Au départ, une histoire d’amour commence souvent par une période passionnée. Un temps à part où l’autre n’a pas - ou vraiment très peu - de défauts. On aime par exemple son odeur de fumée, alors que généralement la cigarette nous donne la nausée. On se prend aussi à vouloir sortir dans des bars le vendredi soir, alors qu'il était purement inenvisageable de rater Koh Lanta avant de le ou la rencontrer… Et puis, les débuts enflammés laissent souvent place à la routine du quotidien et l’amour passionnel devient rationnel. C’est alors qu’on se surprend à vouloir gommer certaines habitudes, adoucir des aspects de sa personnalité ou plus généralement, changer l’autre.

Pourquoi veut-on changer l’autre ?

“Changer l’autre : oui, mais pourquoi ?”, questionne pour commencer le Dr Anne-Marie Lazartigues, psychiatre, sexologue et thérapeute de couple. “Toute personne qui se met en couple, une fois la période de lune de miel passée, pense que les problèmes viennent de l’autre et que c’est lui qui doit changer”, poursuit-elle. Parce que le narcissisme ambiant pousse chaque individu à croire qu’il ou elle est dans son bon droit et que c’est donc à l’autre de changer. Comme un serpent qui se mord la queue. Un blocage qui pousse l’un et l’autre membre du couple à se demander “pourquoi l’autre ne me donne-t-il pas raison ?” et peut alors faire naître une période de doutes.

La volonté de changer l’autre entraîne toujours de fortes réactions d’opposition, qu’elles soient non-explicites ou violemment exprimées, du partenaire

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Mais envisager que l’autre puisse changer seulement parce qu’on le veut, reviendrait à admettre que c’est possible. Or, comme le rappelle le Dr Lazartigues, “les psychanalystes le savent bien : c’est purement impossible”. On ne peut pas, dans une relation saine basée sur le respect et l’amour, changer unilatéralement son partenaire sans que celui-ci n’y trouve un intérêt pour lui. “La volonté de changer l’autre entraîne toujours de fortes réactions d’opposition, qu’elles soient non-explicites ou violemment exprimées, du partenaire”, explique l’experte. “Ce dernier peut se sentir envahi par l’autre, avoir un vécu d’intrusion. Cela renvoie à des angoisses anciennes, précoces de sa première enfance qui sont alors réactivées et dont l’intensité et les modalités d’expression dépendent de la manière dont le jeune enfant a été plus ou moins respecté dans son intimité”, décrypte-t-elle.

Changer pour l’autre

Mais on ne peut pas nier que la relation de couple n’est pas sans effet sur chacun des partenaires et entraîne intrinsèquement un certain nombre de changements dans leurs manières d’être et de se conduire. “Ceux-ci ne sont pas l’effet de la volonté et des objectifs de l’un ou de l’autre, mais simplement conséquence de la dynamique relationnelle très complexe qui s’est mise en œuvre à partir du moment où ils se sont rencontrés”, poursuit ainsi le Dr Lazartigues. Logique : dès lors que l’on décide de partager sa vie avec une personne, on change de fait irrémédiablement. “Moi, j’ai beaucoup changé, en quinze ans de vie de couple. Surtout depuis la naissance des enfants, en fait”, explique Rémi*, 42 ans, enseignant, marié et père de deux enfants. “Je m’aperçois que ma femme m’a transmis des tas de valeurs que je transmets aujourd’hui à mes enfants. [...] Surtout, je suis aujourd’hui plus à l’écoute, plus attentif, moins égocentré”, sourit-il.

Pour le moment, j’essaie de ne pas la perdre, sans avoir à me perdre moi pour autant

Pour Philippe*, éditeur de 51 ans et père de trois enfants, le fait de changer pour l’autre relève de l’utopie. Il raconte comment ses deux premières femmes ont tenté - par amour, toujours - de museler l’oiseau de nuit en lui pour le faire devenir un “bon père de famille”, mais chaque fois, le naturel est revenu au triple galop. Du coup, il préfère aujourd’hui vivre seul et aimer sans compromis une femme “qui l’accepte comme il est”. Des compromis que Benoît, 30 ans, musicien, redoute aussi. En couple depuis trois ans maintenant, il “flippe” de devoir abandonner son train de vie de musicien solitaire pour faire - vraiment - de la place à celle qu’il aime. “Pour le moment, j’essaie de ne pas la perdre, sans avoir à me perdre moi pour autant”, souffle-t-il.

Une question d’équilibre

Plus mesuré, Jacques*, 47 ans, chef d’entreprise, marié et père de trois enfants, admet qu’il faut être “poreux” pour vivre en couple, puis en famille. “Il faut trouver des consensus, parfois malgré soi”, déplore-t-il. Si Jacques est heureux là où il est, il se demande parfois s’il n’est pas perdant dans tout ce changement opéré depuis son mariage - et même un peu avant.

“L’équilibre ne peut survenir que si les changements demandés le sont alternativement par l‘un et l’autre afin qu’un équilibre toujours dynamique puisse être trouvé au moins transitoirement”, conclut alors le Dr Lazartigues.

*Témoignages recueillis par Marie-Claude Treglia, pour le magazine Marie Claire (2011)