"Ma mère voudrait que j’aille voir un.e gynécologue, mais pour le moment, je refuse. Je n’ai pas encore de relations sexuelles, donc je me dis que c’est inutile. Et puis je suis mal à l’aise à l’idée de me retrouver nue et seule devant un.e inconnu.e qui risque de me faire mal en m’examinant", témoigne Julie, 17 ans.

“J’ai déjà pris plusieurs fois des rendez-vous mais à chaque fois, j’ai annulé à la dernière minute”, avoue Manon, 22 ans.

Comme Julie et Manon, de nombreuses femmes, notamment jeunes, repoussent ou reportent leur consultation auprès du personnel de santé sexuelle et reproductive. Une étude Ifop avec Qare - plateforme de téléconsultations - révélait en janvier 2022 que "60% des femmes ont déjà renoncé à des soins gynécologiques". Parmi les raisons invoquées : des délais d'attente trop longs, un emploi du temps trop chargé, un malaise avec son propre corps particulièrement prégnant chez les moins de 25 ans qui l'invoquent à 33%, mais aussi, d'après les témoignages que nous avons recueillis, la peur du gynécologue.

"1 femme sur 3 déclare ne pas être allée chez un gynécologue depuis plus de 2 ans (22% depuis plus de 3 ans) et 1 femme sur 10 ne pas y aller du tout", précise cette même étude.

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Des données qui ne surprennent malheureusement pas Laura Berlingo, gynécologue engagée et autrice* : "À partir du moment où les violences gynécologiques et obstétricales ont été mises en lumière, il y a eu une véritable prise de conscience. En 2014, 7 000 témoignages de femmes ont été partagés sur Twitter en vingt-quatre heures. Les jeunes filles qui n’ont jamais consulté se disent qu’elles n’ont pas envie de subir ça. L’examen gynécologique n’a jamais été perçu comme quelque chose d’agréable, mais il a longtemps été présenté comme un passage officiel, obligatoire. On estimait à un moment qu’on devenait des femmes et qu’il fallait aller chez le.la gynéco, c’était comme ça. Aujourd’hui, il y a un décalage, du fait de ces récits effrayants".

Un premier examen gynécologique souvent traumatisant

“Je n’avais que 16 ans la première fois, elle ne m’a jamais expliqué ce qu’elle allait me faire”, raconte Cassandra, 22 ans. En sortant de son premier rendez-vous chez la gynécologue, pourtant conseillée par sa mère, l’adolescente fond en larmes. "Ça m'a tellement traumatisée que je n’ai plus consulté pendant quatre ans après ça, jusqu’au jour où je n’avais plus le choix”, se souvient-elle. 

Son récit résonne avec celui de nombreuses autres femmes, qui assimilent ce premier rendez-vous à un moment de torture émotionnel et/ou physique. 

"Une amie a été voir une gynécologue pour la première fois et en est sortie traumatisée. Elle lui a parlé d’une patiente de 18 ans qui avait développé un cancer. Elle ne la laissait pas parler, ne lui a rien expliqué, et lui a fait mal ! Je ne vois pas pourquoi je m’infligerais ça", raconte à son tour Julie.

Emma**, elle, a été violée par le gynécologue qui a supervisé l'accouchement de sa mère -et donc sa propre naissance. Lors de la consultation, la jeune femme, encore mineure à l'époque, lui détaille les douleurs ressenties pendant ses rapports sexuels. Le spécialiste lui demande de se positionner d’une façon “clairement suggestive” sur la table, et fait pénétrer ses doigts longuement, sans rien lui expliquer. “Je lui demande d’arrêter parce que j’ai mal. Il nie verbalement ma douleur, et continue”, témoigne la jeune femme, aujourd’hui âgée de 23 ans.
Des années après, impossible pour elle de consulter à nouveau en cabinet.

Il faut combattre ces violences gynécologiques, pas leur récit. C’est à nous, personnel soignant de lutter contre, et de mettre en place les bonnes pratiques.

"Il faut combattre ces violences gynécologiques, pas leur récit. C’est à nous, personnel soignant de lutter contre, et de mettre en place les bonnes pratiques. Un examen ne doit pas faire mal, il doit être doux", assure Laura Berlingo qui précise d'emblée qu'il n'y a "aucune raison de pratiquer un examen gynécologique systématique lors d’une première consultation, ni d’examiner une personne qui n’a jamais eu de rapport sexuel". Selon la professionnelle, la première consultation doit avant tout être "une visite de prévention et d’information" sur les maladies sexuellement transmissibles et la contraception.

Ce n’est que si la patiente présente des symptômes particuliers, comme des douleurs de règles, ou des saignements en dehors des menstruations, qu’un examen physique et/ou biologique peut être proposé - et non imposé.

La peur panique d'avoir mal

Mélina vit en couple. À 26 ans, elle n’a encore jamais consulté un seul gynécologue. Sa hantise ? L’idée que l’on puisse insérer quoi que ce soit dans le corps pour l’examiner. “Quand je n’ai pas confiance, mon vagin se bloque. C’est presque impossible de pénétrer. Je crains que les gynécologues, que j’ai mal ou non, forceront quand même”. 

Une peur intime et légitime qui pousse ces femmes à repousser indéfiniment leur suivi médical. Quitte à souffrir physiquement (règles douloureuses, kystes ovariens...) ou à passer à côté du développement de pathologies plus ou moins sévères. "Je n’avais jamais entendu parler de vaginisme, nous confie Miléna au cours de notre discussion. Il faudra bien que je finisse par consulter pour savoir si j’en souffre." Et de s'interroger : "Peut-être qu’ils pourront me prescrire des lubrifiants qui peuvent aider ?”.

Je n’avais que 16 ans la première fois, elle ne m’a jamais expliqué ce qu’elle allait me faire.

"Les frottis, prélèvements vaginaux, et tests HPV à faire à partir de 30 ans peuvent désormais se faire en auto-prélèvement, par la patiente", indique Laura Berlingo. Et de marteler : "Il n’y a pas d’indication au frottis avant l’âge de 25 ans. D'ailleurs, quel que soit l’âge ou le nombre de visites, il n’y a jamais aucune obligation". 

La crainte du jugement médical

Mais avant même l’examen physique, le premier défi pour un bon nombre de personnes reste d’affronter le regard du ou de la praticienne sur le corps à nu. 

C’est l’une des raisons pour lesquelles Oumia, 20 ans, n’a toujours pas franchi le cap. “Je ne suis pas encore assez à l’aise avec mon corps pour révéler mon intimité, même si je sais que c’est très important”. 

Océane, elle, craint que le ou la professionnel.le de santé émette un jugement sur sa sexualité. “C’est déjà vraiment gênant d’ouvrir ses jambes devant un.e inconnu.e. Si en plus on me juge sur le fait que je ne prenne pas de contraception, ou que j’ai eu des partenaires aussi bien hommes que femmes, je n’ai pas envie”. 

Face à ses craintes, Laura Berlingo encourage à consulter accompagnée d'un.e proche, pour se sentir davantage en sécurité, notamment au moment de l’interrogatoire.

"Toutes ces questions que l’on pose sur les facteurs de risque, la prise de drogue, le tabac, la sexualité, ce n’est pas de la curiosité malsaine, pondère la professionnelle. Ce sont des informations utiles, mais dont on ne peut parler qu’avec quelqu’un avec qui on est à l’aise. Si on a l’impression de se faire juger ou discriminer, on peut ne pas dire les choses. On ne doit pas l’absolue vérité à son médecin, on n’est pas juges ou flics !", rappelle-t-elle.

Mon corps, mon consentement

Si, aujourd'hui, des sites comme Gyn&co répertorient des soignant.es féministes, trouver un.e gynécologue de confiance reste pour beaucoup laborieux. 

C’est déjà vraiment gênant d’ouvrir ses jambes devant un.e inconnu.e. Si en plus on me juge sur le fait que je ne prenne pas de contraception, ou que j’ai eu des partenaires aussi bien hommes que femmes, je n’ai pas envie

"Comme pour les kinés, ou les professionnels de la santé mentale, il faut trouver la personne qui nous convient, et ne pas hésiter pour cela à en tester plusieurs", préconise Laura Berlingo.

Elle encourage à ce titre "l’auto-défense", c’est-à-dire "refuser d’être examinée si on se sent mal à l'aise", quitte à se rhabiller et à écourter le rendez-vous. Car, dans le cabinet comme sur la table d’examen, le confort et le consentement de la patiente doit toujours prévaloir.

Suivi gynécologique : les autres alternatives possibles

Parmi nos témoins, plusieurs rapportent aujourd'hui se tourner vers leur médecin généraliste afin de pouvoir poser leurs questions les plus intimes, tout en esquivant l’examen tant redouté. D'autres se sont tournées vers le Planning familial.

En dehors du gynécologue, il est aussi possible de consulter une sage-femme pour assurer son suivi gynécologique. Trop peu le savent, mais l'expertise de ces dernières n'est en effet pas uniquement réservée au suivi de grossesse et à la préparation à l'accouchement. Elles assurent également "les consultations de contraception et de suivi gynécologique de prévention ainsi que d’interruptions volontaires de grossesse par voie médicamenteuse", précise l'Organisation nationale syndicale des sages-femmes.

Depuis décembre 2021 elles sont aussi autorisées à "réaliser des interruptions volontaires de grossesse instrumentales en établissements de santé" à condition d'avoir "réalisé la formation complémentaire obligatoire et justifiant des expériences spécifiques attendues", spécifie le site de l'Association nationale pour la formation permanente du personnel hospitalier.

"On apporte bien plus aux patientes en les écoutant et en comprenant leurs besoins qu’en appliquant des recettes toutes faites. Le but des consultations est de les rendre autonomes, pas de les assommer avec un savoir médical surplombant, ou de leur donner un aval quelconque sur la manière dont elles doivent vivre leur vie", explique Laura Berlingo. Et de conclure : "L’idée est de travailler ensemble, et pas en concurrence".

*Auteure de "Une sexualité à soi - Libérée des normes", aux éditions Les Arènes.

**Le prénom a été modifié afin de préserver son anonymat