“C’est normal de se sentir un peu triste avant ses règles.” Cette phrase, Lola l’a entendue des dizaines de fois.

Médecins généralistes, spécialistes et autres experts en tout genre : tous lui assurent qu’il n’y a aucune raison de s’inquiéter. Ou pire, comme osera lui rétorquer son entourage, qu’elle a peut-être "tendance à exagérer".

Pourtant, de façon chronique, la jeune femme tombe dans un profond désespoir, entre irritabilité à fleur de peau, crise de larmes intense et tristesse abyssale.

Sa relation avec son petit ami se détériore, ses absences au travail se multiplient, la culpabilité grandit et la jeune femme s’enfonce progressivement dans le plus grand désarroi. "J’en étais arrivée à penser que j’étais bipolaire", se souvient Lola.

Jusqu’au jour où, par hasard, une amie rencontrée au détour d’un cours de yoga lui parle du TDPM, le trouble dysphorique prémenstruel, et lui recommande son propre médecin spécialiste. Quelques semaines et un rendez-vous plus tard, le diagnostic était posé : Lola n’est ni drama queen, ni bipolaire; elle souffre bel et bien d’une pathologie médicalement reconnue. 

Un trouble sévère et invalidant longtemps occulté

“Le Trouble Dysphorique Prémenstruel (TDPM) est un trouble psychiatrique caractérisé par une altération sévère du fonctionnement psychologique survenant durant la phase prémenstruelle. Il regroupe un ensemble de symptômes du type : dépression, anxiété, et même des pensées suicidaires", résume Hélène Marais-Thomas, psychothérapeute et doctorante au sein de l'unité de recherche CLIPSYD.

Autrice d’une thèse universitaire sur le sujet, elle précise que 1,8 à 5,8% des personnes menstruées seraient concernées, sans que l’on ait de données spécifiques à la France.

Vidéo du jour

Reconnu comme étant un trouble à part entière par le DSM-5, le manuel de référence internationale en matière de psychiatrie, depuis 2013 et plus récemment par la CIM (Classification Internationale des Maladies), le TDPM fait l’objet d’une prise de conscience récente par la communauté médicale, de plus en plus incitée à prendre en compte cette pathologie trop longtemps ignorée.

Et pour cause, s’il est identifié dès 1931, le TDPM reste occulté durant toute la seconde moitié du siècle passé. “La santé mentale a longtemps été moins prise en compte que la santé physique, tout en restant très majoritairement un monde masculin. Alors vous imaginez ce qu'il en est pour une pathologie comme le TDPM qui est un trouble féminin et psychiatrique ?”, commente la psychologue clinicienne.

Résultat ? Comme Lola, nombreuses sont les femmes qui souffrent de cette pathologie dans la plus grande indifférence du corps médical, mais aussi de leur entourage. Et souvent pendant de (trop) longues années.

Le trouble dysphorique prémenstruel : entre errance médicale, souffrance et culpabilisation 

“J’ai été diagnostiquée du TDPM à 35 ans par une psychiatre spécialisée en santé mentale et périnatalité", nous annonce d’emblée Sarah Rodrigue, autrice de Maudites hormones (Ed. Les Malins, 2020).

"Avant cela, j’avais vu une dizaine de gynéco, endocrino, psychiatre, médecin généraliste… Bref, toute une panoplie de spécialistes ! Dès mes premières règles, environ vers mes 14 ans, je souffrais de symptômes psychologiques et psychiques. On croyait à un SPM* sévère jusqu’à ce que je découvre que c’était en réalité un TDPM", raconte-t-elle.

Immense fatigue, difficulté de concentration, irritabilité mais surtout état dépressif, paranoïa et dévalorisation : pendant 5 et 10 jours par mois, Sarah tombe dans un gouffre émotif sans fond, dans l'incompréhension la plus totale.

Cela m’a fait comprendre la force des hormones sur ma santé mentale, car dès le lendemain de l’IVG, les symptômes s'apaisent… jusqu'à la reprise de mes cycles et des TDPM.

Vie professionnelle, sociale ou amoureuse : chaque facette de son quotidien se retrouve dès l’adolescence rythmée par ses cycles menstruels. Et quand elle consulte pour en savoir plus, elle se heurte à un mur d’ignorance et d’insensibilité. "Ils étaient incapable de diagnostiquer le mal dont je souffrais. Du coup, ils me renvoient la responsabilité. Pour eux, j’étais pour eux trop sensible, je ne savais pas gérer le stress quotidien, que tout ça c’était dans ma tête… En réponse à ma souffrance, on me culpabilisait", se souvient-elle, précisant avoir tout essayé du changement d’alimentation aux sessions de sport en passant par les antidépresseurs et les pilules contraceptives.

Et si les grossesses offrent des moments de répit à la plupart des femmes atteintes de TDPM, elles se révéleront désastreuses pour Sarah, les changements hormonaux la plongeant dans des états prépsychotiques. "Les psy ont pensé à des problèmes de non-désir réel d’enfant, des problèmes freudiens… car, là encore, personne ne diagnostiquait les TDPM".

Après la naissance de sa fille, deux de ses grossesses seront ainsi interrompues tant la souffrance psychique se révélait invivable. "Cela m’a fait comprendre la force des hormones sur ma santé mentale, car dès le lendemain de l’IVG, les symptômes s'apaisent… jusqu'à la reprise de mes cycles et des TDPM". 

Reconnaître le TDPM : un diagnostic aussi fastidieux que libérateur

Comme le précisent les experts sensibilisés au sujet, les changements d’états significatifs, brutaux et soudains du début de la phase lutéale (phase qui commence après l'ovulation, ndlr) à l’arrivée de la phase folliculaire (après les règles) se révèlent généralement les symptômes les plus faciles à identifier. "Ils interviennent 2 à 10 jours avant les règles avec un retour à "la normale" à l’arrivée des règles", souligne Hélène Marais-Thomas.

“Mais souvent les femmes doute de leurs changements d’état, c’est normal. Le suivi d’un.e professionnel.le doit pouvoir les aider à faire le tri dans leurs ressentis".

Les patientes atteintes de TDPM présentent généralement une sensibilité particulière au niveau du système nerveux central.

La psychologue conseille ainsi de se tourner vers un.e psychologue ou un.e psychiatre, capable d’évaluer les changements psychiques, tout en rappelant que le diagnostic du TDPM correspond à des symptômes stricts qui n’apparaissent qu'à un instant précis du mois.

"Les patientes atteintes de TDPM présentent généralement une sensibilité particulière au niveau du système nerveux central. C’est pourquoi il est très important de ne pas conclure trop rapidement à un certain diagnostic car si l’on se trompe, on se trompe également de traitement (médicamenteux ou psychothérapeutique)", prévient la spécialiste, qui explique que le diagnostic s'effectue généralement de manière prospective à partir d'une observation du cycle, jour après jour, sur trois mois.

Avec son directeur de thèse, Cyrille Bouvet, la spécialiste a également traduit et mis en place une échelle d'évaluation du TDPM validée scientifiquement appelée la DRSP (point 4).

"Les femmes doivent encore se battre pour que leur souffrance soit reconnue" 

Outre la prise en charge médicale, le diagnostic d’un TDPM avéré permet de soulager celles qui en souffrent, notamment en améliorant leur qualité de vie et en légitimant leurs maux sur le plan social et humain.

"Ce que ça a changé pour moi ? Vraiment tout !", confirme Lola. "Enfin je savais ce qu'il m'arrivait. Enfin, je pouvais anticiper mes symptômes et me préparer un peu à ces journées compliquées. J’ai compris que ce que je ressentais n'était pas de ma faute… et surtout que c'était VRAI", explique-t-elle, soulignant que le diagnostic lui a permis de changer son regard sur elle-même mais aussi celui que son entourage lui portait.

Un sentiment que partage Sarah qui rappelle toutefois que le diagnostic n’épargne pas ses victimes du second combat qui les attend : celui pour trouver le bon traitement. Car comme le rappelle cette mère de famille aujourd’hui épanouie, “on ne guérit pas encore du TDPM, on trouve des soulagements.”

Et si les siens l’ont conduit à opter pour le choix radical d’une hystérectomie, elle regrette que sa condition soit restée aussi longtemps sans réponse. "C’est une chirurgie très radicale, qui doit être prise au sérieux car elle enclenche une ménopause précoce : mais ça m’a sauvé la vie et je pense qu’elle devrait être plus suggérée à celles qui souffrent d’états extrêmes. Les femmes doivent encore se battre pour que leur souffrance soit reconnue"