Avec plus de 5,6 millions de followers au compteur, Violette Benson ne pensait pas un jour devenir la superstar des internets qu’elle est aujourd’hui.

"J’ai juste commencé par poster des choses sur ce que je vivais au quotidien", explique sur son site l’experte en mêmes humoristiques. Son compte ? Daddy Issues, un terme qu’elle utilise de façon satirique pour mieux normaliser les problèmes de santé mentale et la manière dont ils venaient bouleverser ses relations amoureuses.

"Je voulais mettre en lumière toutes ses mauvaises expériences que nous sommes nombreuses à subir, comme la dépression, l’anxiété, partir en vrille à cause de son mec, traverser une rupture… ou coucher avec un parfait inconnu !"

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Une manière d’aller à contre-courant de ce terme issu de la pop culture américaine, moins utilisé pour décrire des comportements paternels émotionnellement néfastes pour leur progéniture que pour stigmatiser des jeunes femmes, souvent hétérosexuelles, dont les problématiques amoureuses s’expliqueraient purement et simplement par des relations pères-filles conflictuelles.

Les daddy issues, un lien de causalité bancal véhiculé par la pop culture 

Besoin constant de validation et de réassurance faute d’avoir grandi sous le regard d’un père bienveillant, tendance à préférer les hommes bien plus âgés, voire ceux ayant le même âge que leur patriarche, attrait pour les mauvais garçons et plus particulièrement ceux qui leur font du mal : tous ces schémas sentimentaux - quand ce n’est pas tout simplement la moindre blessure émotionnelle - découleraient d’un problème avec son géniteur.

Et la pop-culture ne manque pas d’exemples attestant de ce lien de causalité implicite entre père foireux et vie amoureuse calamiteuse. De Carrie Bradshaw - ex-orpheline de père dès l’âge de 5 ans qui passera une décennie à conquérir l’amour d’un homme toxique dans Sex & The City - à Shiv Roy - victime d’un père narcissique qui décide d’épouser un homme qu’elle n’aime absolument pas dans Succession, en passant par les jeunes filles aux vies amoureuses troublées d’Euphoria, les divertissements du petit et du grand écran ne cessent de nous biberonner à l’idée que le manque d’amour et d’affection paternel nous conduira au chaos sentimental et/ou coïtal.

Même dans sa brillantissime série I may destroy you, l’actrice et scénariste Michaela Cohen suggère que l’absence chronique de son père durant son jeune âge a contribué aux problèmes auxquels elle est confrontée émotionnellement à l’âge adulte.

Et s’il est vrai que la négligence émotionnelle de l’un ou des deux parents peut effectivement présenter des conséquences dommageables sur l’équilibre psychique d’un enfant, y compris à l’âge adulte, le concept de daddy issue tel qu’il est véhiculé aujourd’hui se révèle plutôt problématique, pour ne pas de dire complètement sexiste.

Une vision simpliste de la parentalité et de ses impacts

Et pour cause, si les daddy issues prennent effectivement leurs racines profondes dans les théories d’Oedipe et d’Electre, par lesquelles Sigmund Freud - grand manitou de la psychanalyse - suggéraient que des sentiments non résolus envers le parent de sexe opposé pourraient entraîner des problèmes émotionnels et relationnels plus tard dans la vie, ces dites théories ont depuis été largement reconsidérées, accusées de véhiculer une approche un brin trop simpliste de la psychologie humaine.

En effet, plus que l’influence d’un père émotionnellement handicapé, les difficultés rencontrées par une femme dans sa carrière amoureuse relèvent généralement de dynamiques psychologiques et interpersonnelles complexes, impliquant l’ensemble de son entourage et/ou de son expérience familiale.

Quid par exemple des jeunes filles qui auraient été élevées par un couple homosexuel.le ? Auront-elles doublement des daddy issues car elles ont eu deux pères ? Ou parce qu’au contraire aucune figure paternelle n’a été présente dans le cas de deux mères ? Des questions volontairement absurdes qui viennent attester du manque de fondements scientifiques et/ou intellectuels du concept tant usité.

Une stigmatisation sexiste des femmes et de leurs émotions 

D’ailleurs, si l’idée de Daddy Issue est si sexiste, c’est aussi en raison de l’absence d’alter-ego masculin. En effet, son versant - qui serait par définition le Mommy Issue - n’existe absolument pas chez les Anglo-saxons.

D’ailleurs il est très rare dans la pop culture de voir des hommes hétérosexuels aux problèmes d’estime de soi et/ou de relations amoureuses être renvoyés à leur relation avec leur mère…., ou à celle qu’ils entretiennent avec leur père. Au mieux, de difficiles liens paternels les plongent dans une quête de reconnaissance au niveau sportif et/ ou professionnel, mais n’entache jamais leur virilité.

Résultat ? En ciblant de manière disproportionnée les femmes, l’expression daddy issue contribue à renforcer les stéréotypes de genre, notamment ceux qui suggèrent que les femmes seraient par définition plus émotionnellement fragiles ou instables du fait des liens immuables qui les unissent avec leur pères.

Des drama queen en somme qu’il ne faudrait pas forcément prendre au sérieux quand elles font état d’expériences psychologiquement éprouvantes, légitimant ainsi toute forme d’abus émotionnel. “Ce n’est pas de ma faute si elle pleure ou si elle part en vrille, c’est encore ces histoires de daddy issues !”, aiment à prétendre certains tenants de la masculinité toxique et autre expert du dating chaotique, préférant plaider les “daddy issues” de leur compagne au lieu d’assumer, sans complaisance, les conséquences psychiques d’actes pas toujours glorieux, quand ils ne sont pas complètement toxiques.

Au lieu d'incriminer certaines femmes qui feraient peser leur daddy issues sur leur compagnon, peut-être faudrait-il opter pour une approche plus empathique, plus inclusive et plus compréhensive de leurs émotions afin d’envisager, des relations amoureuses hétérosexuelles équitables où la réalité de chacun prévaut que sur des préjugés stéréotypés.