... Une torture. 

J'ai vécu ce calvaire jusqu'au jour où j'ai fait un malaise dans la rue. J'étais avec ma fille, elle a appelé les pompiers. Et c'est là qu'ils ont découvert que j'avais un cancer du sein, alors qu'à ma dernière mammographie, quatre mois auparavant, je n'avais rien. Étrangement, je me suis soudain ­sentie libérée d'un poids énorme. J'ai enfin décidé de prendre soin de moi. Curieusement, j'étais toujours aussi amoureuse de Michel, et je crois que cet amour m'a portée. Je l'aimais, mais je n'avais plus mal. La veille de l'intervention, j'ai cru défaillir en reconnaissant sa voix au téléphone. 

Le jour même nous avons déjeuné ensemble. J'étais très sereine. Je lui ai tout raconté, simplement. Lui me buvait des yeux. Au fil du repas je me sentais guérir... Dans la rue, il m'a fait un 'baiser platonique'. J'étais la plus heureuse des femmes. Dès le lendemain il est venu me voir à l'hôpital, après l'opération. Et à partir de là il s'est occupé de moi. Ensemble, on s'est battus, une seconde fois, contre la maladie. Finalement il m'a demandée en mariage. Nous ne nous sommes plus quittés depuis. C'était il y a treize ans. Aujourd'hui, avec le recul, malgré tout mon amour, je n'arrive toujours pas à comprendre comment j'ai pu vouloir mourir pour lui. Je sais juste que ma vie sans lui n'avait plus aucun sens."

Nadine, 39 ans : "J'ai avalé un cocktail de médicaments"

"Avec Philippe, ç'a été le coup de foudre. Je me souviens de son entrée dans la salle des profs : une véritable apparition ! Nous nous sommes souri immédiatement et, très vite, sommes devenus complices. A l'époque j'étouffais dans l'histoire que je vivais depuis plusieurs années avec Didier, mon compagnon. Philippe, c'était ma bouffée d'oxygène. Il me faisait du bien, je respirais. J'adorais son univers, il faisait de la musique. Moi j'étais heureuse de lui faire découvrir des auteurs, je glissais des livres dans son casier, ou des carrés de chocolat !

Un jour nous sommes restés pour une réunion syndicale dont nous n'avions rien à faire. Puis j'ai accepté d'aller chez lui, officiellement pour écouter ses dernières compos. Nous avons passé la soirée à nous embrasser, c'était magique. Je lui ai parlé de Didier, de notre couple, je lui ai dit que je n'étais pas libre mais que j'éprouvais un désir évident pour lui. Les jours qui ont suivi, ma vie a changé de rythme, j'arrivais au lycée le cœur battant, je revivais. Je me sentais parfois bien plus adolescente que mes élèves, surtout quand nous nous embrassions dans la salle des profs, au risque d'être pris en flagrant délit par nos collègues... Je crois que j'avais déjà arrêté d'aimer Didier sans le savoir. Mais je ne pouvais pas le quitter. Philippe, j'avais besoin de me projeter avec lui, de faire mille choses à ses côtés. J'étais déjà dépendante. La veille des vacances, il m'a fait une déclaration - sans me dire 'je t'aime', mais je l'ai interprétée ainsi.

J'aime un homme qui ne m'aime pas

Les jours qui ont suivi, j'ai profité de notre séparation forcée pour lui écrire une lettre de quinze pages dans laquelle je lui hurlais mon amour. J'ai attendu deux semaines sa ­réponse. Il ne m'a donné aucun signe de vie. Au bout de ces quinze jours j'étais en loques. J'ai reconstitué mentalement ce trimestre que nous avions passé ensemble et, soudain, certains signes, que j'avais voulu mettre de côté, m'ont sauté aux yeux. Le fait qu'il ne me présente pas à ses amis, qu'il ne parle jamais de ses ex... Ce soir-là je lui ai laissé une trentaine de messages en le suppliant de me rappeler. Les premiers étaient sobres, puis, au fil des heures, je ne me maîtrisais plus. Le silence peut jeter dans l'abîme. C'est aussi une sorte de réponse.

Soudain, la vérité m'a littéralement éclaté au visage : cet homme ne m'aimait pas, et je n'aimais plus Didier. Une vie sans amour n'avait plus aucun sens. J'ai avalé un cocktail de médicaments, laissé un mot à mes parents et à Didier, en leur disant que je les aimais mais que je n'en pouvais plus. Puis j'ai attendu d'arrêter de souffrir. Quand le téléphone a sonné, j'ai repris espoir en priant pour que ce soit Philippe.

J'ai titubé jusqu'au combiné et failli raccrocher en reconnaissant la voix de Didier. Je lui ai dit que j'allais mourir. Il est venu me sauver, avec le Samu. Au réveil, je lui ai dit simplement: 'J'aime un homme qui ne m'aime pas'. Il m'a répondu que j'aurais le droit de tomber amoureuse de tous les beaux garçons que je voulais, mais qu'il ne faudrait plus jamais que je tente de nouveau d'en vouloir à ma vie.

Philippe ne m'a pas donné de nouvelles. C'est seulement lorsque je l'ai recroisé, après ma convalescence, au lycée, que j'ai réussi à lui arracher la vérité, dans un interclasse. Il vivait une histoire avec une autre femme, qui avait une petite fille. En fait, je m'étais aveuglée. Je n'avais rien voulu voir. Nous n'avons pas vécu la même histoire, parce que moi j'avais ­besoin d'aimer, de tomber amoureuse pour respirer. Il m'a fallu des années pour me remettre de cette histoire et apprendre à attendre autre chose de l'amour. Je vis enfin aujourd'hui une histoire sereine, dépassionnée mais tendre qui dure ­depuis un an et demi. Et j'en suis très heureuse."

1 Autrice de Il m'a tuée (éd. La Martinière) et de Comment aiment les femmes (éd. Seuil).
2 Auteur d'une préface à L'amour fou (éd. Maren Sell).