Dans les pages people des magazines, l'amour n'a pas d'âge. La volupté non plus. Et dans la vraie vie ? Pareil. L'attraction est totale, envoûtante, pour les amoureux que nous avons rencontrés. Ils ont trouvé l'amour­ le vrai, celui qui ne fait pas pschit en trois ans­ avec une femme ayant quinze ou vingt ans de plus qu'eux. La différence d'âge, ils en ont fait un atout. Mieux : leur chance. Mais il y a plus... Il souffle un vent de liberté mutine chez ces amants-là. Une femme plus âgée serait-elle aphrodisiaque pour un amant plus jeune ? En tout cas, quand on leur soumet la question de cette cruelle injustice qui voudrait qu'avec le temps les hommes se patinent et les femmes se fanent, ils laissent poindre de l'agacement. Parce que leur amoureuse est belle et désirable aux yeux de leur amour. Et au-delà du temps.

Grâce à sa maturité, on est libre ensemble

Bastien, 37 ans, en couple depuis cinq ans avec Stella, 51 ans (14 ans d'écart) 

"J'ai immédiatement su que j'allais être fou d'elle. J'avais 32 ans, et Stella 46. C'était lors d'une soirée. La façon dont elle a plongé son regard dans le mien, longuement, en esquissant un sourire juste avant de s'éloigner, m'a donné le sentiment d'être regardé pour la première fois comme un homme par une femme. Pourtant, je vivais alors avec une fille de mon âge... Ses yeux contenaient une promesse, ce n'était pas une posture qui tournait à vide. Les jeunes femmes ont peur de leur sexe-appeal, elles ne jouent pas la stratégie de la séduction. Stella sait qu'elle est belle, et elle assume le désir qu'elle fait naître.

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Elle a une manière d'être dans sa féminité qui valorise un homme. Elle prend les devants, elle me fait sentir qu'elle a du désir pour moi sans attendre que tout vienne de moi. Et en même temps, bien que je sente que je peux tout obtenir d'elle, je sais qu'elle peut tout reprendre, que rien n'est acquis. A moi de savoir la garder. Tout en elle me plaît : sa singularité, ce qu'elle dégage. Elle donne envie. Pas seulement d'elle ! D'avoir de l'appétit pour tout, de positiver, elle tire les projets vers le haut. Elle ne fait pas que rêver sa vie, elle la vit. Elle sait qui elle est, ce qu'elle veut, elle n'est pas dans la fusion possessive, sa vie ne s'arrête pas lorsque je suis absent, elle a son existence remplie à elle, et ce qu'on ne fait pas ensemble n'est pas assimilé à du manque d'amour. On n'a pas de rapports de force éprouvants en vue de tester l'attachement de l'autre. On est libre ensemble. Elle me laisse respirer. L'aimer c'est comme porter du sur-mesure.

Avant j'étais dans un costume étriqué, avec la cravate nouée haut serrée. En la rencontrant, j'ai commencé à vivre pour de bon, et je me suis trouvé. Un rôle d'initiatrice ? Au secours, non ! Ça me couperait tout. (Rires.) Et j'avais vécu. Elle a été comme un révélateur photographique, toute ma personnalité a pu s'exprimer. Ainsi j'ai pris conscience que je ne me sens pas prêt à être père".

On est le yin et le yang, on s'équilibre

Erwan, 28 ans, en couple depuis deux ans et demi avec Alexia, 43 ans, parents d'une fille et en attente d'une deuxième (15 ans d'écart) 

"Pour moi, quinze ans de plus, ça voulait dire une « dame », pas une copine. C'était pas possible ! J'aurais eu l'impression d'être avec une de mes profs ou une amie de ma mère, et de passer un bilan de compétences au premier baiser. Lorsque j'ai rencontré Alexia, j'ai vu son âge sans le voir, et quand je l'ai su, j'étais déjà sévèrement mordu. Elle a été danseuse à l'opéra, je n'ai jamais connu une femme aussi magnifique. Lorsqu'elle danse... c'est positivement diabolique. Elle est si gracieuse, avec une classe d'enfer, que je parais plus vieux qu'elle !

Physiquement, je suis déjà un peu chauve, et moralement j'ai toujours été un vieux petit jeune (rires), avec des goûts casaniers. Je me sentais en décalage avec mes amis, je les suivais malgré tout en soirées électro ou pour des vacances « roots », afin de ne pas m'isoler socialement, mais bouquiner dans mon lit à 22 heures en écoutant du Gabriel Fauré me va très bien. Avec Alexia, on est naturellement tombé dans les bras l'un de l'autre, il y avait une évidence à être ensemble. Et pour toujours. Je me sentais prêt à construire avec elle. Son âge s'accorde avec mon tempérament, je me suis toujours vu au parc avec la poussette, au volant d'une Kangoo avec des sièges enfants à l'arrière. Mais au bout de cinq mois, Alexia a paniqué, et elle m'a quitté. J'ai souffert à mort.

Elle redoutait que je ne me lasse d'elle, qu'un jour les gens ne disent : « Regarde, on dirait sa mère », ou que je ne lui préfère « une plus jeune qui peut encore te donner des enfants ». C'était tellement évident, qu'elle allait être la mère de mes enfants, que je n'en avais pas parlé... J'ai mouillé le maillot pour la reconquérir et la convaincre d'arrêter la pilule afin de mettre aussitôt en route le premier. Qu'elle soit plus âgée nous a obligés à tout précipiter en six mois. Mais pourquoi attendre ? En amour il ne faut pas trop réfléchir. Sinon, à ne jamais prendre de risque, le temps finit par passer et on ne vit rien. Très vite elle a été enceinte, et les préjugés sont venus d'où je ne les attendais pas. J'ai été profondément déçu et meurtri de la réaction de mes parents : sans entendre notre amour, ils n'ont eu de cesse d'insinuer qu'elle avait « mis le grappin sur un jeune pour se faire faire un enfant », que j'allais « gâcher ma vie », que « huit ans de moins que ma mère, c'est anormal ». Qu'ils passent leur chemin ! Mes copains, eux, ont adopté Alexia. Ils respectent l'amour. Avec elle, j'ai foi en l'avenir. On est le yin et le yang, on s'équilibre.

Et comme Alexia a été « beaucoup » enceinte depuis qu'on se connaît (rires), vu qu'on a dû mettre en route la deuxième assez vite, j'ai découvert un érotisme que je souhaite à tous les gars... Heureusement que les copains sont là pour le baby-sitting". 

Pour le moment, on s'aime comme deux étudiants

Matteo, 46 ans, en couple depuis quatre ans avec Irina, 63 ans (17 ans d'écart) 

"C'est d'abord la gaieté d'Irina qui m'a séduit. Nous assistions à un dîner sinistre, et elle était la seule à rire au milieu des mines de croquemorts. Je venais alors de divorcer, et je me voyais déjà finir vieux garçon, car j'attirais les femmes-enfants, qui me font l'effet d'un préservatif mental. J'ai deux filles, et jouer le père protecteur avec une femme, non merci !

Quant aux femmes de ma génération, je n'en ai définitivement pas le mode d'emploi. (Rires.) Depuis qu'Irina est entrée dans mon existence, je vis avec un filtre en couleur : je ne me suis jamais ennuyé. Je fais même des infidélités à mon psy, c'est vous dire le bien qu'elle me fait. Ah non, stop ! Pas la maîtresse rassurante et maternelle. Ma mère est calabraise... Une « mama » me suffit. Irina est irrésistible parce qu'elle est imprévisible. Elle a, à la fois, la profondeur qui rend nos échanges palpitants et la légèreté primesautière des femmes qui ne sont plus dans la contrainte de ce que la société attend d'elles. Elle se réalise professionnellement, elle est indépendante matériellement, ses enfants sont élevés, et aujourd'hui elle est libre, disponible pour elle-même, ses envies et ses folies. Elle a dynamité les verrous inutiles. Au plan érotique, une femme qui se connaît aussi bien qu'elle, ça fait frémir.

Irina n'a pas peur de s'abandonner, c'est-à-dire qu'elle ne se regarde pas faire l'amour en se disant : « Que va-t-il penser de moi si je lui demande ça ou si je suis très expressive vocalement ? » Elle ne craint pas son image dans la jouissance, ni mon regard sur elle, elle a dépassé ces pudeurs, elle est spontanée, excitante, rafraîchissante. Oui, rafraîchissante ! On va sur des terrains que j'ai toujours aimés mais que mes partenaires de ma génération goûtaient peu. Un exemple : j'aime qu'elle se caresse pour moi durant les préliminaires... Eh bien, tellement c'était puissant, plusieurs fois je me suis retrouvé comme un gamin qui n'arrive pas à « se tenir » et qui « part » en dix minutes. J'ai dû apprendre à me ressaisir, moi le mec qui a toujours assuré. (Rires.) Oui, avec les années, le corps et la peau changent, mais Irina est très jolie, elle est loin d'être fanée.

Les femmes sont trop sévères avec elles-mêmes, nous, les hommes, sommes plus bienveillants, d'autant que je n'ai pas moi-même une plastique irréprochable... Un corps imparfait raconte une histoire, un vécu, des fragilités, ça me touche. Quand on sort ensemble, les autres hommes m'envient. Et je n'ai jamais perçu de jugement réprobateur à propos de nos âges. En revanche, ce qui serait difficile c'est la survenue d'un handicap cognitif ou physique. Voir s'abîmer l'esprit ou le corps que j'aime, je ne suis pas sûr d'être capable de le supporter. Pour le moment, on s'aime comme deux étudiants, et c'est précisément parce qu'on ne s'impose pas d'obligations quant au lendemain qu'il y en aura beaucoup d'autres entre nous."

Les femmes matures ne sont pas dans le jugement, c'est apaisant

L'avis du psy, Patrick Lemoine

Marie Claire : Ces hommes semblent éperdument amoureux, qu'est-ce qui les séduit si puissamment ?

Patrick Lemoine*: C'est très gratifiant, pour un homme, d'être avec une femme qui est splendide, intelligente et qui a de l'expérience. D'autre part, ces femmes-là sont souvent ancrées dans le présent. Leur devise est : « Carpe diem ». Or, pour beaucoup d'hommes, il est très angoissant, voire psychiquement insupportable, d'être avec une jeune femme qui se projette constamment dans le futur : « Dans dix ans, on aura une maison de campagne, des enfants, on va vieillir ensemble... » Aimer une femme plus âgée rassure ceux qui sont peu à l'aise avec l'engagement dans la durée. Et, au final, ils s'engagent. Par ailleurs, elles ne sont pas dans le jugement, et le fait de ne pas se sentir évalués apaise suffisamment ces hommes pour qu'ils soient ensuite stimulés dans leur amour.

MC : Et le cliché de la femme-mère ?

PL : C'est faux, la plupart du temps. Ceux qui ne sont attirés que par des femmes plus âgées peuvent connaître un problème de maturité. Ils ne se comportent pas en amoureux mais en hommes-enfants. Dans certains cas, lorsque la femme est nettement plus âgée (trente ou quarante ans d'écart), c'est leur manque d'attrait pour la féminité qui parle. Il peut même parfois s'agir d'homosexualité pas encore révélée.

MC : Le jeu érotique est très fort dans ces couples. Faut-il voir un sens particulier à ces amours ?

PL : Non, ce sont des histoires d'amour comme les autres. L'expérience sexuelle de l'amante peut être objet de fantasme pour l'homme, qui aura à coeur de se montrer à la hauteur. Sachant qu'elle aussi tiendra à « assurer ». Ils entretiennent une émulation très érotisante. En fait, symboliquement, la différence d'âge se joue avec la fertilité féminine. Tant que la femme peut être mère, cette différence est presque gommée. Par ailleurs, certains hommes voient leur désir s'épanouir lorsque leur compagne est ménopausée, parce que l'arrière-pensée inconsciente de la procréation a disparu. Faire l'amour s'inscrit dans le seul désir, et cela peut être explosif.

 (**) Psychiatre, auteur de « Séduire, Comment l'amour vient aux humains » (éd. Robert Laffont) et de « Scènes de ménage, Saines ou malsaines ? » (éd. Armand Colin).

 Article paru initialement dans le magazine Marie Claire, en août 2013