Un système immunitaire en bonne santé sait théoriquement faire la différence entre les cellules du corps auquel il appartient et les éléments étrangers susceptibles de présenter un danger (bactéries, virus, parasites…). Mais s’il est perturbé, notre arsenal de défenses naturelles peut se tromper d’ennemis. Il produit alors des anticorps destructeurs dirigés contre son propre organisme. Cette défaillance – présente aujourd’hui chez 8% de la population environ – est à l’origine de toutes les maladies auto-immunes. Certaines affectent plusieurs organes simultanément (peau, reins et yeux pour le lupus érythémateux systémique par exemple), d’autres ne ciblent qu’un organe spécifique : le pancréas pour le diabète de type 1, le cerveau pour la sclérose en plaque, les articulations pour la polyarthrite rhumatoïde ou la spondylarthrite ankylosante, ou encore la thyroïde pour les maladies de Hashimoto (hypothyroïdie) ou de Basedow (hyperthyroïdie).

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L’excès d’hygiène responsable ?

Bien que ces maladies ne soient pas héréditaires, la génétique joue un rôle. Le diabète de type 1, par exemple, frappe 0,4% de la population générale. Mais dans les familles dont quelques membres sont atteints de diabète insulinodépendant, le risque grimpe à 5%. D’autres facteurs interviennent également dans le déclenchement de ces pathologies, comme le tabagisme, le déficit en vitamine D et l’obésité. L’excès d’hygiène est aussi montré du doigt. La hantise des microbes de nos sociétés modernes a certes permis d’en finir avec certaines épidémies. Mais "elle semble impliquée dans l’explosion du nombre d’allergies et de maladies auto-immunes comme la sclérose en plaques ou la maladie de Crohn,", observe l’immunologiste Jean-François Bach, professeur émérite à l’université Paris Descartes et secrétaire perpétuel de l’Académie des sciences. Ces affections enregistrent en effet une forte progression dans les pays riches à haut niveau d’hygiène, alors qu’elles restent confidentielles dans les régions moins salubres où les infections chroniques sont légion. Lorsque le système immunitaire est confronté dès le plus jeune âge à une multitude de germes, il est éduqué correctement. Sinon, "il reste immature et peut se retourner contre son hôte", explique le Pr Jean-François Bach. Un peu d’hygiène donc, mais point trop n’en faut.

La pollution sur le banc des accusés

Si les vaccins ont été un moment accusés à tort, notre exposition répétée aux polluants serait quant à elle bel et bien responsable en partie de la hausse du nombre de maladies auto-immunes. Les métaux lourds sont notamment incriminés, en particulier le mercure contenu dans les "plombages" dentaires. Comme le rappelle le Dr Joachim Mutter, spécialiste allemand des pathologies environnementales, "la sclérose en plaques est décrite pour la première fois en 1868 parallèlement à l’utilisation croissante des amalgames au mercure comme matériau d’obstruction dentaire". Elle reste très rare au Japon où ce matériau n’est plus utilisé depuis 1985, ainsi qu’en Sibérie où il est interdit depuis plus de trente ans. Des coïncidences troublantes !

Une grande inégalité entre les sexes

Les hommes ne sont bien sûr pas épargnés, mais la grande majorité des patients atteints de maladies auto-immunes sont… des patientes ! Et cette disparité ne cesse de s’accentuer. Les chiffres parlent d’eux-mêmes. Sur les deux millions de scléroses en plaques recensées dans le monde, dont 100 000 en France, plus de trois malades sur quatre sont des femmes, contre "seulement" deux sur trois dans les années 1960. Pour les maladies auto-immunes de la thyroïde, la gente féminine est également désavantagée puisqu’on dénombre 9 femmes touchées pour un homme. C’est la même chose pour le lupus : parmi les 30 000 Français concernés, 9 sur 10 sont des femmes. Pour l’hépatite auto-immune, le ratio femme/homme est de 3 pour un.

La situation est pire pour la polyarthrite rhumatoïde car les femmes subissent la double peine : elles sont non seulement plus souvent touchées - trois femmes pour un homme – mais la maladie s’avère aussi plus tenace chez elles. Une étude suédoise de l’université de Lund a montré qu’après cinq ans de prise en charge médicale, 52% des hommes étaient en rémission, contre seulement 31% des femmes. La maladie est-elle plus agressive chez les femmes ou les traitements sont-ils moins efficaces sur elles ? Cette dernière hypothèse est plausible dans la mesure où la majorité des médicaments – toutes pathologies confondues - sont généralement développés par des hommes et testés sur des hommes avant d’être mis sur le marché.

Deux exceptions à la règle : le diabète auto-immun ne fait pas de distinction entre les sexes et la spondylarthrite ankylosante affecte davantage la population masculine que féminine.

Pourquoi les femmes sont-elles plus à risque ?

Pour nombre de médecins, les principales hormones sexuelles féminines - les œstrogènes -sont en cause. Ces dernières ont en effet tendance à stimuler à outrance le système immunitaire, alors que les hormones sexuelles masculines – les androgènes – exercent un effet protecteur. En 2014, une étude américaine présentée au congrès de l’Académie de neurologie suggérait ainsi une augmentation de 35% du risque de développer une sclérose en plaques chez les femmes prenant une pilule contraceptive renfermant des œstrogènes. Mais d’autres travaux ne sont pas venus confirmer ce lien de cause à effet.

En revanche, "l’administration d’œstrogènes en début de ménopause, dans le cadre d’un traitement hormonal substitutif, peut entraîner une diminution de la fonction thyroïdienne", remarque l’endocrinologue Benoit Claeys, auteur de En finir avec l’hypothyroïdie (éd. Thierry Souccar). En outre, tous les médecins constatent que la polyarthrite rhumatoïde et la sclérose en plaques s’améliorent grandement au cours de la grossesse, période où le corps est principalement sous l’influence de la progestérone, et non des œstrogènes.

La génétique explique aussi notre sensibilité accrue aux maladies auto-immunes. Chez l’homme, les cellules portent un chromosome X et un chromosome Y, tandis que celles des femmes contiennent deux chromosomes X. Dans la plupart des cas, l’un des deux n’est guère actif. Mais si les deux chromosomes X fonctionnent à plein régime, certaines protéines sont produites en doublon. Résultat : les défenses immunitaires s’emballent, ce qui accroît le risque de maladies auto-immunes.

Les perspectives de traitements s’améliorent

Une fois la maladie installée, elle évolue de façon chronique tout au long de la vie, avec des périodes de poussées et de rémissions. Il n’existe pas de traitements permettant de guérir définitivement, mais on dispose de médicaments qui contrôlent la maladie, freinent les crises et estompent les symptômes douloureux. Des corticoïdes à fortes doses sont généralement prescrits afin de réduire l’inflammation, ainsi que des immunosuppresseurs pour assagir le système immunitaire. Mais du coup, les infections bactériennes ou virales sont plus fréquentes. Une nouvelle génération de médicaments a également fait son apparition : "des anticorps monoclonaux, comme le TNF-alpha, qui donnent d’excellents résultats dans la polyarthrite rhumatoïde, la maladie de Crohn ou le psoriasis", explique l’Institut national de la recherche médicale (Inserm). D’autres, tout aussi prometteurs, sont en cours de développement.

Quelques chercheurs s’intéressent désormais aussi au microbiote intestinal des patients. Une bactérie particulière de leur flore digestive serait en effet capable de sortir de l’intestin et d’activer le système immunitaire d’autres organes, suggère l’université américaine de Yale dans une étude publiée en mars 2018. Cette découverte ouvre la voie à de nouvelles thérapies visant à neutraliser cette bactérie destructrice. Une perspective encourageante pour les années à venir.