99 millions de Mexicaines et Mexicains se sont rendu aux urnes dimanche 2 juin 2024. Avec 58 à 60% de suffrages obtenus*, soit, presque trente points d'avance sur la candidate de centre droit Xochitl Galvez, Claudia Sheinbaum, du parti de gauche MORENA, ex-membre du GIEC et ancienne maire de Mexico - entre autres -, devient à 61 ans la toute première femme présidente du Mexique.

Un espoir dans un pays où de très nombreuses femmes sont victimes de violences, et où neuf à dix féminicides sont commis chaque jour. Delphine Lacombe, chercheuse en sociologie au CNRS, spécialiste de la politisation des violences machistes en Amérique centrale et de l’histoire des mobilisations féministes, nous éclaire sur l'impact de cette élection historique.

Un discours progressiste

Marie Claire : Claudia Sheinbaum est la nouvelle présidente du Mexique. Elle est la première femme de l'histoire du pays à être élue ce poste. Est-ce une victoire féministe ?

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Delphine Lacombe : Cette victoire est le résultat de la féminisation très importante de la classe politique mexicaine à la faveur de réformes des quotas dès les années 1990. Cela contribue, de mon point de vue, à conforter le caractère non-genré des fonctions elles-mêmes, car les femmes ont été longtemps cantonnées, même en politique, au prolongement public de leur rôle supposément "naturel", c’est-à-dire, aux problématiques liées à la famille, aux soins... C’est tout. L’identité de genre en politique n’est une garantie de rien en soi.

Durant sa campagne, Claudia Sheinbaum s’est revendiquée du féminisme, bien qu’elle n’ait pas forcément été militante auparavant, ou eu des prises de position précoces dans sa carrière, qui décrypteraient les formes du patriarcat au Mexique. De ce fait, elle n’est pas forcément reconnue comme féministe par toutes les féministes elles-mêmes. Mais il est certain qu'elle tient un discours progressiste, concernant les droits sociaux, les droits des femmes... Et est très attendue sur l'enjeu des féminicides et des violences forcées. 

À Mexico, un soutien aux mères de victimes de féminicides

Avant de se lancer dans cette campagne présidentielle, Claudia Sheinbaum était maire de Mexico, de 2018 à 2023. Des améliorations pour les habitantes de cette ville ont-elles été constatées durant son mandat ?

Le mandat de Claudia Sheinbaum a été très fortement bousculé par des mobilisations féministes d’un type nouveau au Mexique. Dès son investiture, en raison des féminicides, est née une révolte, parfois avec des tendances émeutières, de féministes black blocs pratiquant l’action directe, cassant du mobilier urbain, mettant le feu à un camion d'un organe de presse qui avait diffusé des photos atroces du cadavre d'Ingrid Escamilla, victime de féminicide [le 9 février 2020, à Mexico, le petit-ami, qui l'avait assassinée et mutilée, a été reconnu coupable et condamné à la peine maximale de 70 ans de prison, ndlr].

À la suite de quoi, Claudia Sheinbaum a pris un certain nombre de mesures pour faciliter les plaintes, y compris contre les policiers, aider financièrement les victimes de violences conjugales, poursuivre la sensibilisation aux violences intrafamiliales grâce à des unités municipales construites dans ce but, les lunas.

Une action importante de son mandat demeure son soutien à une demande des mères de victimes de féminicides. Elle a consacré l’existence d’un ministère public s’occupant des délits en lien avec le genre avec une procureure spécialisée et une institution judiciaire capable d’enquêter sérieusement sur les morts violentes de femmes. Cette action est intéressante, et elle veut la généraliser à l'échelle du pays.

*selon les premiers résultats officiels annoncés par l'Institut national électoral ce lundi 3 juin 2024 à l'aube.