Prix du Roman Marie Claire 2024 : Camille de Peretti, lauréate avec "L'inconnue du portrait" et son héroïne captivante

Par Thomas Jean
Publié le
Camille de Peretti
Avec son captivant roman "L’inconnue du portrait" (Calmann Lévy), Camille de Peretti a remporté ce vendredi 12 avril 2024 le Prix du Roman Marie Claire 2024, décerné au Festival du livre de Paris, en présence de notre marraine Véronique Ovaldé, et avec le soutien de notre partenaire S.T Dupont.
Qui se cache derrière cette femme un peu bohème - l’épaule est nue, le cheveu profus - que Klimt a portraiturée en 1910, puis qu’il a repeinte, par-dessus l’œuvre originale, en 1917, rhabillant et recoiffant la date, comme si la V1 était trop imprudente ? Voilà un mystère qui donne du fil à retordre aux historien·nes de l’art, sans que la moindre explication probante n’ait émergé.
 
Libre alors à Camille de Peretti de donner chair, vie, sentiments, à elle qui aurait prêté son visage à ce fameux Portrait d’une dame : elle l’appelle Martha, en fait une employée de maison viennoise dont s’éprend son jeune maître, l’imagine en mère courage…
 

Un héroïne du XXe siècle, qui résonne avec notre époque 

Et c’est sur elle que les voix de le jury du Prix du Roman Marie Claire 2024 se sont majoritairement portées. Ce prix, rappelons-le, récompense chaque année un roman dont l'héroïne, riche d’un destin fort, résonne avec notre époque.
 
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L’époque de Martha, c’est le début du XXe siècle viennois, certes, mais dans la manière dont son existence slalome entre dominations masculine et sociale, dans ses tentatives de déjouer les déterminismes, elle a tout d’une héroïne contemporaine.
J'essaie d'avoir des personnages riches de plusieurs facettes.
D’autant que le roman de Camille de Peretti, loin s’en faut, ne se cantonne pas à l’Autriche d’antan, avec ses puissants, ses grisettes et ses artistes sans le sou. Car le Portrait d’une dame, outre l’identité de son modèle, recèle bine d’autres énigmes : en 1997, le tableau est volé au musée Rccid-Oddi de Plaisance, des faux circulent, et vingt ans plus tard, on retrouve l’œuvre intacte dans un sac-poubelle. L’occasion pour l’autrice de sculpter, sur le socle de ces faits parcellaires, d’autres histoires d’amour encore, d’autres femmes complexes et attachantes.
 
On a un faible pour Pearl, avocate d’affaire texano-new-yorkaise et cœur d’artichaut - et d’étaler son intrigue sur plus d’un siècle entre veille Europe et Amérique.
 
Serait-elle un experte ès-saga, Camille de Peretiti, elle qui a lu tout Ken Follett et tout Pierre Lemaitre, les dieux du genre, avant de se lancer dans L’Iconnue du portrait ?
 
L’autrice, au contraire, se méfie des cases, butinant depuis deux décennies entre toutes les littératures : dans Nous sommes cruels (2006), elle revisitait Les liaisons dangeureuses, avec Nous vieillirons ensemble (2008), elle se fixait des contraintes oulipiennes à la Perec, tandis que Petits arrangements avec nos cœurs (2014) en appelait à Kerouac.
 
"Qui sait si un jour je ne vais pas m’attaquer à l’'heroic fantasy'", rigole-t-elle. C’est qu’elle peut tout écrire, notre lauréate 2024, elle dont le sens échevelé du romanesque se nourrit autant de pop culture que de belles lettres.
 
Nous avions rencontré l'autrice au début de l'année. Interview.

Rencontre avec Camille de Peretti

Marie Claire : Qu'est-ce qui vous fascinait tant dans ce Portrait au point que vous en fassiez un roman ?

Camille de Peretti : Il est très différent des autres tableaux de Klimt, dans lesquels il y a tout un chichi de symbolisme. Celui-ci, presque sobre, on dirait un Renoir. Et puis, j'ai découvert dans le Guardian qu'il avait une histoire de dingo : il a été peint, puis repeint par Klimt, perdu, volé, rendu dans un sac-poubelle. J'ai senti qu'il y avait là une idée de roman. Choisir un sujet, c'est comme tirer à la courte paille, parfois tout se casse vite la gueule, mais parfois, comme ici, plus on tire le fil, plus ça foisonne !

Ce tableau a un destin rocambolesque et, à la fois, on ne sait rien du modèle, de ses ravisseurs. Comment échafaude-t-on une fiction vrai-semblable à partir d'une trame aussi sensationnelle que parcellaire ?

C'est un sacré bordel ! Jamais je ne me suis attelée à un truc si difficile qui s'étale sur cent dix ans et deux continents : j'ai collé des fiches au-dessus de mon bureau, me suis souvent emmêlé les pinceaux.

C'était beaucoup de lectures aussi, tous les contemporains de Klimt y sont passés : Schnitzler, la poésie de Trakl, dont je suis tombée totalement amoureuse, Zweig et son Monde d'hier (1), dans lequel on apprend que les garçons de la haute bourgeoisie viennoise avaient des prostituées à domicile, ce qui m'a inspiré le personnage de Martha. J'ai même lu le best-seller autrichien de 1902, un livre de cuisine dont j'ai testé quelques plats – mais je ne suis pas douée en schnitzels !

Vos personnages féminins, dont Martha, ont une large palette, une complexité réjouissante. C'était voulu, conscient ?

Je joue beaucoup sur les stéréotypes littéraires – la pute, le patriarche – et à la fois, oui, j'essaie d'avoir des personnages riches de plusieurs facettes. Par exemple, à propos de Pearl, un autre personnage, on m'a demandé : "Est-ce que cette avocate superwoman aux dents qui rayent le parquet peut être en même temps aussi midinette, cœur d'artichaut, amoureuse d'un crétin ?"

Oui ! On en connaît tous, des filles comme ça, qui sont loin d'être des clichés d'elles-mêmes.

Inspirée par Pierre Lemaitre et Ken Follett

Dans Nous sommes cruels (2), vous revisitiez Laclos, dans Nous vieillirons ensemble (3), vous vous fixiez des contraintes littéraires à la Perec... Sous quel haut patronage d'écrivain·e se situerait cette Inconnue ?

Pierre Lemaitre ou Ken Follett, les dieux de la saga ! Pendant deux ans, lectrice compulsive, je n'ai lu que ça, cette littérature aux structures très nettes, hyper romanesque, à suspense, qui fait fureur en Relais H.

Depuis 1996, vous écrivez un journal : comment cet exercice très quotidien dialogue avec votre travail de romancière ?

Si quelqu'un lisait mon journal, il se dirait : mais quel ennui ! De manière militaire, j'y écris cinq lignes par jour, que ce jour soit celui de mon accouchement ou un dimanche à glander. Il raconte aussi l'écriture dans ce qu'elle a d'abominable : "Aujourd'hui, j'ai jeté tout ce que j'avais écrit", "j'y arriverai jamais", "je ferais mieux de me trouver un autre métier, ma mère m'avait prévenue", avec parfois, quand même, quelque chose comme "ça y est, je tiens un personnage !"

1. Éd. Le Livre de Poche.
2. et 3. Éd. Stock.

L'Inconnue du portrait, éd. Calmann-Lévy, 21,50 €.

Cette interview a initialement été publié dans le magazine Marie Claire numéro 858, daté mars 2024.

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