Étrangement, quand on parle de sexe, on s’imagine quasi-systématiquement une pénétration. Faites-le test autour de vous - si et seulement si votre auditoire est intime - demandez à quoi doit ressembler une relation sexuelle “idéale”. Qu’ils ou elles soient adeptes ou non des préliminaires, qu’ils ou elles aient des fantasmes peu communs : tous et toutes parleront à un moment de pénétration.

“Ainsi, la pénétration règne en maître”, écrit Martin Page pour son essai Au-delà de la pénétration*, (Ed. Monstrograph) publié en avril 2019. Dans cet ouvrage, l’auteur questionne la pénétration, avec un grand P, en tant que norme érigée d’une sexualité dite “complète”. À partir de ce postulat, il va alors s’intéresser à la construction de cette norme sexuelle, de l’héritage patriarcal qui se cache là-dessous, et des tabous et des inégalités qu’elle entraîne.

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Un sujet omniprésent devenu invisible

“J’écris ce texte pour m’éduquer, m’ouvrir, apprendre à ne pas suivre mes réflexes, désobéir à mes impulsions premières et mes habitudes culturelles, mais aussi pour imaginer autre chose”, écrit-il, en précisant qu’il part avec un a priori extrêmement favorable à la pénétration. En se servant de son propre cas, l’auteur nous oblige à remettre en balance notre propre pensée sur la question, qu’on aime passionnément la pénétration ou qu’on ait des réticences. “Pourquoi écrire un livre sur la pénétration ? Parce que le sujet est là, si présent qu’il est invisible”, continue alors Martin Page. “Je voulais qu’on entende les difficultés, les douleurs, la peur d’être anormal(e), et qu’on dise qu’on se fout de la normalité si elle signifie le mépris et le jugement pour ce qui est différent”, affirme-t-il alors.

Et au-delà de la pratique sexuelle, des normes et des tabous, Martin Page questionne en réalité la notion d’égalité, et d’individualité. Quoique plaisante pour certain(e)s, la pénétration d’un pénis, d’un sextoy ou d’un doigt dans un vagin ou autre orifice, ne coule pas de source. Un bon moyen de rappeler que les sexualités sont aussi diverses que les individus. D’ailleurs pour aller plus loin sur ce terrain, Martin Page consacre la moitié de son ouvrage à des témoignages sur cette question, d’anonymes pour la plupart mais aussi d’auteurs, d’avocats, etc. Le but sous-jacent ? Donner un maximum de regards sur la pénétration d’abord, mais plus globalement sur la sexualité. 

La pénétration, entre réticences et réjouissances

Plaisir, traumatisme, honte, lâcher-prise, confiance en soi : autant de thèmes effleurés aux travers de tous ces témoignages intimes, parfois bouleversants. "Il m'a fallu un dizaine d'années pour comprendre et accepter que je n'aurai jamais d'orgasme par seule pénétration. Et pour m'en foutre aussi", lance ainsi une dénommée C. Quand Sonia Santi dénonce "cette société machiste" qui lui fait croire "que faire l'amour, c'était la pénétration, et par extension la jouissance masculine [...] Je me croyais anormale et cela m'a rongée pendant des mois. Une certaine Marie se confie également : "je suis une femme souffrant de vaginisme primaire [...] Je présume que ce vaginisme vient du fait que je suis née avec une malformation au visage et que j'ai été souvent examinée sans consentement et de force. [...] Les examens gynécologiques sont souvent douloureux pour moi et me font très peur". 

Et puis, Martin Page a également laissé la parole aux adeptes de la pénétration, comme Emmanuelle Pagano, qui explique que "quand elle me pénètre, sa main déverrouille un accès en moi dont je ne soupçonnais pas l'existence. J'ouvre les yeux, les siens sont fermés. Je vois son plaisir avec l'évidence du mien". Même engouement pour Tania K. qui dit faire partie "des femmes qui ressentent la pénétration comme essentielle à leur plaisir et épanouissement personnel". Enfin, il y a les pondérés, ceux qui ont changé leur vision au cours de leur vie sexuelle. C'est le cas par exemple d'un certain M. dont on comprend en filigrane que c'est un homme. "Ma compagne ne déteste pas la pénétration, mais elle préfère de loin les cunnilingus, c'est là seulement qu'elle a des orgasmes incroyables, j'ai donc évolué, je pars d'un postulat propénétration et ça a rendu notre sexualité plus riche en fait", raconte-t-il.  

Et c'est aussi pour cela qu’il est important de lire cet ouvrage quelque part. Sans jamais imposer de réponse, ni sur la sexualité, ni sur la société, il nous invite à remettre en question nos certitudes, et à ouvrir notre horizon et pourquoi pas, nos pratiques.

*"Au-delà de la pénétration" de Martin Page, Ed. Monstrograph, 12 euros