Opportunité ou fatalité : la vieillesse est paradoxalement perçue dans nos sociétés. Alors qu'elle peut rimer avec possibilités et accomplissement, pour d’autres elle est synonyme de condamnation à mort.

Culture, génération, genre : nombreuses sont les variables qui vous feront penser que vous êtes plus ou moins “vieux”. Ainsi, passer le cap des 50 ans en tant que femme ne sera pas la même expérience qu’entrer dans la cinquantaine en tant qu’homme.

Mais ce rapport nébuleux aux “vieux” et plus généralement au “grand âge” n’est pas immuable. En effet, une étude, publiée en avril 2024 dans la revue Psychology and Aging, a révélé que la vieillesse commençait aujourd'hui plus tard qu’avant : “les personnes d’un certain âge qui étaient considérées comme âgées dans le passé peuvent ne plus être considérées comme âgées de nos jours", a déclaré l’auteur de l’étude, Markus Wettstein.

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Car alors que l’espérance de vie s’allonge et que l’âge de départ à la retraite recule en France, on pourrait croire que la vieillesse est devenue la normalité, que les “vieux” sont de plus en plus exposés dans la société et l’espace public. Mais ils restent encore marginalisés et invisibilisés. Les femmes, particulièrement sont victimes d’âgisme. La vieillesse est majoritairement perçue comme un moment de “déclin”.

Mais alors, à quel âge peut-on dire qu'on est… “vieux” ? 

Vieillesse : un regard subjectif, porté sur soi 

Miroir, miroir, dis-moi à quel âge je serai vieux ? Afin de répondre à la question existentielle du palier à partir duquel nous pouvons considérer l’autre - et soi-même - comme une personne "vieille", il faut commencer par séparer la perception que l’on a de soi et l’image que la société, et l’imaginaire collectif, nous donnent de la vieillesse.  

“Dans la perception du vieillissement, il faut prendre en compte deux éléments, D’abord, ma perception de la vieillesse, ce que je ressens, ce que je vis, ce que je vois quand je me regarde - les rides, les cheveux blancs, mon énergie. Puis il y a le regard que les autres ont, l’entourage, les médias, la société”, commence Melissa-Asli Petit, sociologue et dirigeante de Mixing Generation. 

Un sondage Ipsos, publié en mars 2019, avait révélé que les Français.es considéraient qu’être “vieux” commençait à l'âge de 69 ans, contre 66 ans pour la moyenne mondiale. Une construction sociale de la vieillesse qui diffère selon les pays : le continent asiatique associe la vieillesse à la deuxième moitié de la cinquantaine, selon Ipsos. 

“Une vieille étude avait montré qu’autour de 65 ans, on se percevait comme vieux à bien plus de 70 ans. Pourtant, le sondage d'Ipsos dit que les Français pensent qu’on est vieux à 69 ans. C’est comme lorsqu’on atteint l’âge que nos parents avaient quand on est né, où n’importe quelle borne d'âge de vie. On s’était dit à l'époque qu'ils étaient vraiment vieux. Mais quand on le vit, ça re-stabilise. L’expérience permet la justesse. Quand on arrive dans la situation, on repousse l’âge de vieillesse, car on y est”, continue la sociologue. 

Âge réel, âge social et âge biologique 

Mais se sentir "vieux" ou "vieille" va tout autant dépendre de la façon dont la société a façonné, et façonne encore aujourd’hui, notre vision des personnes âgé.es. “Le regard porté sur soi par les autres est extrêmement important : questionnés sur ‘les événements de la vie qui les font se sentir vieux’, les seniors accordent une note d’importance de 6,2 /10 à l’attitude des autres”, relate un article de l'association Petits Frères des Pauvres. 

Toujours selon l’organisme, il y aurait trois notions d’âge : “l’âge réel (celui de l’état civil), l’âge social (celui qu’on nous donne) et l’âge ressenti (celui qu’on a l’impression d’avoir)”.

Dans un article dédié à ce sujet, des chercheur.euses définissent ces différences : l’âge civil est la “notion de temps écoulé entre la naissance et le phénomène étudié”, “l’âge social est le reflet de la place qu'occupe, à un moment donné, un individu au sein de la société à laquelle il appartient” et l’âge biologique correspond à l'état de santé du corps, "très variable” selon les individus. 

Une distinction entre l'âge social et l'âge réel que confirment la discrimination et l'invisibilisation des "vieux" : "que ce soit les jeunes retraités ou les retraités plus âgés, on ne les voit pas assez dans les espaces publics, on les met dans une tranche globale. De fait, les imaginaires ont du mal à se construire car ils ne sont pas assez visibles”, reprend la sociologue Melissa-Asli Petit.

On peut ainsi citer les femmes d'un certain âge, perçues comme “vieilles” plus tôt que leurs homologues masculins et plus durement traitées dans la société. Les chiffres de l'AAFA l'avaient d'ailleurs démontré : sur l’ensemble des films français parus en 2015, seuls 8% des rôles étaient attribués à des comédiennes de plus de 50 ans. En 2016, c’est encore moins : 6 %, peut-on lire. 

Une véritable peur de vieillir 

Mais pourquoi la société a du mal avec ses ainé.es ? L’étude d’IPSOS de 2019 avait fait la lumière sur cette réalité encore tabou : plus de 4 Français.es sur 5 étaient pessimistes à l’idée de vieillir. En effet, la France “se classe parmi les plus pessimistes au monde à l’idée de prendre de l’âge : 78% des Français redoutent leur passage à la séniorité”, précise l’étude. 

Alors que la vieillesse fait partie du cheminement naturel de chaque vie, elle est encore aujourd'hui accolée à l'idée de décadence.

“L’une des principales raisons qui motive cette peur de la vieillesse, c’est la dégradation de la santé. Seul un Français sur cinq pense ainsi qu’il sera en bonne santé lorsqu’il sera âgé. Perte d’autonomie, perte de mobilité et perte de mémoire sont les trois éléments associés à la vieillesse qui inquiètent le plus les Français”, révèle toujours Petits Frères des Pauvres

Une peur de vieillir qui se retrouve dans l'utilisation péjorative du vocabulaire qui lui est associé :  "aujourd’hui le ‘vieux’ n’est pas le contraire de neuf mais l’opposé de jeune”, relate la sociologue. 

"Une perception plus tardive de l'âge de la vieillesse"

Toutefois, au fil des générations, l’âge perçu de la vieillesse a évolué, comme l’a montrée l’étude publiée en avril 2024. “Par rapport aux cohortes nées le plus tôt, les cohortes nées le plus tard ont déclaré une perception plus tardive de l'âge de la vieillesse”, écrivent les chercheur.euses de l’Université de Stanford (Etats-Unis). 

Mais comment l’expliquer ? “Il n’est pas clair dans quelle mesure retarder la vieillesse reflète une tendance vers des opinions plus positives sur les personnes âgées et le vieillissement, ou plutôt le contraire - peut-être que le début de la vieillesse est reporté parce que les gens considèrent qu’être vieux est un état indésirable”, relate l’auteur Markus Wettstein. 

Pour la sociologue, l’explication est médicale : “cela est lié aux conditions de vie qui se sont largement améliorées ces cinquante dernières années, même si on prend en compte toutes les questions environnementales ou encore d’alimentation. L'accompagnement médical et la qualité globale de la vie humaine se sont améliorés", détaille-t-elle.   

Mais aussi car, malgré leur exclusion de la sphère sociale, les “vieux” sont plus exposé.es et légitimés qu’avant.

“Le rapport sur les femmes de plus de 50 ans à l’écran, les médias comme Mesdames, on voit une prise de parole des quinquagénaire, des femmes ménopausées. Tout ce mouvement fait qu’on a une plus grande visibilité de ces personnes et donc une plus grande réalité que ce que c’est d’avoir 50, 60 ans. On prend conscience que ce n’est pas à ces âges-là qu’on devient vieux”, continue Melissa-Asli Petit. 

Comment changer le regard sur les "vieux" ?

Ainsi, que répondre à la question : à quel âge est-on vieux ? 

“Âge civil, âge biologique, âge social, nous avons tous plusieurs âges qui expriment tout à la fois une mesure du temps écoulé entre la naissance et le moment observé, notre singularité face aux phénomènes biologiques de croissance et de sénescence, et notre insertion dans les temporalités collectives que définissent les catégories d'âge social”, concluent des chercheur.euses.

Chacun.e aura sa définition et sa vision de la vieillesse, façonnée par son vécu, son éducation, son entourage, la culture et la société dans laquelle il vit. “Être vieux c’est avoir vécu un certain moment de vie et c’est comme lorsqu'on est jeune, à 15 ans. C’est simplement une évidence de vie”, reprend la sociologue. 

Une expérience quasi universelle qui doit être pensée plus positivement. Car après tout, "la vieillesse, c’est ce qui arrive aux gens qui deviennent vieux", écrivait Simone de Beauvoir. 

“Chacun de nous est en train de vivre l’expérience du vieillissement sans pour autant être vieux. Il y a des situations de vie qu’on ne vivra jamais. Mais la situation que je suis presque certaine de vivre est la vieillesse. Cela doit donc nous faire réfléchir sur le regard que l’on porte sur eux, car un jour aussi nous serons vieux”, conclut la sociologue.