D’aussi loin que je me souvienne, je n’ai jamais apprécié que l’on me touche

Que ce soient ces professeurs qui aimaient poser furtivement une main sur l’épaule comme un signe d'encouragement, une personne qui se tient trop près dans le métro ou un.e collègue qui m’attrape le bras, le fait qu’un.e non-proche vienne envahir mon espace personnel me dérange grandement. 

Attention, j’adore les marques d’attention et autres câlins, mais provenant seulement de mes "proches" proches - typiquement, la mode des pancartes "free hugs" fut, pendant un temps, une illustration de mon enfer personnel. 

Pour autant, je sais que d’autres ont besoin d’un contact physique pour faire passer leurs émotions, même face à des personnes qu’ils ne connaissent que très peu. "Je l’avoue, je pose facilement une main sur l’épaule ou le bras des gens pour m’excuser ou pour montrer que je suis d’accord avec eux", commente Laura. 

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Pas surprenant quand on sait que, d’après une étude menée dans les années 1960, les Français sont les champions du "tripotage". 

"Le psychologue Sidney Jourard a étudié les conversations d’amis dans différentes parties du monde alors qu’ils étaient assis ensemble dans un café. Il a observé ces conversations pendant la même durée dans chacun des différents pays. En Angleterre, les deux amis ne se sont touché aucune fois. Aux États-Unis, dans des élans d'enthousiasme, nous nous sommes touchés à deux reprises. Mais en France, ce chiffre a grimpé jusqu'à 110 fois par heure", résumait le chercheur en psychologie Dacher Keltner pour le Greater Good Magazine en 2010. 

Quand l'intime est envahit, le corps réagit à l'intrusion

Hugues, 26 ans, nuance d'entrée. "C’est aussi une question de feeling, mais si je ne connais pas la personne et qu'elle me touche le bras ou l’épaule en parlant, je vais continuer la conversation, mais ça va se jouer au niveau du regard. En mode 'me touche pas trop quand même'". 

Anne-Sophie Chéron, psychologue, rappelle que ces réactions peu chaleureuses sont normales. "C'est un contact avec le corps, qui n'est souvent pas annoncé, comme la bise qui est devenue automatique. Sauf que nous n'en avons pas tous envie. Il y a un rapport à l'intime dans ces gestes et ils peuvent être vécus comme une réelle intrusion". 

"Mais je ne vais jamais dire à quelqu’un 'tu ne me touches pas', sauf si c’est quelqu’un que je déteste ou que la personne me touche à plusieurs reprises. Je vais juste être mal à l'aise et être dans l'hypervigilance", complète de son côté Hugues. 

Une préférence qui peut prendre racine en enfance

D'après une étude publiée en 2012 dans la revue Comprehensive Psychology"notre tendance à favoriser les contacts physiques (que ce soit une étreinte, une tape dans le dos...) résulte souvent de nos expériences vécues dans la petite enfance". 

"Le toucher est un signe de soutien, il y a presque toujours quelque chose de parental, d'encourageant. Comme quand on soutient un bébé qui apprend à marcher, cela traduit une attention", acquiesce Anne-Sophie Chéron. 

"Nos observations ont révélé que les personnes élevées par des parents qui les prenaient souvent dans leurs bras avaient plus de chances de le faire à l'âge adulte", informent les recherches qui concluent même que "les câlins sont un élément important de l'éducation émotionnelle d'un enfant".

Toutefois, ces découvertes ne s'appliquent pas à tous les cas - comme moi par exemple, qui n'ai jamais manqué de câlins et autres marques d'affection - "certains enfants grandissent et se sentent 'affamés' de toucher et deviennent des 'câlineurs sociaux' qui ne peuvent pas accueillir un ami sans l'étreindre ou lui toucher l'épaule", confirme la chercheuse Suzanne Degges-White pour le Times

Et à notre psychologue d'appuyer : "ça dépend beaucoup de comment le côté tactile a été vécu dans l’enfance, si c'était quelque chose qui encourageait, ou si c'était lié à de la violence". 

Hypersensibilité, anxiété et cadres : ces choses qui font qu'on n'est pas "tactile"

Derrière une personne "pas tactile" peut aussi se cacher une hypersensibilité (notamment sensorielle, mais pas que). "La question de la non-autorisation va beaucoup les déranger", appuie la spécialiste.

Pour le Times, Suzanne Degges-White ajoute qu'en "général, les personnes qui souffrent d'anxiété sociale peuvent hésiter à faire des démonstrations d'affection physiques envers les autres, y compris des amis".

Également, suivant le cadre, nous sommes plus ou moins tactiles. "Quand il y a un mélange des registres, par exemple au travail, c’est discordant de toucher son collègue de travail où on est nos fonctions et pas dans l'émotionnel", illustre la thérapeute. 

Après un traumatisme, l'hypervigilance comme protection

Enfin, après un traumatisme, le rapport au toucher se retrouve aussi fortement brouillé. Perrine* a été agressée sexuellement par un membre de sa famille à l'adolescence. Depuis "le moindre frôlement crée en moi une réaction de protection, avec des gestes un peu brusques parfois, même avec des proches", confie la vingtenaire. 

"Les traumas types agression sexuelle ou violences physiques vont générer une hyper-vigilance à l’intrusion. Souvent parce que le corps s’en veut car qu’il n’a pas 'réagi' sur le moment. Alors, il met en place une 'sur-protection' qui est rapidement déclenchée par un comportement extérieur. C'est la peur de l'intrusion en général", explicite Anne-Sophie Chéron. 

Et si ne pas être "tactile" ne nécessite pas d'accompagnement particulier, tout simplement parce que c'est quelque chose de normal et propre à chacun, quand il s'agit d'une réaction à un traumatisme, il est primordial de se faire aider, notamment pour se détacher de cette culpabilité qui crée une cascade de réflexes protecteurs.  

Quoiqu'il arrive, la psychologue rappelle qu'avant de toucher une personne, de pénétrer dans son intime, "il faut toujours s'annoncer ou demander son accord. C'est très important, on ne sait pas ce que les gens ont vécu et c'est un pan du consentement qu'il ne faut pas négliger", termine-t-elle.