"J'ai toujours eu ce sentiment de ne pas vouloir d'enfant." Terriblement "angoissée à l'idée de tomber enceinte", Claudie raconte les tests de grossesse à répétition. Malgré la pilule et les préservatifs, elle n'est jamais sereine.

"Cela a même influé sur ma vie amoureuse car je n'ai eu des relations qu'avec des hommes plus âgés que moi." Elle adore les voyages, enchaîne les projets mais ses rêves se jouent ailleurs que dans la maternité. À 34 ans, elle se tourne vers un médecin qui lui rétorque qu'elle est "trop jeune" et la ramène à sa prétendue "horloge biologique".

Quatre ans plus tard, en juillet 2019, elle a enfin pu se faire ligaturer les trompes. Un soulagement. Si la stérilisation féminine est la méthode contraceptive la plus couramment utilisée au monde (Source : Nations Unies, Contraceptive Use by Method 2019), elle ne concerne qu'une minorité de Françaises (4,5 %)1.

Ainsi, 17 998 femmes ont eu recours à une ligature des trompes en 2020 (Source : Assurance maladie). Parmi elles, des jeunes femmes, sans enfant, même si elles restent à la marge. Seules 2,5 % des 30-34 ans ont choisi cette méthode en 2016, selon le baromètre santé, Santé Publique France.

Des remarques incessantes

Camille a toujours su que la maternité ne serait pas pour elle. Cette étudiante vit à Strasbourg et y pense depuis ses 16 ans : "Je ne l'ai pas décidé du jour au lendemain, ça a pris du temps !". Elle explique que des lectures lui ont permis de nourrir son cheminement intérieur et cite Sorcières de Mona Chollet et Lâchez-nous l'utérus ! de Fiona Schmidt, où elle découvre "la charge maternelle qui pèse même sur celles qui ne sont pas mères".

À l'époque, Camille a un implant contraceptif, "ne supporte plus les effets secondaires et cherche une solution sans hormones". Le stérilet en cuivre lui est déconseillé pour des raisons de santé. "Pourquoi m'embêter encore avec une énième contraception alors que je sais que je ne veux pas d'enfant ?"

"C'est quand même radical !"; "Mais tu ne vas pas regretter ?" ; "Et ton mec, il en pense quoi ?"… Voilà un aperçu des remarques auxquelles sont confrontées ces jeunes femmes.

"Avoir un enfant n'est pas mon projet de vie. Mais on vous fait sans cesse comprendre que vous ne rentrez pas dans le moule. Certains associent mon choix à une sexualité débridée, d'autres au cliché de la fille traumatisée dans son enfance. C'est naturel pour une femme d'avoir des enfants alors que cela devient anormal si on n'en veut pas ", dénonce Camille qui a fait une salpingectomie bilatérale (on coupe et cautérise les trompes) en avril 2021, à 21 ans.

Refuser la maternité, un choix jugé "contre-nature"

C'est poussée par ses convictions écologiques que Sara, 30 ans, a mûri son projet. "Il me paraît inconscient de laisser un enfant sur une planète déjà surpeuplée" explique-t-elle. Elle veut "poursuivre ses rêves" et raconte ses copines "rongées par la maternité".

Opérée à 28 ans, elle assume même si son entourage a souvent levé les yeux au ciel : "Je suis fille unique, ma mère a pleuré quand je lui ai annoncé. Et si elle ne comprend pas totalement, elle me soutient." De même que ses ami·es proches. "Dans mon cercle plus éloigné, je me suis sentie jugée. Comme si je faisais une chose choquante. Pourtant, c'est mon corps, et ça ne regarde que moi…".

"La pression est telle que l'explication devient véritablement justification, sinon un tribunal, déplore la psychologue et auteure Édith Vallée2. Un tabou très fort perdure, dû au processus archaïque de besoin de renouvellement de l'humanité. Refuser la maternité, c'est comme sortir du cycle de la vie et de la mort, ce qui est contre nature. C'est déstabilisant pour beaucoup : comme si ces femmes étaient des démiurges qui faisaient tourner le monde à l'envers."

Trois profils de femmes concernés

Mais quels ressorts se cachent derrière cette décision d'une ligature des trompes ? "La non-maternité s'impose à elles comme un choix évident. Ces femmes sont dans une quête de bonheur utilisant d'autres canaux que la reproduction. Elles pensent par elles-mêmes et se choisissent. Et il faut reconnaître qu'on peut très bien s'épanouir dans une rencontre avec soi-même", rappelle-t-elle.

Dans les années 70 puis 2000, la psychologue a été la première à leur donner la parole et a établi trois profils : "D'abord, les grandes amoureuses, où le couple se suffit à lui-même, mais aussi les créatrices ou les chercheuses qui se lancent dans une quête intellectuelle, scientifique ou spirituelle." Elle décrit ensuite "des femmes en action, passionnées, indépendantes : les entrepreneuses ou les toujours curieuses de la vie".

Puis celles qui sont dans la rupture avec leur passé ou le monde à venir. Toutes disent leur apaisement après l'opération. "La ligature des trompes est aussi un moyen de marquer leur corps de ce refus de maternité. Ces femmes sont complètes dans leur décision, leur esprit mais aussi leur corps."

Celles qui ne veulent pas d'enfants dérangent

En accord avec elles-mêmes mais toujours confrontées à l'incompréhension. "Ce phénomène, minoritaire, plutôt plébiscité par les classes les plus favorisées, dit beaucoup de choses de la société actuelle : il reste ancré dans les représentations qu'une femme, pour s'épanouir, doit passer par la maternité. Celles qui disent qu'elles ne veulent pas d'enfant dérangent et éventuellement font peur", confirme la sociologue Charlotte Debest3.

Elle les appelle les SEnVol (Sans Enfant Volontaire), un acronyme "positif et poétique" qui n'est pas sans rappeler l'anglicisme Childfree existant depuis les années 70 aux États-Unis. On ne fait donc pas encore complètement ce qu'on veut de son corps en 2022.

"Elles sont vues comme carriéristes et égoïstes. Elles disent qu'elles sont importantes pour ce qu'elles sont et non pas parce qu'elles vont fonder une famille. Cette liberté est problématique pour d'autres : elles rappellent aux mères qu'elles aussi ont fait un choix, quitte à le regretter", soutient-elle.

Un parcours semé d'embûches

Autre difficulté : le parcours pour accéder à cette intervention chirurgicale reste semé d'embûches. Léa a vu cinq gynécologues qui ont tous refusé de l'accompagner. Les motifs ? "Je suis trop jeune, je n'ai pas trouvé “le bon”, celui avec qui j'aurais envie d'un bébé. Quand je dis que je suis en couple, on me rétorque que si je me sépare, je regretterai ma décision. On m'a même expliqué qu'un rendez-vous chez le psy était obligatoire : c'est faux !".

À 29 ans, elle sait "depuis toute petite" que devenir mère ne l'intéresse pas : "Je me sens infantilisée, ça ne regarde que moi et pourtant tout le monde donne son avis. Quand une femme exprime un désir d'enfant, lui demande-t-on pourquoi ?"

Cette Parisienne va passer par d'autres canaux. "Il existe une liste secrète de médecins engagés qui acceptent de ligaturer les trompes", rappelle Claudie. C'est ainsi qu'elle a trouvé celui qui l'a opérée à Nantes. De même pour Camille.

Elles sont des milliers à se confier sur les comptes Instagram @sterilisez-moi ou @jeneveuxpasdenfant et dans un groupe privé sur Facebook4 où elles partagent les noms de praticiens ouverts sur le sujet. Presque sous le manteau.

Les stigmates d'une médecine paternaliste

S'il faut saluer ces espaces de parole libérateurs, pourquoi est-ce si compliqué d'accéder à la stérilisation à visée contraceptive autorisée par la loi Aubry du 4 juillet 2001 ?

Le texte est pourtant clair : seule une personne majeure et responsable de ses actes peut en faire la demande. Après un délai obligatoire de quatre mois de réflexion, elle peut ensuite confirmer son souhait auprès du médecin qui pratiquera l'intervention. Et, rappelons-le, aucunes conditions d'âge (à part avoir plus de 18 ans), de nombre d'enfants ou de statut marital ne devraient entrer dans le débat, comme le souligne l'Assurance maladie sur son site.

Comment expliquer alors que tant de médecins rechignent à entendre ces femmes ? La faute à une médecine paternaliste ? C'est ce que soutient la gynécologue obstétricienne Marie-Laure Brival5, ex-cheffe de service à la maternité des Lilas.

Aujourd'hui, je me sens plus femme et ma vie sexuelle est beaucoup plus intense. Je me suis vraiment libérée.

"Quand cette méthode est rentrée dans l'arsenal contraceptif, cela a été un vrai progrès en termes d'expression d'un choix de vie pour les femmes". Mais la loi a précédé les évolutions de la société. "Les médecins sont présents dans ce contrôle sociétal sur le corps des femmes. Celle qui exprime son souhait de ne pas ou de ne plus avoir d'enfant reste inaudible. C'est une décision qui échappe aux médecins, et être mis de côté dans un rôle de prestataires, ça ne leur a jamais plu !".

Marie-Laure Brival a opéré des centaines de femmes, parfois même à des âges assez précoces. "Ce sont des choix pesés. Elles n'arrivent pas en nous demandant ce qu'elles doivent faire ! Mais comme à chaque fois que les femmes ont à prendre une décision autonome qui va à l'encontre de la norme imposée, on va remettre en cause cette immense maturité qu'elles portent en elles de façon viscérale", dénonce-t-elle.

"Aujourd'hui, je me sens plus femme et ma vie sexuelle est beaucoup plus intense. Je me suis vraiment libérée", confie Claudie, qui dit avoir pleuré de joie après son opération. Qu'importe si ces femmes avancent à contre-courant, elles ont décidé. Pour elles.

À lire : "J'ai décidé de ne pas être mère" de Chloé Chaudet, éd. L'iconoclaste ; "Échographie du vide" de Camille Bonvalet, éd. Autrement. 

1. 4,5 % des Françaises âgées de 15 à 49 ans ont eu recours à une contraception définitive en 2016, selon le baromètre santé 2016, Santé Publique France.
2. Pas d'enfant dit-elle… Les refus de la maternité, éd. Imago. 
3. Le choix d'une vie sans enfant, éd. Presses Universitaires de Rennes.
4. Sur Facebook, le groupe Stérilisation Volontaire (Ligature, Essure, Vasectomie).
5. SOS Contraception, éd. First Editions.

Article publié dans le magazine Marie Claire n°836 - avril 2022 (daté mai 2022)