Vous êtes en colère au réveil et pour cause : c'est la troisième fois en 5 jours que vous faites un cauchemar à propos de ce satané coronavirus. 

Vous êtes en colère au petit-déjeuner, dès lors que vous tournez le bouton de votre poste de radio et qu'un flot d'informations anxiogènes s'en échappe.

Vous êtes en colère de ne pas être avec votre enfant, votre mère, votre père, en ce jour d'anniversaire...

Vous êtes en colère au balcon, quand une famille entière de voisins, soudainement passionnés par la course, contournent avec tranquillité les règles de confinement pour un jogging collectif.

Vous êtes en colère dans vos pensées, quand vous divaguez jusqu'à vous questionner : "La seule manière scientifique de ralentir une pandémie en 2020 est-elle donc d'implorer les gens de ne plus bouger ?".

Vidéo du jour

Vous êtes en colère lorsque vous tombez sur l'image bouleversante d'un Italien infecté par la maladie, prêt à mourir, en FaceTime pour un dernier au revoir virtuel aux siens. Colère profonde, peine plus grande encore.

Vous voilà en colère aussi lorsque vous apprenez qu'une infirmière dévouée a été chassée de son immeuble par des co-propriétaires inquiets d'être contaminés.

En colère encore contre votre compagnon et sa manière d'appréhender la situation avec légèreté. De grignoter à n'importe quelle heure alors que les sorties pour ravitaillement sont limitées. 

Vous êtes en colère et cette émotion collante se transforme, parfois, en agressivité. Vous le constatez mais peinez de plus en plus à vous réfréner. 

Vous êtes en colère, comme nous le sommes tous. À petite et grande échelle, contre ces chaussettes sales qui trainent, contre les miettes sur la table, contre la difficulté de faire école à la maison, contre le manque de masques de protection "alors qu'on savait !" : tout nous indigne et nous agresse.

Mais comment, alors, cher.e.s confiné.e.s, canaliser nos accès d'agressivité ? Conseils du psychologue Adrien Chignard.

Aux racines de l'agressivité 

Marie Claire : Confinés, pourquoi ressentons-nous, à mesure que les jours passent, de la colère en nous ?

Adrien Chignard, psychologue : La colère, cette émotion bénigne, et l’agressivité qu’elle génère, sont toujours la conséquence d’une frustration. Pourquoi sommes-nous actuellement frustrés ? Parce que l’on ressent une privation de besoins qui nous semblent pourtant légitimement dues.

La privation de quels besoins exactement ?

Par exemple, l’espace. L’être humain a un comportement territorial, il a besoin d’avoir un espace qui psychologiquement lui appartient pour se sentir bien. Or, si l’on est confiné en famille, que chacun entre et sort d’une pièce à l’autre, on a l’impression que notre besoin territorial n’est pas respecté.

Le temps, aussi. S’il faut télétravailler, aider les enfants qui apprennent sur leurs écrans, faire le ménage, à dîner… Il manque un temps qui n’appartienne qu’à nous. Ce petit moment banal de la vie avant que l’on soit confiné, comme un trajet seul en métro, par exemple.

Nous sommes frustrés parce que nous avons la sensation d’être infantilisé, puisque l’on décide pour nous.

Pour ceux qui sont confinés seuls chez eux, c’est à l’inverse du besoin de relation dont ils sont privés et donc, frustrés. L’être humain est un être social, il a besoin relation pour se sentir bien.

Et puis, nous sommes tous privés de notre sentiment de contrôle. Nous n'avons plus le sentiment de contrôler nos possibilités d’aller et venir, ni l’avenir de notre travail… Nous avons l’impression que des décisions qui auront un impact crucial sur nos vies ne nous appartiennent plus complètement.

Nous sommes frustrés parce que nous avons la sensation d’être infantilisé, puisque l’on décide pour nous.

Est-ce que la privation de loisirs accentue cette colère ?

On dit en psychologie qu’à chaque situation de tension devrait correspondre à une situation de détente. Or, les sources de détente, en confinement, sont nombreuses à être interdites. Aller faire du shopping ou une sortie entre amis...

Non seulement nous avons davantage de sources de tension, mais nous avons, aussi, moins de sources de détente. En confinement, les plateaux de la balance sont inévitablement en déséquilibre. Ce qui nous frustre, un peu plus encore.

Comment s'apaiser ?

Comment calmer ces frustrations lorsque l'on vit avec l’Autre ?

Ne pas hurler un bon coup. C’est une croyance que de penser que sortir ainsi sa colère vous fera aller mieux. C’est s’acheter un bien-être ponctuel pour une détérioration durable. L’Autre sera vexé, va sur-enchérir, vous allez dégrader votre relation. Et comme nous sommes tous en situation de confinement, vous allez devoir tout de même rester côte-à-côte. Vous pouvez, en revanche, exprimer la source de votre colère.

De quelle manière ?

Si, par exemple, vous souhaitez regarder le 20 heures pour vous tenir informé des dernières nouvelles à propos du coronavirus, et que le proche avec qui vous êtes confiné s’y oppose, cela va générer une frustration en vous.

Vous allez penser : "Il est casse-pied", "Il fait ça exprès pour m’agacer parce qu’il sait que moi j’y tiens"… Et si vous lâchez votre colère sur lui, vous allez lui dire  :"Tu es égoïste", ou alors, "Ce n’est pas parce que tu es chez toi que tu dois décider de tout"…, et ce serait le contenu de votre colère que vous exprimerez. Pas la source.

Il faut plutôt remonter le fil, dans un sens comme dans l'autre. Il est probable que l'Autre réponde : "Ce n’est pas contre toi, je n’ai absolument pas envie d’être désagréable avec toi." Et vous expliquera son refus : "Ça me rend anxieux de regarder les informations en ce moment. La situation va de mal en pis, je n’arrive plus à dormir la nuit." Avec sa réponse, votre colère à son égard va s’apaiser considérablement et presque instantanément.

Si pendant une heure, vous avez envie de jouer à un jeu de zombies sur votre smartphone, vous en avez le droit.

Vous devez ensuite trouver des solutions qui vous soient mutuellement profitables. Lui répondre d'abord : "Je comprends que cela t’angoisse." Et lui proposer, par exemple : "Je peux utiliser la tablette plutôt qu’allumer la télévision et regarder le journal télévisé dans la chambre, parce que pour moi, c’est important."

Accepter d'avoir plusieurs identités

Faut-il aussi se donner des règles de vie ?

Oui. Qu’il y ait au moins chaque jour un espace et un temps dédiés à chacun. Si pendant une heure, vous avez envie de jouer à un jeu de zombies sur votre smartphone, vous en avez le droit. Si vous avez envie de scroller de manière frénétique votre feed Instagram en mangeant des chips, cela vous appartient.

La colère que l’on ressent, en nous, peut dégrader l’image que l’on a de soi

Pour mieux vivre ce confinement, acceptez d'avoir plusieurs identités. Vous êtes le partenaire de, l’enfant de, le salarié de, mais aussi, vous êtes vous-même, et seul, vous avez encore une identité différente qu’il faut exprimer durant ce temps de plaisir à vous. La période est suffisamment à la frustration, qu’on vous foute la paix avec vos sources de plaisir !

Comprendre ce qui nous détend et se connaître soi-même

Mais si l’on ne sait plus exactement déterminer quelles sont nos sources de plaisir en cette période étrange ?

La meilleure façon de le savoir est d’essayer, de tester des activités. On ne peut le savoir qu’à posteriori. Il faudra ensuite se questionner : "J’ai essayé, est-ce que je me plus détendu(e) désormais ?". Il faut essayer aussi de mieux se connaître soi-même durant cette période-là, de prendre un temps pour découvrir ses forces.

Comment ?

Le test de forces de caractère de Seligman est disponible en ligne, vous pouvez aussi demander par message à cinq proches de vous renvoyer les cinq caractéristiques qui selon eux vous représentent. Il faut connaître ses forces pour les activer en ces temps compliqués.

Cet exercice vous permettra aussi de retrouver une image plus unifiée de vous-même, de vous apaiser, parce que la colère que l’on ressent, en nous, peut dégrader l’image que l’on a de soi.

Qu’on le veuille ou non, le confinement nous oblige à accepter que le monde ne se modèle pas complètement à nos désirs

On peut ensuite partager ses résultats avec son partenaire de confinement, pour faire le point sur ce qui nous rassemble et ce qui nous différencie. Ce test est un support pour révéler à l’Autre ce que vous avez compris sur vous-même, sur ce qui vous est précieux. Il pourra alors mieux le comprendre, le respecter, et vous, serez moins frustré. C’est une solution de prévention, pour éviter le conflit.

Voilà beaucoup de solutions pour apaiser nos frustrations. Mais avons-nous tout de même le droit d’être frustré(e) ?

J’aime beaucoup cette phrase qui dit qu’il vaut mieux une vraie tristesse qu’une fausse joie. Tarir les sources de frustration, oui, on va tenter de le faire au mieux. Mais on ne les tarira jamais toutes. Il faut accepter que le conflit est consubstantiel à la vie en communauté, et que de temps à autre, on puisse se mettre en colère, avoir des intérêts divergents.

Vouloir que l’intégralité de nos frustrations disparaissent, c’est un comportement infantile. Et puis... qu’on le veuille ou non, le confinement nous oblige à accepter que le monde ne se modèle pas complètement à nos désirs.