Adeline, 30 ans, exerce un métier qui touche directement à un sujet aussi universel que tabou : la mort. Tous les jours, elle et ses collègues sillonnent l'île-de-France à bords de leurs camions pour faire ce que l'on appelle des levées et du transport de corps. Ils interviennent notamment après des morts violentes, sur réquisition des services de Police. 

Un métier qui suscite beaucoup d'interrogations -d'autant plus lorsqu'il est exercé par une femme- et revêt une certaine part d'ombre sur laquelle la jeune femme aimerait lever le voile.

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Un choix de carrière parfois difficile à justifier

"À l'époque où j'ai commencé, je ne connaissais pas du tout le milieu du funéraire. Je travaillais pour une société de bus et ne cherchais pas spécialement à travailler ailleurs. Une connaissance m’a parlé de ce métier, il m’a dit que cela pourrait me plaire et je me rendais compte qu'il ressentait un réel plaisir à travailler dans ce domaine. J’ai donc fais un essai pendant trois jours et j’ai tout de suite accroché. Je n’en suis jamais repartie et cela fait cinq ans maintenant.

Lorsque j'ai annoncé à ma famille et à mes proches ce que je faisais, cela a été compliqué. On me disait : 'Tu n’es pas obligé de faire ça', 'Pourquoi tu veux t’infliger ça ?'. C’était très négatif, mais je pense qu'ils avaient surtout peur des répercussions psychologiques que cela pouvait avoir sur moi.

Au début, je ne dirais pas que j'avais honte de dire que je travaillais dans le funéraire, mais j'étais gênée par la question 'Qu’est-ce que tu fais dans la vie ?". Je ne savais pas vraiment quoi répondre. Avec le temps, j’ai pris confiance en moi et je m’affirme beaucoup plus.

Dans ce métier, une femme n'a pas le droit à l'erreur.

De toute façon, en tant que femme dans un milieu majoritairement masculin, je n'ai pas d'autre choix que d'être sûre de moi ! J'ai toujours eu cette impression, et même encore maintenant, qu'une femme dans ce métier n'a pas le droit à l'erreur. Je suis sans cesse observée, on dirait que certains attendent la faute. Quand tu arrives, on pense que tu es là pour faire les papiers, pas pour porter un corps. Mais je ne peux pas leur jeter la pierre car, moi la première, je ne pensais pas que les femmes pouvaient exercer ce métier. On pense qu'il faut une certaine force physique, mais ce qui compte davantage que des muscles, ce sont le mental et l'endurance. Il faut que les femmes le sachent et si cela peut les motiver à faire ce métier, ce serait super. À la base, j'étais la seule au sein de mon entreprise et aujourd'hui nous sommes quatre !

Supporter l'insupportable 

Ce qui intrigue aussi beaucoup les gens, c'est de savoir comment nous faisons pour supporter de voir autant de choses horribles. Moi-même, j'avais beaucoup appréhendé quelle allait être ma réaction lors de ma première intervention. Finalement, je n'ai rien ressenti de particulier. Bien entendu, je m'étais demandé si je n'avais pas un problème. Mais au fur et à mesure, je me suis rendue compte que je procède de manière totalement inconsciente à ce moment-là. J'ai une sorte de 'barrière naturelle' qui s'installe.

Quand je m'occupe d'un corps, je n’éprouve pas de tristesse pour la personne ou sa famille et je ne m'attarde pas non plus sur ce qui lui est arrivé. Tout simplement parce que je ne les connais pas. Si je prenais tout à cœur, je passerais ma journée à pleurer et je ne pourrais pas faire ce métier. C'est une réaction qui peut paraître choquante, je comprends, mais c'est ce qui fait que certains sont capables d'exercer ce métier contrairement à d'autres. 

On ne gère pas que des corps, on gère aussi des familles.

En revanche, je vais être emphatique dans le sens où je vais prendre en charge la personne décédée en respectant son intégrité. Il faut aussi savoir que l'on ne gère pas que des corps, on gère aussi des familles. Je vais donc essayer d'aider les proches au mieux, en répondant à leurs questions et en les accompagnant. Face à la disparition d'un des leurs, ils peuvent être en colère ou dans le déni. Je peux rester des heures avec eux s’ils en ont besoin et ils sont souvent très reconnaissants de ce soutien qu'on leur apporte. Il arrive même que des membres des familles nous prennent dans leur bras. C’est un métier qui a une part de social, il faut donc être ouvert d’esprit, avoir le sens de l’écoute, être à la fois patient et indulgent.

Après, on ne va pas se mentir, il y a tout de même des interventions plus difficiles que d'autres comme celles qui impliquent des enfants, des femmes battues ou des personnes dans une grande précarité. Pour ma part, j'avoue être un peu émue quand je dois venir chercher le corps d'une personne âgée mariée depuis 50 ans et qui laisse son mari ou sa femme derrière elle. C'est mon côté fleur bleue sans doute. Je vois des choses atroces pourtant mais ça, je ne saurais pas l'expliquer, ça me touche davantage. 

Un métier aussi utile qu'oublié 

Ces dernières semaines ont été particulièrement difficiles et fatigantes à cause de l'épidémie de coronavirus. Et si en temps normal on se dit que c'est un métier oublié, autant vous dire qu'on le ressent d’autant plus en ce moment ! Il faut que les gens se rendent compte qu'il existe tout un système pour "gérer" les corps après la mort.

Personne ne veut réellement voir le problème ou nous voir 'nous', comme si nous étions invisibles. Il y a eu beaucoup de critiques sur le stockage des corps dans un entrepôt de Rungis notamment. Des rumeurs ont circulé sur les conditions, il y a eu l'évocation des tarifs imposés aux familles. C'était très décevant pour ceux qui y travaillent depuis des semaines sans compter leurs heures d'entendre certains propos. L'endroit a été aménagé, tout est organisé, propre, les cercueils sont rangés... C’est une sorte de grande maison funéraire, qui certes, n'est pas idéale, mais il a fallu réagir rapidement et tout a été fait pour respecter la dignité des personnes décédées. 

La majorité des personnes qui travaillent dans le milieu du funéraire le font avant tout pour apporter une aide aux personnes dans un moment de grande détresse. Et c'est ce qui fait que j'aime ce métier : on se sent utile."