En annonçant une dissolution et des élections législatives anticipées les 30 juin et 7 juillet prochains, Emmanuel Macron a créé la possibilité d'une cohabitation avec le Rassemblement National, arrivé largement en tête des élections européennes le 9 juin dernier. 

Si le RN devait accéder au pouvoir début juillet, les conséquences néfastes pour les droits des femmes et des minorités de genre seraient très rapidement palpables sur leur quotidien.

Entretien avec Cornelia Möser, philosophe, chercheuse au CNRS et spécialiste des politiques sexuelles de l’extrême droite.

Un mauvais signal pour les droits des femmes

Marie Claire : En quoi le résultat du RN aux élections européennes et sa possible arrivée au pouvoir via les législatives sont-ils des signaux inquiétants pour les droits des femmes ?

Cornelia Möser : Il faut prendre la situation très au sérieux et alerter tant qu’on peut du danger que représente l’extrême droite pour les droits des femmes et des minorités sexuelles et de genre.

Vidéo du jour

Le RN tente, depuis la campagne de 2017, de se donner une image plus moderne. Florian Philippot a été outé, et une fois qu’on a su qu’il était gay, le RN l’a mis en avant pour montrer que le parti avait changé et qu’il faisait partie de l’espace démocratique de la société. En appuyant aussi sur le fait qu’il est dirigé par une femme. Cette stratégie de "dédiabolisation", comme ils la nomment eux-mêmes, est comme le mot l’indique, une stratégie.

Mais en regardant de près les discours et votes du Rassemblement National, on peut déjà avoir une idée de ce qui nous attend.

À commencer par des coupes de subventions ?

Il paraît probable qu’une association primordiale comme le Planning Familial serait en très grand danger et verrait ses subventions supprimées. L’information sur la diversité et la santé sexuelle se verra donc amputée, mettant un grand nombre de personnes, et notamment des jeunes, en danger. Beaucoup de jeunes ont besoin d’un accompagnement de la part de ces associations. Je pense notamment aux jeunes trans, dont on sait le taux de suicide très élevé. Sans ce soutien compétent, on parle bien d’un danger de vie et de mort.

Tous les moyens alloués aux études de genre seraient aussi certainement coupés. Les personnes LGBT+, les travailleuses du sexe, mais aussi toutes les femmes peuvent donc raisonnablement être très inquiètes.

Et les femmes migrantes, déjà fragilisées par leur trajectoire de migration, seront elles-aussi en situation de vie ou de mort.

Un discours de façade qui renforce les stéréotypes de genre

Le RN tente pourtant de parler des femmes (dans une vidéo publiée le 17/06, Jordan Bardella s'adresse directement à "toutes les femmes de France, ndlr). Quelle est la réalité derrière ce discours ?

Il ne faut pas se laisser duper par le discours de surface. On le voit d’ailleurs très bien, quand Jordan Bardella aborde le sujet des violences sexistes et sexuelles (VSS), il donne la sensation qu’il s’intéresse aux femmes alors qu’il évoque cette question uniquement pour rendre coupables les personnes migrantes.

On sait bien que tout ce qui relève du féminisme ne convient pas au RN. Mais pour rassurer la partie de leur électorat qui a peur de leur côté anti-féministe, ils se donnent une allure pro-femmes tout en rassurant simultanément la partie très traditionaliste de leur électorat, qui pense qu’il faut protéger les femmes des hommes, renforçant par là des idées stéréotypiques de genre. C’est une rhétorique hélas très performante.

Mais dans le fond, le RN n’a strictement rien à proposer ni pour les femmes ni pour les minorités sexuelles et de genre. Il n’y a rien dans leur programme qui améliorerait leur situation. La seule fois où ce parti parle des femmes c’est pour incriminer les migrants, les musulmans, ou les deux.

Marine Le Pen avait parlé une fois du plafond de verre, en disant que c’était une idéologie de la gauche.

La politique du RN peut-elle affecter négativement toutes les femmes ?

Les femmes sont une catégorie très hétérogène, et les risques sont répartis de manière inégale entre les femmes en France. Ils parlent déjà d’attaquer l’accès aux logements sociaux par exemple, ce qui vise les classes populaires et ouvrières. Cela ne concerne pas les femmes bourgeoises, dont certaines peuvent se sentir "épargnées", mais il faut bien avoir en tête que même pour les femmes des classes dominantes, cisgenres, blanches, diplômées, les politiques sociales du RN ne seront jamais en leur faveur non plus.

Souvenons-nous, Marine Le Pen avait parlé une fois du plafond de verre, en disant que c’était une idéologie de la gauche, que ça n’existait pas, que si les femmes veulent, elles peuvent. Alors que l’on sait que le plafond de verre est toujours confortablement installé en France.

Donc toutes les femmes n’ont rien à attendre du RN, et tout à le craindre, à différents degrés évidemment.

Sur les violences sexistes et sexuelles, un véritable travail sur cette question a été engagé (on pense par exemple à l’inceste). Cet élan pourrait-il être stoppé net ? 

C’est une évidence.

Le RN voit tout par le prisme de l’immigration, alors que l’on sait par exemple que 91 % des viols sont commis par une personne proche, (selon un rapport du Haut conseil à l'égalité entre les femmes et les hommes, de février 2018, ndlr). 

Le mouvement #MeToo a par ailleurs largement démontré que les violences sexuelles n’étaient pas cantonnées à un milieu social.

D'autres dangers sont-ils à craindre pour les minorités ? Une agression homophobe, perpétrée par des militants d’extrême droite, a par exemple eu lieu le soir même des élections européennes...

Je pense qu’il faut revenir en arrière et ne pas oublier l’élément qui a entamé la destruction du "cordon sanitaire" entre la droite conservatrice et l’extrême droite, à savoir La Manif Pour Tous.

En 2012, la Manif Pour Tous défilait sans problème avec des groupuscules néofascistes et n’a jamais pris ses distances avec ces groupes. Ils ont permis à cette extrême droite fasciste de prendre ses aises. Il ne faut pas oublier que les liens entre le RN et les milieux néofascistes sont réels.

D’après mes recherches, effectuées avec des collègues chercheurs et chercheuses européennes, sur "les politiques sexuelles paradoxales de l’extrême droite", c’est par le sujet des sexualités et du genre que celle-ci surmonte ses clivages internes existants entre différentes fractions au sujet des migrants par exemple (pour qui une partie des catholiques fondamentalistes éprouve de la charité).

Mais malgré cet usage stratégique des politiques sexuelles, il ne faut pas non plus perdre de vue leurs véritables politiques sexuelles et de genre qui sont traditionnalistes, antiféministes et limitent violemment les vies des femmes et des minorités sexuelles et de genre.