Un jour, Salomé Saqué a eu une révélation. Elle était encore adolescente, vivait dans un petit village de l'Ardèche, étudiait au lycée d'Aubenas. Elle tombe sur le film Blood Diamond, réalisé en 2006 par Edward Zwick, qui se déroule en pleine guerre civile en Sierra Leone. La foudre s'abat sur elle : elle sera journaliste, comme le personnage de Maddy Bowen, incarné par Jennifer Connely. "Je voulais être elle, je m'habillais même comme elle !", se souvient-elle en souriant.

Elle a trouvé sa voie et n'en déviera pas. "Sur une fiche pour se présenter elle avait écrit : 'Je n'ai pas ma langue dans ma poche'", raconte Marie-Laure Duffaud, sa professeure d'histoire en terminale. "Je me souviens d'une élève très chouette, indignée, révoltée par les injustices, toujours tournée vers l'échange et qui savait déjà qu'elle travaillerait dans le journalisme, ou le droit, ou l'humanitaire."

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Une dizaine d'années plus tard, on retrouve la journaliste de 28 ans dans un café du 11e arrondissement de Paris. Ponctuelle, aimable, un brin tendue, sans doute plus à l'aise dans l'art de poser des questions que d'être interrogée. À peine entrée, une femme la reconnaît : "J'adore ce que vous faites !". Elle remercie poliment.

Un engagement solide qui fait grincer des dents

En très peu de temps, Salomé Saqué s'est fait un nom et une place dans le paysage médiatique : on la voit dans 28 minutes sur Arte, France Info, France 5 et surtout sur la plateforme en ligne Blast, dirigée par Denis Robert, l'homme qui révéla l'affaire Clearstream. Sur les réseaux sociaux, la journaliste engrange les abonné·es : près de 187 000 sur Twitter, 155 000 sur Instagram.

Plus récemment, Salomé Saqué s'est fait connaître par un livre, son premier : Sois jeune et tais-toi. Réponse à ceux qui critiquent la jeunesse aux éditions Payot (plus de 10 000 exemplaires vendus début mai 2023). Un long texte fort documenté, présenté comme une volonté de changer de regard sur la jeunesse et de lui donner la parole.

Je ne veux pas qu'on me résume aux émotions qui peuvent me traverser mais qu'on s'intéresse à mon travail.

"Elle n'est pas pour un gramme une meuf en carton, explique Laure-Hélène Accaoui, son éditrice. C'est un rouleau compresseur de cohérence, un bourreau de travail doté d'une aura dingue." C'est elle qui l'a approchée en février 2021, au moment où elle entre chez Blast, après l'avoir repérée sur Twitter. Elle est à la recherche d'une voix pour incarner la jeunesse et "envoyer bouler les poncifs".

La marque de fabrique de Salomé Saqué ? Le franc-parler. Il ne s'agit pas de provocation, de polémique pour la polémique mais d'une volonté de dire les choses, parfois frontalement, sans langue de bois. D'expliquer, de décrypter, d'alerter, notamment sur la crise climatique. "Je ne veux pas qu'on me résume aux émotions qui peuvent me traverser mais qu'on s'intéresse à mon travail, à savoir l'enquête et le décryptage", confie-t-elle d'emblée.

Dans son portrait de dernière page publié le 15 mars 2023, Libération l'a résumée ainsi : "Perfectionniste, angoissée et engagée, la journaliste de gauche est l'une des nouvelles voix influentes de la cause du climat et des jeunes." Le deuxième adjectif ne lui a pas plu : bien sûr qu'elle est angoissée par la crise climatique ; mais angoissée de nature, ou de naissance, non.

Plusieurs scènes ont particulièrement marqué les téléspectateurs et les internautes et fait sa réputation. Sur France 5, aux côtés de l'ingénieur et spécialiste du réchauffement climatique Jean-Marc Jancovici, elle l'entend dire que le nucléaire n'est pas plus dangereux que la junk food. "On ne peut pas comparer le nucléaire avec un Kinder Bueno !", lance-t-elle quand d'autres n'auraient pas relevé.

Sur Arte (28 minutes), une autre scène, qui en évoque farouchement une dans Don't Look Up d'Adam McKay (2021), le film produit par Netflix sur l'absence de prise en considération de la crise climatique avec Jennifer Lawrence et Leonardo DiCaprio. Deux journalistes hommes invités éclatent de rire après qu'elle a dit "faire partie de la génération qui va vivre l'effondrement". Là encore, c'est à son avantage que tourne la situation.

Ils et elles ne sont pas rares celles et (surtout) ceux qui, dans la profession, la prennent un peu de haut, se demandant quelle est sa légitimité, son droit de "donner des leçons à la terre entière du haut de ses 28 ans, comme si elle était la seule à prendre conscience de certaines choses", lance un confrère. Éditorialiste politique à Libération, Jonathan Bouchet-Petersen la défend : "Je la trouve plutôt convaincante, incarnant une nouvelle génération de journalistes engagés à gauche et qui ne s'en cachent pas.Via ses vidéos, Salomé Saqué parle aussi à un public plus jeune, qui lit moins la presse. Dans le genre, je la préfère à Hugo Clément qui revendique de dépolitiser la question climatique en jugeant que ce n'est pas un sujet de clivages partisans mais dont la prestation face à Jordan Bardella au raout de Valeurs actuelles sert d'abord les intérêts du RN." Le journaliste fait ici référence à la participation d'Hugo Clément à un débat organisé par le magazine le 13 avril dernier. Salomé Saqué s'y serait-elle rendue si on l'avait invitée ? "Je ne veux pas critiquer publiquement un confrère mais non, certainement pas. Il faut informer tout le monde mais je ne dialogue pas avec l'extrême droite, encore moins en montant sur une estrade."

Journaliste avant tout ?

Elle a grandi dans un villages de 200 habitant·es. Elle dit "chérir" les souvenirs liés à son enfance, le rapport à la nature, l'option canoë-kayak au lycée. En Ardèche, à cette époque, Paris lui semble inaccessible, tout comme la filière royale vers le journalisme, Sciences Po, alors qu'elle se révèle une excellente élève.

Elle débarque à Lyon en classe préparatoire littéraire, où elle travaille "comme une folle", à se dégoûter alors de la littérature. Ne retrouve le plaisir d'étudier qu'en troisième année de fac, quand elle file en Erasmus en Espagne, histoire d'étudier sur le terrain le mouvement de gauche Podemos. "La meilleure année de ma vie !" C'est aussi là que la révélation de son adolescence, le journalisme, trouve sa concrétisation.

Tout ce travail n'est jamais inutile mais quand on connaît l'ampleur et l'urgence des changements, c'est dur à encaisser.

En rentrant, elle cherche un stage rémunéré. C'est à France 24 qu'elle le trouve. La journaliste Marina Bertsch se souvient de la jeune femme qu'elle a accueillie au sein de la rédaction en 2018 : "Je reçois beaucoup de stagiaires et j'ai tout de suite vu que Salomé sortait du lot. Elle avait une très forte envie de réussir. Je dirais : elle avait déjà une fibre activiste. Dans mon souvenir, elle était plus passionnée par les questions de politique intérieure et internationale, mais elle a compris que les questions climatiques étaient cruciales, porteuses. J'ai hâte de suivre la suite de sa carrière, qui sera, c'est sûr, passionnante."

Salomé Saqué ne va plus lâcher l'écran. Elle réalise la puissance de l'image et du média, qui plus est sur les réseaux sociaux dont elle maîtrise les codes. "La portée du message est décuplée et c'est ce que je voulais, toucher le plus grand nombre. Faire passer des messages. 'Porter la plume dans la plaie', comme disait Albert Londres. Bien sûr, j'ai des jours avec et des jours sans. Ce qui est frustrant, c'est que ça n'avance pas assez vite. Tout ce travail n'est jamais inutile mais quand on connaît l'ampleur et l'urgence des changements, c'est dur à encaisser. Je traverse donc des moments de découragement mais je suis plus optimiste que pessimiste."

Sur Blast, elle invite souvent des scientifiques, des chercheurs, des économistes qui parlent clairement, d'une manière accessible. Eux aussi sont souvent engagés, marqués à gauche. Salomé Saqué confondrait-elle journalisme et idéologie ? "Ce qui me dérange chez elle, c'est ce moment où le militantisme prend le dessus sur le journalisme, explique Olivier Pérou, 32 ans, grand reporter au service Politique de L'Express. Mais je respecte son travail car elle porte un discours structuré et structurant, notamment dans son livre, au sujet d'une jeunesse mal représentée dans les médias. Sa parole a au moins autant de valeur que celle des éditorialistes à l'ancienne."

Salomé Saqué victime de cyberharcèlement sexiste

Cachés derrière leurs pseudonymes, bien des internautes ne lui pardonnent pas cette liberté de parole. Les insultes, les "pute", "salope", "je t'enculerais bien" pleuvent, les menaces de viol et de meurtre, d'une violence inouïe. "Pour elle, qui est jeune, femme et belle, c'est la triple peine", soupire Laure-Hélène Accaoui.

Marina Bertsch voit en elle une "jeune femme qui a vite compris comment les réseaux, ou la notoriété, fonctionnent aujourd'hui : associer une cause à une personne. Elle fait partie d'une nouvelle génération de journalistes activistes qui ont su comment il fallait parler au public. Ce positionnement est porteur mais aussi risqué, dans la mesure où les attaques qu'elle reçoit sont centrées sur sa personne." 

Je pense que les insultes font partie du métier.

L'intéressée veut relativiser : "Le fil conducteur des insultes, c'est le sexisme, quel que soit le sujet. C'est insécurisant, mais je pense que les insultes font partie du métier. En tout cas, je ne réponds plus à aucun commentaire négatif." Il est temps de se préparer pour la photo. Elle enlève son col roulé noir. Dessous, un chemisier rouge, comme presque toujours. Son uniforme, du moins son identité visuelle. Un truc marketing destiné à être mieux reconnue, identifiée du premier coup d'œil, comme ses collègues de la télé qui portent inévitablement un même accessoire ? "Ça n'a rien à voir, affirme-t-elle. Cette couleur me donne de la force, du réconfort et de l'énergie. Elle me rend heureuse. J'ai une garde-robe réduite, pour ne pas surconsommer. Je ne me prends pas la tête avec ça."

Des marques l'ont déjà démarchée pour porter leurs créations. Elle qui espère pouvoir exercer le journalisme le plus longtemps possible, en réalisant un jour des documentaires d'enquête long format, a toujours refusé. Droite dans ses bottes, toujours.