"Les valises trônent au milieu du salon depuis plusieurs jours, comme un projet en cours, un rappel nous prémunissant d'un éventuel oubli. En passant, on y dépose ce qu'on juge être nos indispensables. Il faut parfois trancher, faire face à d'impossibles dilemmes, choisir une paire de tongs plutôt qu'une veste, renoncer à quelques 'au cas où' et faire cohabiter toutes nos identités estivales.

On hésite. On en rajoute alors même qu'on ne parvient pas à la fermer. Certains y tassent les vêtements en vrac, tandis que d'autres plient leurs affaires par catégorie. Les livres en attente de lecture flirtent avec les crèmes solaires et les envies d'aventures. Les mères de famille sacrifient de l'espace pour y glisser une peluche, tandis que les sportifs se demandent comment faire entrer plusieurs paires de baskets.

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Mais quel que soit le contenu, faire sa valise n'a rien d'un geste anodin. C'est une espérance, un dialogue avec l'avenir, un tête-à-tête avec nos projections, notre lâcher-prise ou notre anxiété. Car la valise nous ramène à une étrange question, l'incontournable énigme de l'été pour celles et ceux qui ont la chance d'en profiter : pourquoi partir ?

Voyager ? Mais pour quoi faire ? 

Car au fond, pourquoi voyage-t-on ? Pourquoi à tel endroit plutôt qu'ailleurs ? Est-il éthique d'aller poser ses valises quelque part ? Que va-t-on chercher ? Pourquoi le lieu où l'on vit ne nous suffit-il plus ? Et à l'inverse, pourquoi revenir chez soi et ne pas rester dans ce lieu qui nous a tant fait rêver ?

Les réponses sont multiples mais une chose est certaine, faire ses valises et s'interroger sur le voyage, c'est déjà philosopher. Les raisons d'un départ, la destination, le style de voyage choisi, ce qu'on en retient ou ce qu'on en rapporte, tout cela nous implique et impose un processus de réflexion, sociologique certes, mais aussi philosophique, car cela engage à la fois notre pensée et notre manière de vivre.

Le voyage comme point de départ

Le point de départ est un constat : il y a le monde et il y a un chez-soi. Pour faire face à ces deux espaces distincts, nous développons des comportements. Certains ont une frénésie de voyages, d'autres font preuve d'une ultra-sédentarité, d'autres encore oscillent entre les deux au gré des finances, des âges et de la santé parfois.

Dans le voyage donc, rien n'est figé. Bien sûr, on peut voyager simplement pour cocher des listes de choses à voir, pour occuper le temps ou pour recréer sa maison en étant ailleurs. Cependant, en dehors de ces cas, bien souvent, nous ne voyageons pas seulement pour voir du paysage mais pour observer ce qui se passe en nous lorsqu'on sort, lorsqu'on part, lorsqu'on pose notre regard sur ce qu'on ne connaît pas.

Pour cette expérience, inutile d'aller chercher le lointain, le voyage est là, juste derrière notre porte, dans la façon dont nous allons contempler le familier. Et l'heureuse nouvelle, c'est que nous n'avons pas besoin de valise pour être les voyageurs de notre quotidien.

'En route, le mieux c'est de se perdre. Lorsqu'on s'égare, les projets font place aux surprises et c'est alors, mais alors seulement que le voyage commence' – L'Usage du monde, Nicolas Bouvier(2) . Profitons de l'été pour vivre nos odyssées".

1. Dernier ouvrage paru : Une année de philosophie, éd. Flammarion. 2. Éd. La Découverte.

Chronique publiée dans le magazine Marie Claire n°850, juillet 2023.