Mon amie Yseult* est hôtesse d’accueil, pour une grosse entreprise au centre de Paris. L'autre jour, je suis allée la chercher à son travail. Je l'ai vue de l’autre côté de la baie vitrée, masquée, à prendre la température des rares clients qui traversent le hall. Elle était tout sourire, attentionnée, patiente et tirée à quatre épingles, ce qui n'est pas tout à fait dans ses habitudes. 

Comme elle, nombreuses sont les hôtesses d'accueil qui ont subi la crise actuelle de plein fouet : bureaux désertés, employés désorientés, mesures ubuesques. Mises en chômage partiel pendant le premier confinement, puis rappelées sur leur site dès la fin de ce dernier - pas de télétravail pour elles - elles ont rapidement dû s’adapter aux nouvelles mesures en vigueur. Ce qui n’a pas simplifié leur rôle, loin de là. 

Ces postes d'accueil sont occupés en grande majorité par des femmes : si les données statistiques manquent sur le sujet, il suffit de jeter un coup d'œil aux sites web des agences d'évènementiel et d'accueil où les femmes occupent toute la place. "Il s’agit donc d’un "petit boulot" dédié aux jeunes, présentant la particularité d’être presque exclusivement destiné aux femmes", écrivait Gabrielle Schütz, docteure ès sociologie, dans une enquête sur le sujet en 2006. 

Et la crise sanitaire et économique n'a fait qu'amplifier les problèmes liés à ce secteur très féminisé.

Dès la sortie du premier confinement, la grande incohérence de leur statut a émergé : à la fois essentielles au bon fonctionnement de toute entreprise (ou immeuble), elles demeurent piégées dans une image de femme charmante et serviable.

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Les hôtesses d'accueil, salariées en première ligne oubliées de la pandémie

“Les hôtesses d’accueil se sont effectivement retrouvées en première ligne durant la pandémie. Comme les caissières ou les livreurs, c’est souvent le petit personnel qui prend le plus”, explique Gabrielle Schütz, qui a donc enquêté sur le métier d'hôtesses pendant plusieurs années. “D’autant plus que ces métiers sont caractérisés par une présence physique qui empêche le télétravail, continue l'autrice de Jeunes, jolies et sous-traitées** (Ed. La Dispute).

Et les mesures prises ? Parfois en manque de gel, de masques ou d’instructions claires de la part de leur agence, les hôtesses se sont retrouvées démunies. “Mon agence ne m’a rien donné, me confie Prune, hôtesse d’accueil au quatrième étage d’un immeuble du VIIIe arrondissement. L’entreprise pour laquelle je travaille [un groupe coopératif français de produits alimentaires] a dû nous fournir des vitres elle-même.” 

“Au moment du second confinement, j’ai tout de suite été prévenue par mon entreprise qui m’annonçait qu’ils fermaient et que je serai donc en chômage partiel, poursuit Prune. Par contre, ce n’est que bien plus tard que l’agence m’a envoyé un message, en me ‘sommant’ de ne pas quitter Paris mais de rester disponible au cas où pour d'autres sites. Mais j’ai signé un contrat avec cette boîte, je ne suis pas une hôtesse volante, moi !”.

Entre la vamp’ et la boniche, trouver sa place dans le métier

Le gros problème, c’est que le statut même de l’hôtesse la rend considérablement vulnérable. Sa parole - et celle de ses consoeurs - n’a pas de poids dans la mesure où sa place au sein d’une structure ne dépend que de sa capacité à accepter les aléas de son métier et la stabilité de son job ne tient qu’à la largeur de son sourire. Comme dirait Joey dans Friends : “When the package is pretty, no one cares what’s inside !”, (quand l’emballage est beau, personne ne se soucie de ce qui se trouve à l’intérieur). 

Car si les hôtesses ont été rappelées si vite à leur poste, c’est avant tout à cause de cette “notion de décorum liée à la symbolique de la maîtresse de maison”, affirme Gabrielle Schütz. Sans compter que malgré le port du masque, les règles concernant le maquillage impeccable n'ont pas évolué, mise à part le port du rouge à lèvre devenu facultatif. Lorsque tout va mal, on sauve quand même les apparences. 

On attend de l’hôtesse d’être séductrice mais aussi de savoir materner les salariés et de se rendre disponible

Selon l’analyse de Gabrielle Schütz, “les hôtesses relèvent de deux figures : la vamp (potiche, décorative, avec un langage et comportement codifié) et la maîtresse de maison. Elles font partie de la politique marketing de l’entreprise. On attend de l’hôtesse d’être séductrice mais aussi de savoir materner les salariés et de se rendre disponible”, explique-t-elle. Ce “piège de l’éternel féminin”, tel que le définit notre spécialiste, existe depuis des décennies et n’évolue pas vraiment, même en temps de pandémie mondiale. Toutes ou presque ont une anecdote concernant un fait de drague. Léa, hôtesse pour une grande compagnie, confirme : “Même les livreurs se sentent obligés de nous draguer, comme s'ils ne pouvaient pas s’en empêcher.” 

Et, contrairement à ce que l’on pourrait penser, pas uniquement de la part des hommes. Rachel, qui travaille à l'accueil d'un groupe de luxe, se souvient qu'une femme du service sécurité qui avait flashé sur elle. "Je lui ai dit que je n’étais pas intéressée. Mais pendant des semaines, elle m’a appelée hors de mes horaires de travail, elle me bloquait le chemin lorsque j’arrivais ou elle venait pleurer à l’accueil. La dernière fois, elle est même rentrée dans les vestiaires pendant que je me changeais.” 

Des femmes multitâches et une charge mentale alourdie avec la Covid

A leur rôle décoratif à la Mad Men s'ajoutent des tâches qui ne relèvent pas de leur rôle usuel. Parce qu’il semble naturel qu’une femme soit douce, serviable, aimable, attentionnée… “Le seul avantage des mesures anti-Covid, sourit Prune, c’est que je n’ai plus à servir les cafés en réunion.” Et le reste ? “J’envoie des colis, des mails, je gère les réunions, en plus de mon travail de réceptionniste. L’assistante du directeur, même en télétravail, me refile son boulot, c’est-à-dire organiser le planning du patron”. 

De son côté, Rachel doit "donner des cadeaux à des panélistes, qui les testent". "Maintenant, c’est nous qui sommes chargées de tout désinfecter, de préparer la salle, de s’occuper des stocks, etc. Et à côté de ça, on n’a pas le droit de rester seules avec les cadeaux, un type nous accompagne, parce que s’il manque quelque chose, c’est plus simple d’accuser une hôtesse qu’une personne en interne", nous raconte-t-elle. 

D’un côté donc, on considère que l’hôtesse est incompétente puisqu'elles sont vues “comme de jeunes écervelées dont on pourrait se passer”, commente Gabrielle Schütz, et de l’autre, elle sont chargées de faire le travail qui “dépanne” et la responsabilité pèse sur leurs épaules dès qu’il y a une crise diplomatique. 

Et la pandémie n'a fait qu'ajouter de nouvelles tâches sur leur fiche de poste. En plus d'être des femmes à tout faire, certaines sont devenues responsables sanitaires : donner du gel, des masques, prendre la température. 

Sur la sellette entre le client et l’agence

Ces différents comportements, des abus sexistes à l'amoncellement de tâches, découlent du peu de reconnaissance que l’on accorde à ce métier. “Je défends l’idée que, pour faire un bon accueil, il faut un certain nombre de compétences, ajoute Gabrielle Schütz, et les hôtesses ne sont pas reconnues pour ces compétences en question, ce qui explique non seulement leur bas salaire mais aussi cette idée de sous-traitance. Les entreprises n’ont même pas connaissance du CV des hôtesses envoyées par les agences et le rôle de prestataire n’arrange rien.”

A cela s’ajoute la confusion dans le fait de se référer à deux hiérarchies : le prestataire et le client. Et souvent, l’un se cache derrière l’autre. Et lorsque le client n’est pas heureux, ce n’est pas l’hôtesse qu’il va voir, mais l’agence. C'est de cette manière que l’on a imposé à Léa ou Yseult un changement de site. Les deux pour des questions de “comportement inapproprié" (comprendre ici : bien s’entendre avec les personnes de l’entreprise). Rachel avait, quant à elle, quitté sa dernière agence après un burn out

Évidemment, il existe des agences et des entreprises où tout se passe pour le mieux. Certaines hôtesses, qui ont décidé d'exercer ce métier sur le long terme, tentent de trouver le poste idéal, mais la quête est longue et difficile. Pour la plupart d'entre elles, la situation reste extrêmement difficile, entre regards dégradants, charge de travail toujours plus importante et salaires précaires.

Sans compter que depuis plusieurs mois, elles ont aussi la santé des salariés entre leurs mains manucurées. 

Ne serait-il pas temps de protéger ces jeunes femmes et leur statut, pour que leurs sourires ne soient plus une façade ? Question rhétorique. 

*Les prénoms ont été modifiés

**Jeunes, jolies et sous-traitées, les hôtesses d’accueil, édition La Dispute, 244 pages, 22 €