"Ça faisait deux mois que j’étais en dépression post-partum (DPP), suivie et traitée. Un matin, je me suis levée avec une clairvoyance toute particulière et une forme d’apaisement. J’avais trouvé la solution pour en finir avec la souffrance. J’avais décidé de mourir". 

Il est un peu plus de 7h du matin ce 4 juillet 2023 quand la sage-femme et auteure Anna Roy fait une rencontre bouleversante dans le métro, qu’elle partagera quelques heures plus tard, via un post Instagram ébranlantDans les commentaires, beaucoup de mamans s’épanchent. "Je ne savais pas que j’avais le droit de me présenter aux urgences". "Je pensais que j’étais la seule".

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Pourtant, des chiffres édifiants existent et démontrent le contraire. La plus récente étude de Santé Publique France sur le sujet atteste qu'une mère sur six est touchée par la dépression du post-partum. Constat tout aussi tragique : une jeune mère décède tous les quatre jours, d'après la 7ème enquête nationale confidentielle sur les morts maternelles, publiée par l'INSERM et Santé Publique France, le mercredi 3 avril 2024. 

Et désormais, le suicide est la première cause de mort maternelle dans l'Hexagone, avant les décès par maladies cardiovasculaires et les complications liées à la grossesse et à l'accouchement. 

"Le suicide maternel et autres causes psychiatriques de décès s’affirment comme la première cause de mortalité maternelle considérée jusqu’à un an (17 %), avec un RMM de 1,9/100000 naissances vivantes, soit environ un décès maternel de cause psychiatrique toutes les 3 semaines en France", complète la note accessible sur le site de Santé Publique France. 

Un tabou sociétal qui tue des mères

"Tous les étudiants sage-femmes posent la question de pourquoi les fenêtres sont verrouillées dans les maternités. Très vite dans le cursus on est au courant de ce suicide maternel, mais le tabou existe à l’échelle de la société", nous explique Anna Roy. 

Car si sur les réseaux sociaux, la parole autour du post-partum et de la DPP se libère depuis quelques années, dans la société "on ne supporte pas d’entendre que la maternité peut être quelque chose de dur et de noir".

Preuve en est, si les chiffres susmentionnés exposent des tentatives qui ne sont pas rares, peu voire pas de voix témoignent de cette réalité tue. 

Aux États-Unis, quelques prises de parole de compagnons endeuillés ont émergé ces derniers mois. En juillet 2023, le suicide d’Ariana Sutton, 36 ans, neuf jours après avoir donné naissance à ses jumeaux, a ému le pays. 

"Si seulement nous pouvions faire de la demande d'aide la norme, au lieu que [les femmes] aient honte de ne pas pouvoir le faire elles-mêmes, car c'est une chose réelle. C'est très, très réel, très puissant, très dangereux et elles ne devraient pas affronter cela seule", témoignait son mari quelques jours après son décès, au micro de Good Morning America

"Je n'ai compris que ça n'allait pas quand c'était trop tard"

À 25 ans, Laurie M - les deux témoins de cet article ayant le même prénom, l’initiale de leur nom de famille sera ajoutée pour les distinguer, ndlr - s'applique à communiquer le plus possible autour de la DPP. Cette québécoise, maman d’une petite Zoé, 20 mois, revient de loin. "À ce moment-là l'année dernière, je voulais mourir", commence-t-elle. 

Après deux ans d’essais FIV, la jeune femme et son compagnon sont des futurs parents heureux. La grossesse se passe bien, jusqu’à sa 26ème semaine. "J’ai perdu les eaux une nuit, la tête commençait déjà à sortir et j’ai quasiment accouché dans la voiture. Je n’ai pas pu avoir de troisième trimestre, apprivoiser tout ça", se remémore-t-elle. 

Pendant quatre mois et demi, la famille vit au rythme de l'hôpital. Laurie s’enferme dans un schéma où son seul but est de répondre aux besoins de sa fille, née grande prématurée. "J’étais totalement anesthésiée. Et je me suis rendu compte que ça n’allait pas que trop tard, quand j’ai été hospitalisée pour dépression post-partum et syndrome de stress post-traumatique". 

La dépression post-partum, des mères dans le fonctionnel pur

En France, 17% des femmes font des dépressions du post-partum et 6% présentent un syndrome de stress post-traumatique post-accouchement, nous rappelle Dr Amina Yamgnane, gynécologue obstétricienne.

"C'est un facteur de risque de la DPP, tout comme : le fait d’avoir déjà fait une dépression dans sa vie, avoir des antécédents médicaux lourds (fausse-couche, prématurité, bébé malformé), avoir subi des violences psychiques, sexuelles ou physiques, être en proie aux addictions, avoir vécu un aléa obstétrical en salle d’accouchement et l’isolement et la solitude avec le bébé", liste-t-elle. 

Seule avec sa fille, Laurie M fait les choses mais sans aucune émotion. "Je lui donnais les soins, j’étais là tous les jours, je m’impliquais… Mais rien ne m’animait". 

Dr Yamgnane acquiesce, "une maman qui est dépressive perd ses capacités d’interaction avec son bébé et les seules qu’elle arrive à maintenir sont des interactions automatisées dont elle ne tire pas de satisfaction. On est dans le fonctionnel pur". 

"Mon bébé sera mieux sans moi"

À la sortie de l'hôpital, Laurie M devient l’ombre d'elle-même. "J’avais l’impression que je n’étais pas assez bien pour ma fille. Je lui disais que tout allait bien se passer, que j’avais mis de l’argent de côté pour que son papa s’occupe bien d’elle. Dans ma tête, il allait y arriver 1000 fois mieux que moi". 

J’avais fait des lettres à tout mon entourage, j’avais été faire mon testament, j’avais acheté les habits que je voulais mettre pour les funérailles… Tout était prêt.

Puis arrive février 2023, et le premier cri d'alarme de la jeune mère. "La médecin m’a dit qu’elle avait rarement vu quelqu’un d’aussi organisée dans sa tentative de suicide. Je suis allée acheter ma pierre tombale avec ma fille dans les bras, j’avais fait des lettres à tout mon entourage, j’avais été faire mon testament, acheté les habits que je voulais mettre pour les funérailles… Tout était prêt". 

En cette fin de semaine d’hiver, sa famille prévoit de passer le week-end dans un chalet. Laurie prétend vouloir rester à la maison pour se reposer. "Mon objectif était de compléter ma tentative de suicide", confie-t-elle. Ce qu’elle fera quelques heures plus tard, en essayant de s’intoxiquer au monoxyde de carbone dans sa voiture. 

Après la tentative, l'envie de mourir subsiste 

Sauvée de justesse, Laurie M est conduite à l’hôpital, où elle reste une semaine. "J’ai eu un suivi assez mince. On a parlé rapidement de dépression. Mais on insistait beaucoup sur mon idéal de maternité qui n’avait pas été vécu. Alors qu’il y avait surtout quelque chose de cassé à l’intérieur de moi”. 

Il faudra encore attendre deux mois pour que la corde cède une nouvelle fois, cette fois complètement. 

"En avril, j’assistais à un gala pour lequel je recevais un prix. Mes amis avaient préparé une présentation dans laquelle ils me décrivaient, mais ce n'était plus moi. Je suis descendue de scène et j’ai craqué devant mes parents. Je leur ai dit qu’ils devaient me conduire à l’hôpital. J’aurais essayé de me tuer encore et encore si je n’ai pas eu ce déclic". 

C’est alors seulement qu’on lui parle de la dépression du post-partum, 13 mois après la naissance de sa fille. 

"Je ne ressens pas d'amour, mais de la peur"

De l’autre côté de l’Atlantique, Laurie T, âgée de 36 ans et maman de deux enfants (7 et 2 ans) témoigne aussi d’un tabou extrême, qui "fait tache sur l’image glowy de la maternité".

En 2016, après une grossesse idyllique, elle accueille son premier enfant, Paula. L’accouchement se fait très vite, trop vite pour Laurie (victime de violences sexuelles à son adolescence, la maman comprendra deux ans plus tard que son accouchement a réveillé sa mémoire traumatique). 

Même pour aller chercher un sandwich je voulais retenir mon conjoint, lui dire 'tu ne peux pas me laisser toute seule avec ça'.

"Au moment où la sage-femme me pose Paula dessus, c’est la catastrophe. Je vois mon mari qui est ému et moi je ne ressens pas d’amour, mais de la peur. Même pour aller chercher un sandwich, je voulais retenir mon conjoint, et lui dire 'tu ne peux pas me laisser toute seule avec ça'. Mais j'en étais incapable, parce qu'on ne m’a jamais parlé du post-partum. En 2016, on parlait du baby blues et c’est tout". 

Pourtant, la DPP et le baby-blues sont deux choses distinctes. "La dépression du post-partum, c’est quelque chose qui dure assez longtemps et qui se déclenche généralement entre les 6 semaines et 12 mois après la naissance et peut perdurer jusqu’à deux années. Le baby blues atteint toutes les femmes. Il se passe entre le deuxième et le troisième jour qui suit la naissance. C’est une tristesse intense dont on se remet en 48h", nuance Dr Yamgnane. 

Emprisonnée entre angoisse et culpabilité 

Une fois à la maison, la terreur absolue est tue. "J’ai réussi à donner le change. J'étais dans une organisation robotique et le moindre grain de sable dans la machine m’angoissait. Durant les deux premières années, je l’aime, mais je ne suis pas envahie d’un amour inconditionnel pour ma fille".

Il y a bien des moments où Laurie T ne peut pas se cacher et pleure beaucoup. "Un jour, mon conjoint - qui est sage-femme, ndlr - m’a dit, sous forme de reproche ‘si tu continues de pleurer, je vais croire que tu fais une dépression du post-partum’, je l’ai très mal pris". 

Laurie T culpabilise aussi car, sur les réseaux sociaux, ses amies semblent "vivre leur meilleure vie" avec leurs bébés. "Tout le monde essaye de faire apparaître la meilleure version de soi-même, mais quand on a un bébé, un parcours tout blanc, ça n’existe pas. Il ne faut pas s’imaginer qu’elles sont seules à être mal, elles sont légion. Mais le curseur ne se place pas au même endroit pour toutes les mères", rappelle Anna Roy. 

"Seule avec Paula, j’aurais pu mourir d’angoisse. C’était handicapant, tant et si bien qu’au bout d’un an je suis allée voir la médecin à bout... Et on a mis ça sous le coup d’un burn out".

"Noie-toi, tu seras tranquille"

Soulagée parce que son mal-être n'a "rien à voir avec ses compétences de maman", Laurie T "survit". "Je savais que quelque chose n'allait pas, j’avais des phobies d’impulsion incroyables : je passais sur un pont tous les matins et je me voyais jeter ma fille par-dessus".

Dirigée par sa sage-femme vers une psychologue-sophrologue, puis une psychiatre, elle prend des anti-dépresseurs qui lui "changent la vie". Si bien qu'elle décide d'arrêter son traitement quelques mois après. "Sauf qu’un mois plus tard, alors que ma fille fête ses deux ans, c’est la catastrophe. Elle se réveille en pleine nuit et je suis paralysée. Le lendemain, je supplie mon compagnon de ne pas partir travailler. Physiquement, je ne pouvais pas être seule avec elle, sinon elle allait mourir, j’allais mourir…"

Physiquement, je ne pouvais pas être seule avec elle, sinon elle allait mourir, j’allais mourir…

"Le lendemain, je la dépose chez la nourrice et je me fais couler un bain. Et je me laisse couler. Je me dis que j’en peux plus, j’ai trop mal. Ma fille ne peut pas avoir une mère comme moi. Je m’entends encore : 'noie-toi, tu seras tranquille'. Au moment de suffoquer, je vois le visage de ma fille et je sors ma tête hors de l’eau, c'est le déclic. Ma psychiatre m'a reçue dès le lendemain".

Alors, Laurie T vide enfin son sac : le passé de violences sexuelles, les phobies d’impulsion, l'anesthésie émotionnelle... "On pose les mots dépression post-partum et de troubles bipolaires de stade 2. C’est beaucoup à digérer. À ce moment-là, je ne connais pas de mamans qui ont eu une DPP, qui ont essayé de se tuer, à qui on a diagnostiqué une pathologie mentale…". 

Des mères enfermées sous une chape de honte

Qu'elles soient au Québec ou en France, les deux mères de famille parlent d'un "tabou" qui assimile une mère en détresse à une mère qui n'aime pas son enfant et qui les as enfermées sous une chape de honte. 

"Personne n’a posé de question. Et aujourd’hui, je me dis que si j’avais entendu, ne serait-ce qu’un : 'est-ce que je peux vous aider ?', j’aurais sûrement craqué", confirme la maman de Zoé.

Dans l'entourage, comme dans le corps médical, il est primordial de faire passer le message. "Aujourd’hui, je suis en meilleure posture pour demander de l’aide et j’ai un très bon suivi psychologique et psychiatrique, avec des personnes à l'écoute. Quand je relis mes lettres de suicide, je me choque d’avoir pensé que ma fille serait mieux sans moi. Mais quand on vit cette détresse, c’est impossible de voir au-delà", continue-t-elle. 

Je me dis que si j’avais entendu, ne serait-ce qu’un : 'est-ce que je peux vous aider ?', j’aurais sûrement craqué.

Quelques mois après le début de son traitement, Laurie T, part en vacances toute seule avec sa fille. "C’est le voyage de ma vie où je rencontre ma fille. Même si quelque chose se passe mal, personne ne va mourir derrière", se remémore-t-elle émue.

Il y a deux ans, elle a même accueilli un second enfant, Basile. "Je n’ai pas du tout eu peur pour mon fils. Pourtant, la grossesse n’a pas été idyllique, j’ai même fait un séjour en psychiatrie à cause d’un mauvais dosage de médicaments. Mais j'ai été suivie et j’ai mis les check points nécessaires pour me rassurer et ne pas faire du hors-piste". 

Faire tomber les tabous qui entourent la maternité

D'autant qu'Anna Roy persiste et signe : la dépression du post-partum se soigne très bien. Mais encore faut-il la reconnaître. Pour ce faire, elle fait faire le test EPDS - outil de dépistage de la dépression post-partum, ndlr - une fois par mois à ses patientes.

"Elles peuvent jauger fréquemment et aller consulter dès que ça ne va pas. Avant le passage à l’acte, il y a souvent des petites envies de mourir multiples et dès cette première petite envie, il faut se faire traiter tout de suite. Les urgences sont là pour ça", martèle-t-elle. 

Distinction importante, autres que les pensées suicidaires en post-partum, il existe aussi la psychose puérpérale, "encore plus taboue et où le suicide survient très tôt après l’accouchement", décrit Anna Roy. "Les mamans ne sont plus en lien avec la réalité. Souvent, il existe des antécédents ou un terrain psy. C’est une violence absolue parce que les bébés, comme la maman peuvent être en danger", complète Dr Yamgnane. 

Cependant, à l'image de nos témoins, "les femmes dépressives sont dangereuses pour elles, mais généralement pas pour leur bébé". Et afin de protéger ces mères, les expertes sont formelles : il faut en parler. 

"Il manque des campagnes de publicité, des prises de parole ! Une femme sur six connaît la DPP, alors on a bien une copine, une mère, une tante qui est passée par là. Si ce n'était pas tû, on n'en serait pas là. Aujourd'hui encore, des mères sont en proie à l'isolement, la honte et la culpabilité. Cela doit cesser et c'est le travail de tous", avertit la gynécologue obstétricienne.