Pier-Alexis SoulièrePier-Alexis Soulière

Questions en rafale

Pier-Alexis Soulière : Gagnant des titres québécois, canadien et des Amériques

C’est par une matinée pluvieuse d’octobre que je le rejoins dans le hall de son hôtel du Vieux-Montréal pour prendre un café et jaser. Pier-Alexis Soulière est l’un des rares à avoir obtenu le titre de Master Sommelier avant l’âge de 30 ans. Son parcours impressionnant l’a amené à voyager et se réaliser partout sur la planète. En préparation pour sa participation au mondial, il a généreusement voulu répondre à mes questions.  

1. Quel sentiment t’habite dans le fait de représenter ton pays pour une deuxième fois? 

En fait, lorsque j’ai gagné meilleur jeune sommelier du monde en 2014, je représentais l’Australie et ma présence au dernier mondial était à titre de meilleur sommelier des Amériques, ce sera donc une première pour moi de représenter le Canada. Le sentiment qui m’habite est celui de représenter les valeurs canadiennes de travail et d’acharnement, de respect, de pacifisme et d’inclusion sociale. Il y a une richesse incroyable au Canada pour le métier de sommelier et le Québec a toujours été le chef de file dans le domaine grâce à ses écoles hotellières, la SAQ et un savoir-faire qui est plus ancien. Mes multiples voyages à l’intérieur du pays m’ont permis de côtoyer des talents qui m’amènent à penser que le Canada deviendra une destination touristique extrêmement prisée dans les prochaines années, pour le bien-être de manger dans une atmosphère détendue et conviviale.

2. As-tu l’impression de perpétuer le travail de tes prédécesseurs et l’image forte de la sommellerie au Québec? 

J’ai énormément de respect pour les gens qui m’ont précédé. Pour moi, le concours n’est qu’un moule formel pour exprimer un savoir-faire et n’est pas une finalité en soi. Va voir ce qui se fait au restaurant Le Serpent, à La Chronique ou au Monarque; aucun de leurs sommeliers n’a fait de concours, mais je les regarde tous avec une extrême admiration. Les concours sont médiatisés, mais le vrai travail se fait sur le plancher des restaurants.

3. Est-ce que le fait d’être déjà passé par là est un avantage? 

Ça me donnera de l’expérience c’est certain, mais il y a tellement de facteurs imprévisibles, qu’il faut l’aborder autrement. Le camp d’entraînement du Canadien de Montréal ne récompense pas les meilleurs, mais ceux qui auront répondu aux standards de l’équipe. La coupe Stanley, ce n’est plus une question de standard, tu dois mettre tes bottines de travail et la ramener. Peu importe ce que les gens pensent de toi, ce que tu as fait avant ou feras après, c’est le moment présent qui compte. J’ai déjà fait l’équipe, je suis meilleur sommelier du Canada, à moi maintenant de me rendre en finale et de gagner. Très rarement dans ma vie j’ai fait deux fois la même erreur, c’est comme ça que j’ai été formé professionnellement, c’est le « two-strike rule »… on n’a pas trois chances.

4. Est-ce que le métier de sommelier a changé depuis tes débuts? 

Le métier est avant tout un savoir-faire français débutant par un apprentissage et du compagnonnage pour ensuite devenir ouvrier et éventuellement formateur. Aujourd’hui, nous vivons dans l’instantanéité, les gens veulent rapidement des postes à responsabilités et je les comprends. Les jeunes sont davantage éduqués et vifs d’esprit, ils ne veulent pas se brûler comme plusieurs personnes l’ont fait dans le passé. Ils cherchent à comprendre et veulent prendre du plaisir à faire ce qu’ils font. Dans mon rôle de mentorat, j’essaie d’abord de m’intéresser à eux plutôt que d’essayer de les casser par une dictature professionnelle. La torture psychologique, j’en ai vécu dans des établissements de très haut niveau, c’est systémique et dangereux. Je suis totalement en désaccord avec cette façon militaire de faire.

5. Tu as travaillé dans plusieurs restaurants dans le monde, comment décrirais-tu le rapport de la clientèle québécoise face au vin? 

Assurément ouverte et, grâce à la SAQ, nous ne sommes pas chauvins. La clientèle québécoise est curieuse et sans complexe par rapport au vin, car pour elle, le vin n’est pas culturel, mais célébrant. Quand je vois les Québécois prendre un verre de vin, ils le font pour se faire plaisir. Ouvrir une bouteille est un moment de partage.

6. Doit-on obligatoirement travailler dans les plus grandes tables de la planète pour être meilleur sommelier du monde? 

Berne possède une très belle équipe de hockey en Suisse, mais ce n’est pas le Canadien de Montréal. C’est ici qu’on retrouve les meilleurs joueurs, entraîneurs et installations. Quand tu vas travailler en Europe, dans une grande maison qui existe depuis longtemps, c’est comme si tu allais jouer pour Manchester United au soccer. Si tu n’as pas touché à de très hauts standards, tu ne peux pas faire ni enseigner ce que tu ne connais pas. Si tu poses la question à Pier-Alexis Soulière, la réponse est non, mais si tu la poses aux membres du jury qui ont tous été formés dans ce système-là, je ne peux pas répondre pour eux.

7. Comment vois-tu la viticulture actuelle au Québec? 

À mes débuts, le vin québécois n’était pas à la mode. Des autobus allaient dans le coin des Cantons-de-l’Est et repartaient avec des caisses de vin. Aujourd’hui, il y a des vignobles au Québec qui vendent en primeur. La qualité est meilleure qu’elle ne l’a jamais été, mais si tu goûtes à de vieux Dietrich-Jooss (vignoble québécois du début des années 2000), la différence n’est pas énorme avec ce qui se fait maintenant. Il y a seulement plus de jeunes et de dynamisme. Les vins que le domaine Les Pervenches faisaient à l’époque étaient déjà très bons, mais Michael (le propriétaire) n’était pas capable de les vendre et, maintenant, le Marché Avril lui achète des palettes de vin. À chaque occasion que j’ai de voyager et montrer quelque chose de représentatif du savoir-faire québécois, j’apporte les vins de Frédéric Camy. Un gars du Lac-Saint-Jean, un patenteux, un ingénieur qui a pris des risques pour réaliser son rêve et tu sais quoi? « He made it!  »

8. Qu’est-ce qu’une première place change dans la vie du gagnant? 

Tous les candidats présents sont déjà au sommet de leur art. C’est davantage une journée de confirmation et, médiatiquement, ça fait en sorte que les gens vont changer leur perception de toi. La suite des choses est propre à chaque personne. Olivier Poussier (gagnant 2000), par exemple, a commencé à écrire pour La Revue du vin de France et Paolo Basso (gagnant 2013) sélectionne maintenant les vins pour Air France.

9. Si une première place te donnait l’opportunité d’ouvrir la bouteille de ton choix, quelle serait-elle? 

Un magnum de champagne Krug Grande Cuvée, sur une base de millésime 2002 et qui a fait 10 à 15 ans sous le bouchon naturel.

10. Pourquoi? 

Parce que, pour moi, c’est le plus grand vin au monde.

Go Pier-Alexis, nous sommes tous derrière toi!  

Soutien de la SAQ  

Par le biais de son Programme de dons et de commandites, la SAQ contribue à la formation de la relève en sommellerie par son partenariat avec l’Association canadienne des sommeliers professionnels (ACSP) et par l’octroi de bourses aux meilleurs sommeliers québécois dans les concours nationaux et internationaux.

Photo : Frédéric Laroche