En 2021, 88% des Français.es avaient vécu, au cours de leur vie, un décès qui les avait particulièrement affecté, révélait un sondage du CREDOC

Une expérience universelle aussi complexe qu'intime aux conséquences parfois dramatiques : par rapport à 2019, davantage de maladies et de douleurs induites par le deuil étaient recensées en 2021, chez les femmes et les très jeunes. 

Et parmi elles, une maladie sort du lot. Lorsque l'état de manque devient "pathologique" et source de détresse plusieurs mois après la mort de l’être cher, une pathologique peut s'installer, touchant, selon Santé Publique France, 7% des personnes endeuillées : c'est ce qu'on nomme le deuil prolongé.

"Dans le deuil, il faut qu’il y ait un décès. On ne parle pas de deuil de sa jeunesse, de son conjoint car on a divorcé, de ses illusions. Le deuil a un sens par la mort. Puis, par l’idée de perdre quelque chose. Le deuil, c'est l'absence, l'état de manque", commence le psychiatre Alain Sauteraud.

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Toutefois, la maladie du deuil aurait, elle, d'autres caractéristiques bien précises.

Le deuil prolongé, un mal-être qui persiste après un an

D'abord, dans le deuil, co-existent deux aspects, différenciables selon leur durée : le deuil aigu et le deuil prolongé, aussi appelé maladie du deuil. 

"Le deuil aigu va, lui, de trois à six mois. Les chercheurs se sont ensuite mis d'accord pour parler de deuil prolongé, à partir d'un an. Mais à partir de six mois, si le sujet est très mal, dans une grande souffrance, on aura tendance à intervenir sans attendre car on sait que les gens n’auront pas récupéré à un an, s'ils sont mal à six mois", continue le professionnel de santé. 

Mais comme l'explique Alain Sauteraud, alors que le deuil est une expérience propre à chacun.e et que la façon de le vivre variera selon de nombreux facteurs, des tendances ressortent toutefois. 

"Le problème du deuil prolongé, c'est toute la définition de faire son deuil et de finir son deuil. Mais souvent, l'intensité du pic de douleurs est aux alentours de trois mois. Et 90% des gens se sentent mieux au bout de six mois, même si tout n'est pas réglé. On établit à un an le deuil prolongé car au bout d'une année, tout s'est passé au moins une fois sans le défunt. Tous les anniversaires ont eu lieu en son absence", reprend le spécialiste. 

État de manque, troubles anxieux, stress post-traumatique : les symptômes de la maladie du deuil

Et nombreux sont les symptômes que connaissent les personnes touchées par la maladie du deuil.

"Il y a un symptôme spécifique qu’on ne rencontre dans aucun autre trouble qui est l'état de manque", continue le psychiatre. Viennent ensuite d'autres symptômes, plus "secondaires", de type anxieux, comme des troubles du sommeil, des crises d’angoisse, des ruminations, de l'évitement et des images intrusives, comme des flash-back du défunt.

Enfin, peut apparaître un ensemble de maux communs à la dépression et au stress post-traumatique, "comme la tristesse, la perte d'intérêt et de confiance ou la culpabilité", poursuit-il. 

Alors qu'il y a peu on confondait le deuil prolongé avec l'état de stress post-traumatique ou la dépression, les spécialistes passaient à côté "du symptôme cardinal qui est l’état de manque" : "dans le stress post-traumatique, il n’y a pas d'état de manque du traumatisme. Le dépressif n’a pas d'état de manque du déclencheur, de sa tristesse, de la trahison, de son incapacité. Mais la complexité de ce trouble est que la moitié des endeuillés vont souffrir de dépression et/ou de stress post-traumatique", continue Alain Sauteraud.

Car la maladie du deuil peut engendrer l'apparition d'une dépression. Mais alors que dans presque tous les deuils, on retrouve des éléments traumatiques, "comme la vision du corps ou l'annonce de la nouvelle", détaille l'expert, il est courant d'être également en état de stress post-traumatique. Ainsi, il est possible de souffrir de stress post-traumatique sans faire de deuil prolongé tout comme de souffrir de dépression après un deuil, sans être touché.e par la maladie.

"Finalement, on est comme au milieu d’un triangle : il y a d'un côté le deuil 'normal' qui passe tout seul, puis il y a le traumatisme et la dépression. Selon l'intensité, on sera plus du côté du deuil pur, plus du côté du traumatisme pur ou plus du côté de la dépression pure. Ou des trois", précise le professionnel. 

Quels facteurs augmentent les risques d'en souffrir ? 

Un mal-être persistant dont la seule particularité est que les symptômes ne passent pas. C'est ainsi, qu'à une certaine époque, et pour certaines catégories de population, on utilisait l'expression "mourir de chagrin". 

Toutefois, tout le monde n'est pas touché.e de la même façon par le deuil. Tous les individus n'ont pas les mêmes risques d'être concernés par la maladie. "Le premier facteur de risque du deuil prolongé est la durée de la relation. En nombre absolu, l'essentiel des deuils pathologiques sont les veufs et les veuves", relate le spécialiste.

Second facteur de risque : le décès brutal d'un enfant, "en raison de beaucoup d’aspects comme la surprise, le sentiment d’injustice". Vient ensuite tout ce que le psychiatre nomme "l’environnement du deuil". 

"Les morts soudaines, violentes et par suicide sont des facteurs de risque, on penche du côté du traumatisme. Puis il y a la répétition des deuils. L'être humain est équipé pour affronter le deuil. Mais si jamais on perd trop de personnes, on peut saturer nos capacités d'adaptation et de métabolisation de la perte. Enfin, il y a des facteurs personnels de vulnérabilité, les attachements insécures, et les antécédents psychiatriques", explique-t-il.

Maladie d'un proche, attentat : les "exceptions" au deuil prolongé 

Mais alors que l'expérience de la mort est aussi personnelle que variable, il est difficile d'établir des risques précis.

"Finalement, selon les circonstances du décès, on sera plus proche d’un deuil facile à faire, dans lequel la souffrance maximum surviendra vers les deux ou trois mois ou d'une pilule impossible à avaler comme lors du deuil d’un enfant. Quand les circonstances sont exceptionnelles, on va considérer que les gens ne peuvent pas aller mieux seulement au bout d’un an", reprend l'expert.

Par exemple, lorsqu'un proche est touché par une maladie, comme Alzheimer, certain.es sont soulagé.es de ne plus voir l'autre souffrir. "C'est là tout le paradoxe du deuil : dans les morts de maladies graves, chroniques, débilitantes, les gens ont tendance à aller mieux sitôt l'annonce du décès. C'est pour cette raison que les délais sont très compliqués à établir", détaille Alain Sauteraud.

Dans des circonstances exceptionnelles, on laisse plus de temps aux gens pour se relever.

Dans l'autre sens, certains événements nous traumatiserons au point que les délais autour de la maladie du deuil ne sont plus légitimes. 

Pour illustrer cet exemple, Alain Sauteraud évoque l'attentat du Bataclan : "Dans ce cas, plus de 90% des personnes de la famille des victimes étaient malades de deuil prolongé. Quand les circonstances et les facteurs de risques sont exceptionnels - morts violentes - l'être humain n'est pas équipé. Dans des circonstances exceptionnelles, on laisse plus de temps aux gens pour se relever", explique l'expert.

La psychothérapie, traitement efficace de la maladie du deuil

Mais quel que soit le deuil, "si au bout de deux ans, on ne va pas mieux, il faut aller consulter", prévient le médecin. Malheureusement, rares sont les médicaments qui fonctionnent pour soulager cet état de manque pathologique.

"C'est une des raisons pour lesquelles les gens se font à l’idée d’une sorte de fatalité. Les médicaments fonctionnent sur la dépression, sur l'état de stress post-traumatique. Plus les gens ont de symptômes de traumatisme, plus on va améliorer de ce côté-là. Plus il y a de symptômes dépressifs, plus on améliore là-dessus. Mais sur l'état de manque, seule la psychothérapie marche. Et l'effet du temps qui passe", reprend le psychiatre.

Et deux techniques d'accompagnement mental seraient particulièrement efficaces.

D’abord la thérapie comportementale et cognitive, "qui vise à métaboliser les moments traumatiques" : "ma vie d'amour avec lui ou elle ne se limite pas à l’instant T qui a été difficile. Je ne veux pas me souvenir de ça mais de tout ce qui était bien. Le second axe est de prendre conscience de la permanence du souvenir et de l’attachement. Les endeuillés pathologiques ont un point commun : ils ne se rendent pas compte que le défunt est toujours avec eux par empreinte. S’il manque, c’est qu’il est en nous".

Ensuite, une seconde psychothérapie est proposée : la thérapie interpersonnelle.

"Elle vise à réintroduire du mouvement dans la vie de l’endeuillé. Les pronostics sont excellents si les gens sont soignés. Pour aider mes patients, j'aime leur dire que finalement, le deuil, est la seule histoire d’amour qui se termine bien. C'est le souvenir de l’amour qui guide le deuil. C'est ça dont il faut se souvenir", conclut l'expert.