“La dernière fois, j’ai reçu un commentaire qui disait que j’étais grosse. Ça m'a beaucoup affectée, j’en ai pleuré”, partageait la youtubeuse Shera Kerienski dans une vidéo, le 17 avril 2022

L’influenceuse vient d’accoucher de son premier enfant. Dans un monologue de quarante minutes, elle adresse son rapport à son corps post-grossesse. Shera parle de cette “carapace”, qui lui permettait jusque-là de montrer son corps sans filtre sur les réseaux sociaux, parce qu’elle avait confiance en elle. 

Désormais, cette protection a une faille. Le post-partum a laissé des traces, lui a rendu un corps qu’elle ne reconnaît plus et qui a fragilisé son assurance. Alors, quand elle recommence à poster du contenu sur Instagram, les commentaires, qu’elle ne voyait pas avant, font mal. “T’es grosse”, “quel glow-down”, “c’est pas normal d’avoir un ventre comme ça après avoir accouché”.

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Ces remarques, les trois mères que nous avons interrogées peuvent aisément s'y identifier. Pendant des mois, leur corps, éprouvé par une grossesse et l'arrivée d'un enfant, scruté par les autres, est devenu un étranger pour elles. Sans tabou, elles nous racontent le travail d'acceptation et de réappropriation qu'elles ont dû faire, et poursuivent parfois encore.

Oublier son corps après la grossesse, une "conséquence normale", en post-partum

“Mon accouchement a été le moment le plus intense de ma vie, mais ça n’a pas été le plus dur, ça c’est venu après”, commence Juliette, 29 ans et maman d’une fillette de 22 mois. 

Si chaque naissance est un bouleversement - du quotidien et du corps - l’arrivée du premier enfant est “cataclysmique”, acquiesce Caroline Leroux*, psychologue, sexologue et sage-femme. “Comme chaque événement qui fait que la vie change, il faut pouvoir s’adapter, et on ne s’adapte pas du jour au lendemain”, appuie-t-elle. 

Aux anges, Juliette fusionne avec sa fille dès sa venue au monde. “Je ne pensais plus qu’à elle, j’avais des œillères, tout le reste du monde était en sourdine et j’arrivais même à anticiper ses besoins, souvent au détriment des miens”, explique la jeune mère.

Pour la spécialiste, s’oublier dans les premiers de vie mois du bébé est normal, c’est même une réaction psychologique et physiologique. “Quand on accouche, il y a ce qu’on appelle la préoccupation maternelle primaire. Avant on ne s’occupait que de soi ou de son couple, et maintenant tout notre monde tourne autour de l’enfant. C’est comme si le psychisme n’appartenait plus qu’à lui”, poursuit-elle. 

Caroline Le Roux précise qu’il est important de connaître cette réaction et de ne pas la confondre avec le syndrome de dépression post-partum, qui est une pathologie qui nécessite une prise en charge adaptée

Réaliser son nouveau corps, une violente confrontation à la réalité

“Je n’avais pas le temps de me regarder ou de me préoccuper de moi. Souvent, je gardais le même sweat, avec des traces de régurgitations dessus, et je n’avais pas toujours le temps de me doucher”, raconte Juliette. 

Alors, quand près de trois mois après son accouchement, son conjoint la pousse à prendre un après-midi pour elle, elle est confrontée à sa nouvelle image. C’est le choc. 

"J’étais chez Zara pour me trouver des vêtements à ma taille. Quand je me suis déshabillée et que je me suis regardée à la lumière de la cabine d’essayage, j’ai eu un moment de recul, je ne m’étais jamais vue de manière si crue : vergetures, cuisses flasques, ventre encore gonflé, j’ai failli fondre en larmes”, explique la vingtenaire. 

“L’impact sur la santé mentale de la maman va différer selon les situations, il faut accepter que le corps d’une femme ne sera jamais le même qu’une femme mère”, commente Caroline Le Roux. "Quelle image avait-elle de son corps avant ? Est-ce que son apparence était très importante pour elle ?", questionne-t-elle.

Mais l'experte tient à la préciser, il n'y a pas de règles et certaines femmes s’approprient et aiment directement ce nouveau corps de mère.

C’est le cas de Martine, 58 ans et fière maman de quatre grands enfants. “C’est vrai qu’on n’a pas le temps de penser à son corps, mais le mien ne m’a jamais gênée, même après plusieurs grossesses. J’étais reconnaissante de ce qu’il m’avait permis de créer. Mener quatre grossesses à terme, ce n’est pas rien”, sourit-elle, un brin de nostalgie dans la voix. 

Du détachement au rejet de son corps

Si les traces des grossesses n’ont jamais été redoutées par la quinquagénaire, c’est une autre épreuve qui l’a fait se détacher de son corps. 

En 1995, alors qu’elle est déjà mère d'une première fille de trois ans, Martine perd les jumeaux qu’elle attendait, à six mois de grossesse. “Je sentais que quelque chose n’allait pas, mais les médecins ne s'inquiétaient pas. Jusqu’à ce qu’on me fasse une échographie, parce que j'insistais, et qu’on m’annonce que le cordon était enroulé autour des cous des bébés”, explique-t-elle. 

Une interruption médicale de grossesse traumatisante, un corps médical peu accompagnant et une prise en charge psychologique inexistante, Martine dissocie. “Je ne pouvais pas accepter qu’ils étaient morts dans mon corps”, souffle-t-elle. 

Pendant des mois, la jeune maman, fait une croix sur une nouvelle grossesse. Jusqu’au jour où sa fille quémande une petite sœur, “parce qu’à l’école, tout le monde en a une”. 

“Je pense que j’étais prête, mais que je n’osais pas forcément me l’avouer, après le deuil”, explique-t-elle. Quelques mois plus tard, la fille unique devient aînée - elle a bien eu sa petite sœur. Bien que très angoissée pendant la grossesse, Martine se reconnecte peu à peu à ce corps - théâtre d’un drame qui ne sera jamais oublié -, reprend confiance et sort de la culpabilité. 

25 ans plus tard et deux grossesses en plus, Martine le sait, c’est cette deuxième grossesse, menée à terme, qui lui a permis de se réapproprier son corps et de croire à nouveau en lui. 

Un nouveau corps et une intimité à recréer 

Comme la quinquagénaire, Anne a bien vécu ses grossesses et chéri son corps en post-partum. Pourtant, c’est dans l’intimité qu’elle s’est rendu compte qu’elle s’était peut-être finalement oubliée. 

“Pour mon deuxième, j’ai eu une épisiotomie. Je n’avais aucun recul, parce que mon premier fils est arrivé par césarienne programmée, mais je pensais plutôt bien le vivre, jusqu’à ce qu’on recommence à avoir des relations intimes avec mon mari”, explique la trentenaire. 

Plusieurs fois, le couple tente d’initier un rapport, mais impossible pour la jeune maman de se laisser aller. Elle a mal, tout du moins, c’est ce qu’elle pense. “Je suis allée voir un sexologue, après, et il m’a dit que les douleurs étaient sûrement dues au stress, en fait j’avais peur que ça s’ouvre. Savoir que ce n'était pas mon corps le problème, m'a beaucoup aidée”, avoue-t-elle. 

Elle, qui n’a pas forcément de kilos de grossesse à perdre, se sent illégitime, et honteuse, d’aborder la question avec ses amies. Pourtant, elle se sent comme étrangère dans son corps pendant des semaines. “Je ne pouvais pas prendre du plaisir avec mon mari et ça m'inquiétait. Et plus ça ne marchait pas, plus je me scrutais, je regardais mes seins un peu moins fermes et je me disais que peut-être que lui aussi allait s'en rendre compte”, avoue-t-elle.

“Quand on parle avec les partenaires, on se rend compte qu’ils n’ont rien à faire du corps de leur femme, même si elle a 15 kilos de plus, parce que, ce qu’ils voient, c’est la mère de leur enfant et quel que soit le corps, il va être désirable. C’est quelque chose que les jeunes mamans on beaucoup de mal à entendre”, analyse Caroline Le Roux.

S'affranchir du regard des autres et des comparaisons

Quoiqu'il arrive, pour la sexologue, il est primordial de libérer la parole autour de ce mal-être en le connotant, tel qu’il est : normal. 

“Je n’avais pas un rapport au corps conflictuel avant la grossesse, je ne me comparais pas aux autres femmes sur Instagram. Mais après mon accouchement, j’avais tendance à scroller les pages de mes influenceuses mamans préférées pour regarder leurs 'corps post-partum'. Personne n’avait mon ventre encore gonflé par exemple, donc j’ai cru pendant un moment ne pas être normale, et puis certains proches me le reprochaient aussi”, se souvient Juliette. 

“Malheureusement, aujourd’hui, les réseaux sociaux font des dégâts considérables, parce qu’avant, quand on n’en avait pas, on savait, en accouchant, que notre corps, on n’allait pas le retrouver. Désormais on voit ces mamans célèbres aux corps parfaits, mais il ne faut pas se leurrer, elles passent toutes par là aussi. Ce qu’on omet de dire, c’est qu’ensuite il y a la chirurgie esthétique, les coachs et les nounous 24h/24”, poursuit la psychologue. 

Depuis, la jeune maman a décidé de changer “sa façon de consommer les réseaux”, pour ne plus culpabiliser de ne pas rentrer dans ses jeans d’avant grossesse. Aussi, elle n'accepte plus aucune remarque extérieure sur son corps.

"Faire des commentaires sur la manière de se remettre de la maman ça n'a pas lieu d'être. Et je tiens à dire que chaque histoire est propre à chaque maman. Des mamans vont mettre des mois à se réaliser à nouveau en tant que femme, suivant les circonstances dans lesquelles l'enfant est arrivé.e. À l’inverse, les mamans qui se réinvestissent plus tôt, ne doivent pas être culpabilisées pour ça", martèle Caroline Le Roux.

S'octroyer le droit à verbaliser ses angoisses

Et c’est ce que conseille Caroline Le Roux : aller à son rythme. Prendre du temps pour soi et se détacher des autres. "Surtout, ne pas oublier qu'il y a deux versants à cette réappropriation : celle de la psyché, et celle du physique".

“Il ne faut pas hésiter à consulter un psychologue clinicien pour parler, parce que souvent, il va y avoir une mauvaise estime de soi et une dévalorisation. Il faut que nous puissions les rassurer et pour ça, il faut verbaliser ses angoisses. Ce n'est ni une honte, ni une faiblesse en tant que maman”, explique l’experte, dans un premier temps.

Ensuite, vient le temps des nouvelles habitudes à mettre en place, pour se connecter à ce nouveau corps et apprendre à le chérir. “Ne pas hésiter à se reposer, à dormir, même la journée. Ça peut vraiment aider, parce que la fatigue, au niveau psychologique, c’est ce qu'il y a de plus terrible. Dans la limite du faisable, il faut prendre du temps pour soi, retrouver une bonne hygiène de vie, se faire plaisir”, précise la sexologue. 

Se réapproprier son corps, passe aussi par l’image qu’on renvoie, rien que dans le miroir. Trouver des vêtements dans lesquels on se sent à l’aise, une nouvelle coiffure... Une meilleure image de soi permet aussi de se reconnecter à sa sexualité, et de retrouver un équilibre en couple, avec l'aide de son/sa conjoint.e, selon notre spécialiste. 

"N'ayez pas peur de réinvestir votre corps, c'est votre allié. N'oubliez pas qu'il vous a aidée à donner la vie", termine Caroline Le Roux.