La concentration est au fonctionnement cognitif ce que le carburant est à la voiture. Essentielle. "Se concentrer, c’est maintenir son attention sur un sujet ou vers un objectif, dans un temps donné", pose Stéphanie Couturier, sophrologue spécialisée dans les troubles de l’apprentissage.

Cette attention sélective implique de se focaliser sur une partie des informations dans lesquelles nous baignons en permanence et à mettre en mode "veille " tout le reste, comme l’explique Daniel Goleman.

L’ancien journaliste au New York Times a mâté le processus attentionnel dans le brouhaha d’une salle de rédaction semblable aux open spaces d’aujourd’hui. Auteur de Focus. Attention et concentration : les clefs de la réussite (Robert Laffont), il compare cette captation de la conscience au travail musculaire : elle exige un effort… donc du repos pour se reconstituer. Une ressource invisible loin d’être infinie.

Vidéo du jour

Le hic ? Nous vivons dans une société envahie par les technologies qui trustent une grande partie de notre "temps de cerveau" via les fameux écrans.

Courriels, SMS, flux RSS, réseaux sociaux… A en croire l’Américaine Gloria Mark, chercheuse et professeure à l’université de Californie, nous serions interrompus, volontairement ou non, toutes les quarante secondes par une nouvelle activité. Notre attention est constamment mise à rude épreuve par le multitâches, et ce, partout sur la planète : le nombre d’internautes (57% des humains) augmente chaque année de près de 9 %.

Tous déconcentrés ?

"Notre génération est bien plus stimulée que celle de nos parents", note Stéphanie Couturier. Il suffit de voir le nombre de chaînes de télévision auxquelles nous avons accès par rapport au siècle dernier. Avec l’arrivée des Smartphones, la culture zapping a colonisé tous les lieux, jusqu’au lit et ses temps de repos.

En cultivant de nouvelles habitudes, il est tout à fait possible de sortir du diktat de la pensée morcelée

Résultat : "nous sommes branchées en continu, projetées dans un espace virtuel où le corps n’a plus sa place", déplore la sophrologue. Voilà qui nourrit d’après elle l’essor de la Pleine Conscience : "la Mindfulness  rencontre le succès qu’on lui connaît car nous nous sommes déconnectés de nous-mêmes. Méditer nous invite à nous couper des sollicitations extérieures en observant ce qui se passe en nous, sans jugement". Une pause salutaire pour un cerveau en surchauffe permanente.

Une science en pleine émergence

Bonne nouvelle : il n’y a rien de pathologique à ces maux de l’époque, contrairement au Trouble Déficit de l’Attention/Hyperactivité (TDAH). Et l’attention n’est plus l’apanage des yogis et des magiciens. Maîtres du mass marketing, chercheurs en neurosciences, enseignants, coachs et autres mentalistes se passionnent pour les possibilités de la capter, la stimuler, l’entretenir. Libre à nous de profiter de cette manne de connaissances pour reprendre le contrôle sur notre cerveau.

Découverte intéressante de Katherine Hayles, professeure de littérature à la Duke University, en Caroline du Nord : il existe une différence flagrante entre l'attention approfondie (celle qui permet d’entrer dans un roman de Faulkner par exemple) et "l'hyper attention". Cette dernière est caractérisée par des changements soudains d'objectifs et de tâches, une préférence pour les flux multiples d'informations, la nécessité d'un haut niveau de stimulation et une faible tolérance de l'ennui.

En cultivant de nouvelles habitudes de travail et de loisirs, il est tout à fait possible de faire cohabiter ces deux types d'attention et de sortir du diktat de la pensée morcelée. Un modus vivendi à construire de toute urgence pour garder sa tête à l'ère de la distraction perpétuelle. 

Comment muscler son attention ?

  • Protéger son cocon et faire place nette

Première leçon de Daniel Goleman pour muscler notre attention : se débrancher provisoirement de toute perturbation numérique. Quitte à boucler le Smartphone dans un tiroir pour éloigner la tentation ! "Ecarter les sources de distraction est prioritaire car il est toujours difficile de se re concentrer après une interruption", convient Stéphanie Couturier.

La sophrologue encourage à baliser notre environnement avant de nous mettre à une tâche : rangez votre espace et éliminez tout stimuli visuel, prévenez votre entourage oralement ou par une pancarte sur la porte que vous ne devez pas être dérangée pendant le temps imparti.

Autre astuce de la professionnelle : garder un calepin et un crayon à portée de main pour écrire tout ce qui nous dévie de notre fil de concentration. Pensée entêtante, tâche que vous vous rappelez devoir faire etc. Une fois notée, l’indésirable est émotionnellement évacuée.

  • Apprivoiser notre propre fonctionnement attentionnel

C’est le credo de Jean-Philippe Lachaux chercheur en neurosciences cognitives à l’INSERM dont l’ouvrage Les petites bulles de l’attention (Odile Jacob) regorge de bons tips. Ainsi, conscientiser les mouvements de notre regard – les yeux sont intimement liés à l’attention - nous permet de repérer quand et par quoi cette dernière se fait happer.

Autre conseil de l’expert : moduler l’intensité de notre attention en fonction du moment et de la tâche ; le cerveau ne pouvant être concentré en continu, faites en priorité les travaux qui requièrent un effort particulier. "Commencez par les plus difficiles", abonde Fabien Olicard. Le célèbre mentaliste est passé maître dans l’art d’organiser son temps et sa motivation pour mettre sa concentration au service de ses objectifs. Un savoir qu’il partage dans Votre temps est infini (First Editions).

  • Ruser avec le cerveau

Parmi ses nombreux "trucs" spécial focus, Fabien Olicard avance la nécessité de tenir un agenda, de fixer un temps de réalisation des tâches et d’établir un rétro planning, quitte à le rectifier au fil de l’eau. Il appelle aussi à tromper l’ennui cérébral induit par une tâche unique afin d’éviter le papillonnage de l’esprit : si vous devez vous concentrer sur une action auditive, gribouillez en même temps sur une feuille ou marchez.

Si au contraire vous devez produire un travail écrit, écoutez de la musique avec un casque, histoire d’occuper le cortex auditif ; cette bulle sonore évitera que les pensées ne s’échappent... à condition de trouver l’ambiance musicale adéquate. A vos playlists ! 

Respirer pour se recentrer

Le souffle a le pouvoir de stimuler et renforcer naturellement nos capacités de concentration : en apaisant le rythme cardiaque, les respirations profondes ou mieux, celles de la cohérence cardiaque, recentrer rapidement nos idées. C’est magique… car mécanique !

"Les respirations auto-nettoyantes que l’on enseigne en sophrologie sont particulièrement efficaces quand on se sent troublée, contrariée, préoccupée", pointe Stéphanie Couturier. L’auteure de la collection Le cabinet des émotions (ed. Marabout) vante par ailleurs les vertus de tenir un journal quotidien où l’on consigne ce que l’on ressent, ou a minima, l’état dans lequel nous nous sentons au réveil et au coucher.

"Cela se fait en deux minutes et permet à la psychè de poser nos états d’âme quelque part, au lieu de les porter avec soi toute la journée ou dans le sommeil", explique la thérapeute. L’hygiène émotionnelle clarifie notre état intérieur et nos objectifs, ce qui augmente la qualité de notre attention.

Remettre le corps au centre

C’est l’invitation de Stéphanie Couturier, pour qui l’hygiène de vie est capitale, à commencer par l’alimentation. Evitez les excès d’apports en sucres et graisses. Après un repas lourd, riche, on a plus envie de siester que de turbiner. Le sucre apporte de l’énergie immédiate mais celle-ci redescend d’autant deux heures après, chutes attentionnelles avec. "Privilégiez les aliments de qualité, riches en fer, magnésium, oméga 3 et 6, indispensables au cerveau", détaille la sophrologue. L’activité sportive libère l’énergie physique et soigne le sommeil – à condition de bannir du lit la lumière bleue des écrans !

Pour l’ Américain Matthew B.Crawford, chercheur en philosophie (Université de Virginie) et réparateur de motos, il est urgent de nous libérer de la fragmentation mentale liée au "multitâche" grâce à des activités manuelles qui nous remettent en prise directe avec la matière.

Dans son best-seller Eloge du carburateur. Essai sur le sens et la valeur du travail (Ed. La Découverte), cet esprit radical démontre comment le travail manuel ou artisanal structure notre attention en nous confrontant aux obstacles et aux frustrations du réel. Ce retour bienfaisant à la rassurante pesanteur nous calme face à la vitesse vertigineuse du numérique.

De quoi changer notre regard sur l’arrivée du très haut débit ?