On entretient une voiture, un appareil électroménager, son jardin, une piscine… Mais désormais, on peut ajouter "sa partenaire" à cette liste non-exhaustive.  

C’est en tout cas ce qu’implique l’utilisation du terme anglophone "high maintenance" - "qui nécessite beaucoup d’entretien", en français - pullulant sur les réseaux sociaux et autres applications de rencontre. 

"High maintenance = red flag", "les meufs high maintenance, swipez à gauche".... Deux mots qui englobent un énième carcan sexiste qui exige de nous de "ne pas trop en demander"Un concept qui s'inscrit dans la lignée de l'idée qu'il ne faut pas trop prendre de place dans la société - et donc dans la vie de la personne qui partage la nôtre.

Mais au-delà de nous enfermer dans un schéma d'infériorité sans fin, cette tendance - qui semble relativement anodine de prime abord - pèse lourd sur les épaules des femmes et sur la qualité de leurs relations amoureuses, cantonnée aux fonds de tiroirs. 

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L'histoire de celle qui en demandait trop 

"Nos manières de relationner sont le reflet direct de la société. Et dans la société, les hommes ont toujours eu le droit d’avoir des standards et d’en demander beaucoup, ce n'est pas quelque chose pour lequel on va inventer un terme. Alors, on va juste dire que ce sont les femmes qui en demandent trop", confirme d'entrée Amal Tahir, coach en neurosciences spécialisée en relations amoureuses et en sexualité positive et autrice de différents ouvrages, dont Aimer Sainement (Ed. Leduc). 

Preuve en est - s'il en fallait vraiment une -, il existe un proverbe espagnol qui transcrit cette idée : "Calladita te ves más bonita", que l'on peut traduire par un charmant "plus tu es silencieuse et plus tu es belle". 

Dans les fictions aussi, cette image de la femme "high maintenance" est négativement représentée, et ce, dès les premiers dessins animés visionnés par les petites filles.

"Cendrillon n'a pas besoin de grand-chose pour être heureuse. Mais si nous regardons les demi-sœurs, nous voyons qu'elles sont laides, méchantes et ‘exigeantes’ parce qu'elles aiment les belles choses, ont besoin de beaucoup pour être heureuses, sont jalouses et finissent par se retrouver malheureuses, parce que le prince ne les aime pas", pointe du doigt un billet paru sur Medium en 2019.

Une objectivation assumée des femmes 

Alors, afin de s'assurer si sa potentielle cible n'est pas "high maintenance", c'est presque un contrôle technique qui s'organise : est-ce qu’elle a des kilomètres au compteur ? Est-ce qu’elle va demander beaucoup d’entretien, de temps et d'argent ?

"Les hommes vont utiliser ce terme avec une connotation négative, même si ce n'est pas forcément formuler à l'anglaise. En effet, pour eux, ça va vouloir dire que c’est une femme qui en demande beaucoup, qui nécessite du temps et de l’argent. C’est similaire au terme vulgaire de 'michto' ou gold digger", appuie Amal Tahir.

Pour Mélanie Frison, love coach et experte de la dépendance affective et de la confiance en soi, c’est un terme que l’on voit de plus en plus vivoter sur les réseaux sociaux - rien que sur TikTok, le hashtag #highmaintenance comptabilise plus de 367.6 millions de vues. 

"Notamment en réaction des comptes labellisés 'femme fatale' ou 'princess treatment' qui nourrissent cette connotation négative, car poussée à l’excès. Mais on remarque clairement une objectivation dans le côté 'si ça me prend trop de temps, ce n'est pas rentable'", observe celle qui partage ses conseils sur Instagram

Sauf que dans la vraie vie, la connotation négative accollée aux "standards" que nous exigeons est un réel frein pour notre épanouissement personnel et amoureux

"Généralement, ce sont des hommes qui sont dans une relation pour prendre et non pas pour donner, pour profiter et non pas pour construire. Mais ils remettent la faute sur nous, car ils ne peuvent pas s'engager avec quelqu'un qui 'demande trop', c'est une porte de sortie toute trouvée", poursuit Mélanie Frison. 

Les nombreuses attentes normalisées des hommes

D'autant que comme le soulignait Amal Tahir quelques lignes plus haut, si l'étiquette du "high maintenance" doit vraiment être collée sur quelqu'un, c'est sur les hommes. Seulement, la normalisation de leurs standards les protège. 

"La plupart d'entre eux ont beaucoup d’attentes et on semble l’oublier. Ils veulent une femme jolie, intelligente, indépendante, qui sait cuisiner et dans les codes de la société (le ventre plat, les grosses fesses, les petits bras, les seins moyens qui ne tombent pas) pour pouvoir se vanter auprès de leurs amis et renforcer cette appartenance de groupe qui est très importante du côté masculin", décrypte-t-elle. 

Sauf que, voilà quelques années, le travail de déconstruction a débuté et "les femmes savent qu'elles peuvent et veulent faire leurs propres choix et être bien traitée dans une relation".

Le minimum syndical, donc, mais que nous avons encore bien du mal à obtenir. 

Mais finalement, c'est quoi être "high maintenance" ? 

Cerise sur le gâteau, ce terme sur-utilisé est interprété différemment selon les personnes : certains vont y voir une cousine de la "michto", d'autres une femme qui voudra passer tout son temps avec vous ou encore une partenaire qui contrôlera tous vos faits et gestes dans le but de ne vous garder que pour elle. 

"Il y a une clairement confusion sur le terme et ça n'aide pas, parce qu'on reproche encore plus de choses aux femmes. Finalement, ces mots veulent tout et rien dire à la fois", commente la love coach. 

De son côté, Amal Tahir tient à souligner qu'on est loin du trait toxique ici. "C’est tout simplement le fait de connaître sa valeur, d’être consciente des problèmes sociétaux et des inégalités relationnelles (inégalités financières, charge sexuelle...)", argue la sexologue. 

Sauf que cette réalité n'est pas appréciée par la société patriarcale, puisqu'elle devient désavantageuse pour les hommes. 

Un terme fort qui abîme la confiance en soi

Résultat : à force de se voir reprocher qu'on en demande trop, notre santé mentale et notre confiance en soi en pâtit. En consultations, Amal Tahir "entend clairement cette peur d’avoir des standards trop hauts, qui dit aux femmes qu’elles ne trouveront jamais si elles ne changent pas".

À 25 ans, Clara* se souvient encore du jour où son ex lui a fait connaître le terme, il y a plus de deux ans. "Je ne connaissais pas du tout ce 'high maintenance' jusqu'au jour où il m’a tendu son téléphone et m’a dit : 'tu connais ce terme ? Parce que je trouve que ça te définit bien'. C'est quelqu'un qui est beaucoup sur les réseaux, il baignait dans cette atmosphère". 

Pourtant, la jeune femme ne demande pas "grand chose". Difficile d'arguer le contraire quand on sait que Clara voyait son petit-ami une fois par semaine (alors qu'elle habitait à Paris et lui à Montreuil (93), soit quelques stations de métro à parcourir) et réclamait le strict minimum. 

"C'était des choses normales. Qu'on se voit plus que les samedis, qu'il ait des petites attentions comme moi j'en avais pour lui...", se remémore la jeune journaliste. Pourtant, elle se remet en question après avoir reçu le commentaire.

"Aujourd'hui encore je me pose la question. Est-ce que je demande vraiment beaucoup ?", avoue-t-elle.  

Mon partenaire trouve que j'en demande trop, comment réagir ? 

Si Clara a finalement décidé de mettre un terme à cette relation, Mélanie Frison appuie qu'il est toujours important d'en parler avec son partenaire pour "poser des bases communes et se demander ce qu'on accepte ou pas de la part de l'autre". 

Parce que la love coach est formelle, ces remarques qui paraissent presque anodines peuvent profondément marquer une personne. "Cela peut mettre un vrai coup à la confiance que l'on a en soi et évidemment, nous inviter à 'viser plus bas'", appuie-t-elle. 

Si votre amoureux vous reproche de demander trop d'attention et / ou d'efforts, essayez de mettre de la distance entre vous-même et la relation. Il se peut que vous ayez un style d'attachement anxieux ou une peur de l'abandon, qui doivent être adressés, mais c'est surtout normal pour un couple de faire des choses ensemble. Donc "peut-être que votre partenaire n'est pas celui qu'il vous faut aussi", souligne Mélanie Frison.

Car, comme le rappelle Amal Tahir, "là où on en veut aux femmes c’est d’avoir des standards tout simplement, parce qu’on est censée prendre ce qu’il y a et ne même pas avoir de goûts". Dans ce cas-là, mieux vaut pour ceux qui recherchent une partenaire dans cet état d'esprit, qu'ils se contentent finalement d'entretenir leur voiture ou autre possession. 

* Le prénom a été changé