Qui sera cette année l’heureux·se lauréat·e du Prix du Roman Marie Claire, dont la vocation est de récompenser un ouvrage francophone paru cet hiver  ? Et de couronner un roman qui évoque un destin de femme d’hier ou d’aujourd’hui, un récit qui raconte quelque chose de son temps...

Sous l’égide de sa prestigieuse nouvelle marraine, la romancière Karine Tuil , notre jury, constitué de douze libraires implanté·es partout en France * et de trois membres de la rédaction, révélera son choix le 21 avril  prochain  dans le cadre du Festival du Livre de Paris. Voici les sept ouvrages en lice, sept romans aussi singuliers qu’attachants.

1/7

"La Grande Ourse", de Maylis Adhémar

presse / Astrid Di Crollalanza

La lumière d’automne sur les Pyrénées, voilà ce que l’héroïne Zita veut revoir de sa patrie l’Ariège, elle qui a sillonné le monde du Vietnam au Costa Rica. Avec les ciels, les estives, les forêts et les êtres qui les peuplent, la jeune femme entretient un rapport aussi contemplatif que viscéral, prétexte à des pages très habitées sur ce que la nature fait aux muscles, à la peau, à l’imagination. Mais le deuxième roman de Maylis Adhémar, loin de se cantonner à ces limbes sensoriels, va dans le dur aussi.

Dans la terre et ses questions sociales. Zita, ingénieure mais fille d’éleveur·ses surtout, s’amourache de Pierrick, citadin de Toulouse, dont l’ex-belle-famille, un poil horssol, prend fait et cause pour les ours  : entre cimes et plaines, pastoralisme et écologie, plantigrades et ovidés, Maylis Adhémar trace des lignes mouvantes, jamais manichéennes, qui à son héroïne tiraillée donnent toute sa densité.

La Grande Ourse (Éd. Stock)

2/7

"Fille en colère sur un banc de pierre", de Véronique Ovaldé

presse / Pascal Ito

Au départ, il y a quatre sœurs aux prénoms d’héroïnes d’opéra (Violetta, Gilda, Aïda, Mimi) entre lesquelles un père imbuvable distribue inéquitablement les affections. Nous sommes à Iazza, île inventée par Véronique Ovaldé, toute en splendeurs et misères italiennes, au large de la Sicile, alors quand la préférée Mimi se volatilise, drame dont on accuse Aïda, cette dernière s’exile à Palerme.

C’est son retour au pays des décennies plus tard, à l’occasion du décès du patriarche, que nous raconte l’autrice en disant "je ", procédé cocasse par lequel elle expose ses états d’âmes de narratrice tout en chambrant ses personnages, comme si elle, Ovaldé, était une proche parente qui pouvait tout se permettre.

Elle y va fort, du coup, sur la mise à nu des sororités feintes, des peines enchevêtrées, ou sur la façon dont on se construit fille et femme en dépit du machisme. À l’arrivée, un drame lyrique, baroque, échevelé, dont la musicalité et les coups de théâtre vous sonnent et ravissent à la fois.

Fille en colère sur un banc de pierre (Éd. Flammarion)

3/7

"Jusqu’au Prodige", de Fanny Wallendorf

presse / Sandrine Cellard

Se faufiler entre les feuillages, trébucher sur les racines, s’étendre sur l’humus  : Thérèse, la jeune fille qui traverse le troisième roman de Fanny Wallendorf au pas de course, fait corps avec la forêt, s’y fond, même si rien n’y est tranquille. Elle fuit ce "Chasseur " qui l’a séquestrée, compte le temps (trois jours et trois nuits) qu’il lui faudra pour retrouver son frère adoré de l’autre côté du Vercors, tente d’éviter les soldats allemands qui pourchassent les maquisards – en arrière-plan, l’Occupation.

Le talent de l’autrice, c’est de donner à cette trame macabre la splendeur d’une fable, où tout se tient aux limites du fantastique mais sans y céder jamais, laissant ainsi le champ libre à nos imaginations  : ces oiseaux rares que le chasseur collectionne et que Thérèse nourrit, on leur prêterait volontiers, nous lecteur·rices, des pensées anthropomorphes ; quant à ce "Prodige ", gros renard noir de légende qui vivrait dans ces bois, on veut y croire absolument.

Jusqu’au Prodige (Éd. Finitude)

4/7

"Une chance amère", de Alice Dumas Kol

Presse / Celine Nieszawer

L’autrice, dont c’est là le premier roman, a pour profession psychanalyste. S’étonnera-t-on alors qu’elle détricote, avec toute la délicatesse possible, les nœuds de non-dits, les traumas héréditaires et les culpabilités qui rongent les femmes de sa famille, elle-même comprise  ? À la manière d’un triple portrait gigogne, Alice Dumas Kol se raconte à l’aune de sa grand-mère et de sa mère qui ont fui le Cambodge des Khmers Rouges en 1975. Elles y ont laissé un garçon et une aïeule, respectivement oncle et arrière-grand-mère d’Alice, et plein de cousines aussi.

Tou·tes ont été assassiné·es. Par allers-retours incessants, le livre oscille entre une villa sur le golfe de Thaïlande, épicentre de l’horreur, et un T2 de Créteil, lieu d’exil, avec des crochets par le New York des années 80 où la mère d’Alice, rebelle à tout, artiste, a accouché de la narratrice. En guise de bornes et de bouées pour jalonner ces errances, des soaps khmers en VHS, des bâtons d’encens premier prix, des mots français mal prononcés. Plus qu’une thérapie familiale couchée sur papier, une cartographie sensible des destinées et des absences.

Une chance amère (Éd. Anne Carrière)

Vidéo du jour
5/7

"Un grand bruit de catastrophe", de Nicolas Delisle-L’Heureux

Presse / Chloé Vollmer

Avec pertes et fracas, c’est ainsi que Louise fonce de pages en pages, claudiquant parfois, disparaissant aussi, laissant alors son ombre énergétique planer sur tous les autres personnages. Le Québécois Nicolas Delisle-L’Heureux, pour ce deuxième roman, croque un trio d’ami·es ados dont Louise est le pivot  : fille d’évangélistes de Val-Grégoire, bourgade fictive et désolée de la Haute-Côte-Nord, elle passe la moitié du temps à faire les quatre cents coups avec ses potes Marco et Laurence, l’autre moitié recluse et punie.

Un viol et une grossesse plus tard, tout explose. Ce scénario noir, l’auteur le construit et le déconstruit en virtuose, en mécanicien des emprises et des violences, et malgré tout, joyeusement. Avec sa formidable héroïne et ses acolytes, on sillonnera les époques et les provinces de ce Canada des basses classes, comme un road-trip où tout tourne court mais où chaque embardée nous saisit.

Un grand bruit de catastrophe (Éd. Les Avrils)

6/7

"Le Mystère de la femme sans tête", de Myriam Leroy

Presse / Sandrine Cellard

L’histoire, on le sait, efface volontiers les femmes de tête – alors les femmes sans tête, pensez donc. Marina Chafroff, Russe exilée à Bruxelles, figure de la Résistance belge puis décapitée sur ordre d’Hitler, n’a pas échappé à la règle. C’est sur ses traces – minimes, sujettes à caution – que la romancière bruxelloise Myriam Leroy se lance, s’accrochant à des micro-signes  : un jour de confinement, elle tombe au cimetière d’Ixelles sur la tombe de Chafroff ; un autre jour, une coïncidence d’adresses lui saute aux yeux.

Comme si l’autrice, en parallèle de son enquête, nous livrait un savoureux journal qui consignerait ses excitations et désarrois. La Marina à laquelle elle donne chair peu à peu, toute en pointillé soit-elle, n’en est pas moins fascinante : pas plus grande qu’une enfant, elle-même flanquée de deux gosses et d’un mari, Youri, puéril au possible, elle s’extrait, un soir, de sa vie toute domestique pour attaquer un nazi au couteau. En sous-texte, une interrogation vertigineuse sur ce qu’héroïne et héroïsme veulent dire.

Le Mystère de la femme sans tête (Éd. du Seuil)

7/7

"Double V", de Laura Ulonati

Presse

Vanessa et Virginia, voici les deux V volcaniques qui se font ici concurrence. La postérité n’en retiendra qu’une, Virginia, et pour cause, la grande Woolf, c’est elle. Sa sœur aînée Vanessa Bell, pourtant, a excellé en peinture avant que ne l’abîment le concubinage avec Duncan Grant, un artiste qui en pinçait moins pour elle que pour les hommes, et la jalousie à l’endroit de sa cadette – qui le lui rendait bien.

Le portrait vif et poignant d’une femme de l’ombre qui ne se résout pas à son éclipse, voilà ce que brosse Laura Ulonati, dont la narration, qui plus est, se permet toutes les audaces  : explorer crûment la part la plus trouble, quasi-incestueuse, de la relation Vanessa/ Virginia ; intercaler des scènes autofictionnelles avec sa propre sœur. Comme un florilège des puissances et toxicités potentielles que recèlent les liens sororaux.

Double V (Éd. Actes Sud)

*Les douze librairies dans le jury : Librairie de Paris (Saint-Étienne), librairie Coiffard (Nantes), librairie Le Failler (Rennes), librairie Ouvrir l’Œil (Lyon 1er), librairie Pantagruel (Marseille 7e ), La Chouette Librairie (Lille), librairie Au Vent des Mots (Lorient), librairie Les Cahiers de Colette (Paris 4e ), librairie Delamain (Paris 1er), librairie Atout Livre (Paris 12e ), librairie La Malle aux Histoires (Pantin), librairie Gutenberg (Issy-les-Moulineaux).

Réponse du concours sur les réseaux sociaux de Marie Claire (Instagram et Facebook), le 21 avril à partir de 13 heures.

Cet article a initialement été publié dans le magazine Marie Claire numéro 848, daté mai 2023.

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